Non, madame la réviseure, il n’y a pas d’erreur, ni de coquille. C’est "hippocrate" avec un i, non un y. Sinon, il serait question de médecins, et il me semble que les urgences fourmillent suffisamment de journalistes comme ça sans que j’y encombre les corridors de mon calepin itou.
Il est question de chevaux et de bureaucrates plutôt, ce qui, une fois tout confondu, donne hippocrate. Ça pourrait être aussi hypocrate, selon la même formule de confusion, qui nous viendrait d’hypocrite et de bureaucrate.
Parce que le plan d’action 2003-2006 de Loto-Québec, dévoilé la semaine dernière par son jovialiste de président Gaétan Frigon, tend tellement à réconcilier l’irréconciliable, le chaud et le froid, le liquide et le solide, Micheline Charest et Richard Martineau, Lynda Lemay et la femme moderne, que la question se pose: les fonctionnaires qui ont élaboré ce plan d’action sont-ils des hypocrites ou des incompétents, ou beaucoup des deux?
D’une part, on y annonce la réduction de l’offre de jeu. Notamment en retirant du plancher le tiers des appareils de loteries vidéo (appelés aussi vidéo poker, même si on y joue à tout sauf au poker, un jeu qui demande beaucoup trop de présence d’esprit et d’analyse de ses gains, de ses pertes et de ses chances d’emporter la mise). Du même souffle, on y propose la construction d’un quatrième casino, d’un Casino de Montréal deux fois plus grand, et peut-être d’une maison de jeu alambiquée à Blue Bonnets, cet hippodrome qui refuse de mourir à nos frais.
Réglons vite le cas du casino à Tremblant. Si vous voyiez le site envisagé – un magnifique plateau boisé au pied de falaises vertigineuses -, vous comprendriez rapidement que la menace la plus sérieuse de ce casino de poche, ce sont les chevreuils qui l’encourent. Au mieux, ils devront se trouver un autre plateau pour la sensuelle période du rut. Au pire, se passer de rut.
La belle part des investissements en casino revient à Montréal. Presque un demi-milliard (dans les faits, c’est 470 millions, mais parions un vieux deux sur une augmentation des coûts), pour permettre enfin au Casino de Montréal de jouer dans les grandes ligues. Eh oui, madame la marquise, finie la roture des machines à sous, le Casino attirera enfin des touristes haut de gamme.
C’est, je crois, la centième fois que Loto-Québec nous annonce être tombée sur la bonne main pour rendre le Casino plus attrayant à la clientèle du jet-set international. À l’ouverture, en 1992, le ministre du Tourisme du temps, André Vallerand, avait promis, sous les bons auspices moraux de Claude Ryan, que la clientèle visée était le segment le plus lucratif, soit le tourisme d’affaires et de congrès. Que le nouveau Casino prétendrait au marché huppé de la haute: faudrait porter diadème pour être admis dans le saint des saints. Dix ans et autant de plans de réaménagement plus tard, entre 5 et 10 % de la clientèle provient de l’extérieur du Québec, essentiellement des gens de Plattsburgh et de Cornwall en goguette, parmi des Québécois en goguette…
C’est la faute à la Ville, prétend Loto-Québec: Montréal serait le seul casino du monde à ne pas avoir d’hôtel adjacent. À Montréal, on n’est pas autorisé à ériger des hôtels dans les parcs; et le casino étant au milieu du parc Jean-Drapeau, eh bien, il n’y a pas d’hôtel. N’empêche, selon le plan d’action, la partie du casino située dans l’ancien Pavillon du Québec (la boîte de verre fumé) sera transformée en section dédiée spécifiquement à la clientèle internationale. Des loges de luxe y seront aménagées afin de permettre aux gros parieurs de s’y étendre, à défaut d’une chambre d’hôtel.
Et tous ces autobus de clubs de l’âge d’or qu’on refoulera aux portes du casino embourgeoisé? A-t-on pensé à eux? C’est sûr, pardi! La solution alambiquée des auteurs du plan d’action de Loto-Québec tient de la pierre deux coups: on redirige cette clientèle d’indésirables vers l’hippodrome, où la société d’État aura branché des centaines, voire plus de 1000 appareils de loteries vidéo. Les revenus supplémentaires serviront à renflouer l’industrie des courses de chevaux. Une industrie maintenue sur le respirateur artificiel au coût de 50 millions $ de deniers publics par année, plus les 12 millions $ que Loto-Québec y injecte annuellement en pure perte. Que l’État gère l’offre de jeu, soit. Qu’il y perde des deniers publics, c’est à la fois impardonnable, aberrant, et ça dépasse l’entendement.
On se demande bien ce qui pousse les bureaucrates de Québec à s’acharner ainsi sur les courses de chevaux. La population n’en a plus rien à crisser. Un ami de Bernard Landry a déjà été mêlé à cette industrie, ce qui, théoriquement, pourrait expliquer cela. Mais aujourd’hui, il n’est plus dans le portrait. Alors…
Et sauver pour quelle raison, au fond, si plus personne ne s’y intéresse? On achève bien les chevaux, pourquoi pas les hippodromes? Adjoindre un casino pour gueux à l’hippodrome ni changerait rien: les bêtes galoperaient toujours et encore sans soulever rien d’autre que de la poussière. D’ailleurs, Gaétan Frigon évoque du bout des lèvres le projet. Une idée, comme ça, qu’on propose au gouvernement…
Le conseiller municipal de Snowdon (où est situé l’hippodrome), Marvin Rotrand, propose plutôt de fermer l’hippodrome et de créer un fonds de développement du logement à prix abordable avec une partie de l’argent versé à l’industrie des courses de chevaux.
Voilà une idée qui apparaît pas mal plus gagnante.