Gentilly 2 : Le moment de vérité
Société

Gentilly 2 : Le moment de vérité

La possible réfection de la seule centrale nucléaire de la province, Gentilly-2, ne semble pas inquiéter outre mesure la population de Bécancour et des régions environnantes. Depuis 1983, ces milliers de personnes ont appris à vivre avec la menace permanente d’une catastrophe nucléaire apprêtée à la sauce québécoise. Mais aujourd’hui, face au vieillissement des installations, le temps est venu de choisir entre démantèlement et reconstruction.

Les intentions des autorités dans le dossier de Gentilly-2 semblent entourées de secret, les questions liées à la sécurité, à la pollution ou à l’entreposage de déchets radioactifs sur les berges du Saint-Laurent ayant l’heur de faire fuir porte-parole et représentants officiels. Du côté des citoyens directement concernés, certains optent pour une douce indifférence alors que d’autres versent dans la fatalité. S’il est décidé d’aller de l’avant avec un réinvestissement massif, des travaux de 18 mois seront nécessaires vers 2008-2009, ce qui permettra d’étirer la vie utile de la centrale de 20 ou 30 ans.

Gentilly-2 est située à Bécancour, sur la berge sud du fleuve Saint-Laurent, entre Québec et Montréal, à quelques kilomètres de Trois-Rivières. Mise en activité en 1983 et dotée d’une puissance de 975 MW, la centrale et son réacteur CANDU fournissent moins de 3 % de l’électricité de la province. Ils rejettent des effluents liquides dans le fleuve Saint-Laurent et de faibles émissions atmosphériques contenant du tritium, une forme radioactive d’hydrogène. C’est sans compter sur les déchets de combustion, de l’uranium fortement radioactif que l’on entasse depuis le milieu des années 90 dans des silos extérieurs, soit depuis que les piscines internes de stockage sont remplies à pleine capacité. Pour 2001, un document interne fait état de la production de 155 m3 de déchets radioactifs contre 40 m3 en 1999 et 60 m3 en 1997. Les gestionnaires de la centrale affirment qu’il s’agit de l’une des plus sécuritaires au monde – elle serait capable d’encaisser le choc d’un gros avion et, en dernier recours, un réservoir de centaines de milliers de litres d’eau s’effondrera sur l’installation pour confiner les radiations.

Renouvellement de permis
Le permis d’exploitation de Gentilly-2, accordé à Hydro-Québec par la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN), est régulièrement reconduit pour des périodes de deux ans. Le dernier en lice arrivant à échéance en décembre, H.-Q. a surpris en demandant un prolongement de cinq ans. Les commentaires recueillis auprès de la CCSN laissent entendre qu’un nouveau permis de quatre ans sera accordé avec conditions, malgré certaines failles mises en lumière au chapitre de la sécurité et de la protection de l’environnement. Des groupes de pression craignent qu’H.-Q. ait agi de la sorte afin de pas avoir à revenir de sitôt devant la CCSN, ce qui lui permettrait de plancher dans l’anonymat sur son projet de réfection de la centrale. Les estimations du coût de cette reconstruction varient de quelques centaines de millions à 2,5 milliards $.

Le ministère de l’Environnement a bien reçu le printemps dernier un avis faisant état d’un "projet de réfection de Gentilly-2 et de l’agrandissement de l’aire de stockage des déchets radioactifs par Hydro-Québec" mais, pour les détails, on repassera. Car, autant du côté de la société d’État que de celui du gouvernement provincial, on se fait discret sur la question. "Des études techniques, financières et environnementales sont bien en cours à ce sujet et aucune décision ne sera prise avant la fin de leur réalisation d’ici un an", a dit Marcelle Trépannier, une porte-parole chez H.-Q. D’autre part, le cabinet de la ministre déléguée à l’Énergie n’a pas retourné les appels faits à son bureau pour vérifier son orientation dans le dossier. Jules Thibeault, directeur général de la Ville de Bécancour, a aussi refusé, en l’absence du maire Richard, de commenter le dossier. Et ce n’est pas dans les rapports annuels ou plans stratégiques d’H.-Q. que l’on en apprendra plus tellement le sujet semble y être occulté: à peine en glisse-t-on quelques mots.

Sécurité et environnement: des failles mises en lumière
Les agents de la CCSN ont recommandé aux commissaires de l’organisme de renouveler le permis de Gentilly-2 pour quatre ans tout en identifiant certains problèmes dans la gestion de la centrale. "Malgré que nous ayons décelé des défaillances et que nous ayons des reproches à faire au chapitre de la sécurité, nos agents recommandent un renouvellement de quatre ans", a expliqué lors de la clôture des audiences Michel Cléroux, relationniste de la CCSN, ajoutant lors de l’entretien que "la décision finale sera connue d’ici quelques jours".

Lors des audiences, Jim Blyth, directeur général de la Direction de la réglementation des centrales nucléaires pour la CCSN, a expliqué à propos de Gentilly-2 que "quelques aspects de la performance sont inférieurs aux exigences de la CCSN et ont reçu une note C: gestion des arrêts, santé et sécurité non radiologiques, assurance de la qualité, facteurs humains, formation, examens et accréditations, radioprotection et protection de l’environnement", le programme de surveillance dans ce dernier cas n’ayant pas non plus atteint les exigences émises précédemment. On fait état de 62 altérations temporaires à la centrale en date de juin 2002 et c’est le vieillissement prématuré des tubes de force, le déplacement des ressorts espaceurs et le taux de capture de deutérium qui inquiètent le plus pour ceux que la chose technique intéresse.

Du côté de la population de Bécancour et des environs de la centrale, un calme relatif règne, même avec l’annonce par les autorités d’une distribution massive de capsules d’iode dont la prise rapide en cas d’accident nucléaire permet de protéger contre un cancer de la glande thyroïde. Pierre Duplessis est producteur maraîcher depuis plus de 20 ans et malgré la proximité de ses terres avec Gentilly-2 – trois kilomètres -, il se dit paisible. "Notre perception du nucléaire n’est pas nécessairement négative, c’est plutôt le dossier des porcheries qui amène des levées de boucliers dans la région! Je dirais même qu’il y a plus à craindre de notre parc industriel où il y a de grosses usines polluantes et où le risque d’un déversement toxique à la suite d’un accident ferroviaire est réel, explique celui qui est aussi conseiller municipal à Bécancour. Je suis de ceux qui ont un très haut niveau de confiance envers les organismes de contrôle mais oui, il nous arrive de penser à la possibilité d’une catastrophe. Nul n’est à l’abri d’un accident, et dans ce cas-là on se dit qu’on y passerait tous. Mais ce n’est pas parce que c’est arrivé à Tchernobyl que ça se reproduira ici!"

André Leblanc, de la ferme La Butineuse, explique pour sa part que la centrale "fait partie du décor". Situé à une douzaine de kilomètres des installations, il se rassure en se disant que ses abeilles ne vont pas butiner si loin. En ce qui concerne les risques de catastrophe nucléaire, l’apiculteur y va de calculs sur les habitudes des courants aériens. "Il ne faudrait pas que les vents aillent direction nord-est si ça arrive, mais on ne se pose pas la question trop souvent." En ce qui concerne le projet de réfection de la centrale, M. Leblanc se dit mal informé sur le sujet. "Il y a les risques liés à la guerre et l’entreposage des déchets nucléaires pose problème, mais il faut aussi tenir compte de l’importance de la centrale pour l’économie de la région", ajoute-t-il en faisant référence aux 750 employés de Gentilly-2.

Ce à quoi réplique Shaw Stensil, porte-parole de Sortir du nucléaire, une coalition de quelques centaines de groupes civils s’étant opposés devant la CCSN au renouvellement prolongé du permis de Gentilly-2 et à la réfection prochaine de la centrale. "Le Québec devrait donner l’exemple au reste de l’Amérique du Nord en se déclarant exempt de toute forme d’énergie nucléaire. L’Allemagne, la Suède et la Belgique abandonnent graduellement leurs réacteurs nucléaires, même s’ils dépendent beaucoup plus de cette forme d’énergie que nous. La Suède tiendra un référendum sur l’avenir de ses réacteurs en 2003. Il n’y a aucune raison pour laquelle le Québec ne pourrait pas montrer l’exemple au Canada et à l’Amérique du Nord."

Samuel Moisan-Domm, membre de l’exécutif des Amis de la Terre de Québec, met lui aussi en cause le projet de réfection de Gentilly-2. "Il y a vraiment un manque de vision et de leadership au Québec à ce sujet. Ce qui est nécessaire, c’est un large débat public sur la production de l’énergie. Si on avait un gouvernement responsable, il consulterait la population et l’écouterait. Nous avons un immense potentiel éolien qui n’est pratiquement pas exploité et peu est fait pour conserver l’énergie. Cessons de construire des infrastructures de production d’énergie sale et démantelons Gentilly-2", plaide-t-il, écorchant au passage les projets de centrales thermiques dont Hydro-Québec se fait aussi promoteur.

Pour l’instant, en comptant l’installation mono-réactée de Bécancour, le Canada compte sept centrales et 22 réacteurs nucléaires. Une quinzaine d’installations minières d’uranium sont également autorisées par la CCSN pour, d’une part, nourrir les réacteurs canadiens, mais aussi dans le but d’exporter à l’échelle internationale le dangereux combustible.

Pour plus d’information:
Commission canadienne de la sûreté nucléaire: www.nuclearsafety.gc.ca
Énergie atomique du Canada ltée.: www.aecl.ca
Groupe des propriétaires de CANDU: www.candu.org
Hydro-Québec: www.hydro.qc.ca
Sortir du nucléaire: www.sortirdunucleaire.ca
Regroupement pour la surveillance du nucléaire: www.ccnr.org
Amis de la Terre: http://www.clic.net/~atquebec/