Société

Droit de cité : Les anciens Québécois

La palpitation se tâtait comme du Cotonnelle chez les Montréalais, de les voir courir ainsi en tous sens, fébriles et inquiets sur le sort que le sort allait réserver au Rendez-vous national des régions. Et alors, où ils en sont? Y a-t-il consensus? Il y a consensus!

Et puis l’allégresse a tout emporté sur la Sainte-Cat.

D’accord, on ne pouvait tout de même pas s’attendre à ce que les gens des villes se passionnent pour cette énième Grand-Messe consensuelle, consacrée aux gens des champs cette fois-ci. D’autant plus qu’en rebaptisant l’événement Rendez-vous (plutôt que Sommet), le gouvernement Landry lui a donné un petit air tressé de paille, avec un joli cordon de lin bleu tout autour. Plus bucolique que stratégique. Pas de quoi faire mouiller la branchouille de la Main.

Pourtant, les Montréalais auraient tort de se désintéresser de ce qui se passe au bout des autoroutes. Ce que vivent les régions comme la Gaspésie et la Côte-Nord aujourd’hui, c’est ce que le Québec, y compris notre gros Montréal, vivra en entier un de ces jours, sinon bientôt.

C’est que dans 10, 15 ou 20 ans, le Québec devrait voir sa population stagner, puis diminuer. Comme la Gaspésie aujourd’hui. Pour éviter que le Big Crunch démographique ne se traduise en Big Crunch économique, il faut inventer un nouveau modèle de développement économique. Les Abitibi, Lac-Saint-Jean et autres Gaspésie pourraient servir de laboratoire en ce sens. Le Rendez-vous aurait été l’occasion de lancer ce laboratoire.

Hélas! On appliquera de vieilles solutions qui font leurs preuves d’inefficacité depuis 40 ans. On a fait consensus autour de concepts flous, la "décentralisation", par exemple, parce que, comme le grand mystère de la foi, on n’a aucune espèce d’idée de ce que c’est. Ou plutôt chacun a sa propre idée, ce qui revient au même.

Quelques jours avant le toast au premier consensus, une brique plus éclairante qu’un fanal sur le développement régional était publiée: l’étude La périphérie face à l’économie du savoir: La dynamique spatiale de l’économie canadienne et l’avenir des régions non métropolitaines du Québec et des provinces de l’Atlantique, des chercheurs Mario Polèse et Richard Shearmur, de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS – Urbanisation, Culture et Société). Probablement l’ouvrage le plus sérieux à ce jour en la matière.

Or, pendant que les ecclésiastiques péquistes et leurs servants de messe en acronymes (CRD, CLD, CLE, MRC, CRDC, SGF, et pourquoi pas les AA et les D.O.A. aussi) promettaient le paradis aux régions, l’étude de l’INRS prouvait déjà qu’ils se lancent à l’assaut de moulins à vent.

Le déclin des régions éloignées est irréversible, tranchent cruellement Polèse et Shearmur. Les entreprises s’établissent de plus en plus près des grands centres où se trouvent les services, le savoir et les marchés. Dans la plupart des régions, la masse démographique est justement insuffisante pour créer des pôles de services et des centres de savoir. "Les gens instruits sont portés à se rassembler dans les grandes villes, et les jeunes manifestent aussi une propension plus forte à migrer", écrivent-ils.

On parle de courants sociaux et culturels profonds qui secouent l’Occident, qu’une simple délégation de pouvoir d’un fonctionnaire à Québec à un fonctionnaire de Conseil régional de développement (CRD) en région ne saurait contrer.

Dans le contexte nord-américain, un grand centre, c’est au minimum Québec, idéalement Montréal. Pour qu’une région bénéficie de ces grands centres, elle doit être située à pas tellement plus d’une heure de route. Comme les Laurentides, les Bois-Francs, la Beauce, des régions prospères. Sinon, il lui faut être inventive. Il lui faut admettre que son déclin démographique est peut-être irréversible, mais que cette chute aura une fin, un jour, à un nouveau point d’équilibre. Et qu’elle peut être, une fois ce nouvel équilibre atteint, tout aussi prospère qu’un grand centre, avec moins de monde. Mais pour arriver là, il faut inventer de nouveaux modèles de développement.

Au Rendez-vous, on a ignoré ce constat. De toute façon, tous les gouvernements québécois confondus depuis 1970 ont précipité les régions dans le gouffre. Sciemment, en appliquant à la lettre les conclusions d’un rapport selon lequel le Québec devait concentrer le plus d’activités économiques et administratives à Montréal et à Québec, s’il voulait éviter au Québec le statut de gros Terre-Neuve, face à la montée inexorable de l’Ontario.

D’ailleurs, le gouvernement n’a pas reconnu sa responsabilité. Sinon, il aurait offert aux régions la déconcentration plutôt que la décentralisation. Pourquoi l’Institut de recherche d’Hydro-Québec est-il situé à Varennes plutôt qu’à Shawinigan? Pourquoi le siège social de l’Université du Québec, aujourd’hui à Québec mais qu’on songe à déménager à Montréal, n’est-il pas à Trois-Rivières? Comment se fait-il qu’à peu près tous les fonctionnaires des Ressources naturelles sont à Québec, et non pas en bonne partie à Rouyn ou à Baie-Comeau?

Il y a longtemps que les Américains se sont laissé tenter par les vertus de la déconcentration. La NASA, par exemple: la navette spatiale décolle de Floride, son périple est dirigé depuis Houston, elle atterrit à la base d’Edwards en Californie. Ses composantes technologiques ont été développées à Seattle et à Wichita, Kansas. Et c’est au MIT à Boston que la recherche fondamentale sur l’espace s’effectue.

Au Québec, on en n’a que pour les cités et les pôles: tout concentré à un seul endroit. Après, si des entrepreneurs gaspésiens veulent développer le créneau du multimédia, il ne leur reste plus qu’à déménager à Montréal, toutes les ressources y étant concentrées.

C’est encore à ce modèle que convient l’État et ses cooptés des CRD, CRDC et autres machins de l’alphabet pour le développement des régions. Et que les deux prétendants au trône ont applaudi, en affirmant: "C’était dans notre programme!" Ils sont eux aussi des anciens Québécois. Bref, l’espoir est mince.