Nouveaux supports publicitaires : L'épidémie
Société

Nouveaux supports publicitaires : L’épidémie

Promenade rue Sainte-Catherine. À gauche, un camion publicitaire tire une gigantesque annonce 3D. À droite, une pub de sloche sur une poubelle de recyclage. Derrière, en haut, par terre: une affichette, un super-panneau, une oriflamme… Comme le chiendent, la pub pousse partout. Et vite.

Vous voulez faire de l’argent? Inventez un support publicitaire! Trouvez un endroit qui risque d’atteindre un public cible, formulez une argumentation solide qui justifie l’exploitation de cet espace, trouvez des annonceurs et l’affaire est dans le sac!

Un nouveau support publicitaire est inventé chaque jour. Au New Jersey, la compagnie Beach’n Billboard a mis au point une technique pour empreindre des publicités sur le sable des plages. La firme danoise Nytmedie donne aux nouveaux parents des poussettes sur lesquelles sont imprimées des publicités. Plus près de chez nous, la compagnie québécoise Pop Média propose un concept de publicité clandestine, où des comédiens sont payés pour parler d’un produit ou d’une compagnie dans un lieu public. Par tous les moyens, la pub veut accaparer le moindre moment d’attention du consommateur. Où qu’il soit.

Patenteux de la pub
Selon le professeur de communications à l’Université d’Ottawa Luc Dupont, Montréal remporterait le championnat canadien des médias non traditionnels. "Publicitairement parlant, Montréal est très innovatrice." L’auteur du livre Quel média choisir pour votre publicité attribue cette quantité de nouveaux supports publicitaires à la présence d’une richesse naturelle propre au Québec: les patenteux. "Contrairement à ce qu’on pense, ce ne sont pas les grands de la communication qui inventent de nouveaux supports publicitaires, mais des individus."

Créer un média non traditionnel, c’est ce qu’a fait récemment Philipe Lamarche. À 29 ans, il a fondé sa compagnie d’affichage mobile à vélo, Cycles Urbains. Cycliste amateur et infographiste de métier, Philipe Lamarche a fusionné sa passion et son travail en décidant de trimballer des publicités, à vélo, dans les rues de la ville. Pour un annonceur, il en coûte environ 3000 $ pour offrir à son affiche une balade à vélo pendant cinq jours. "De plus en plus, les annonceurs cherchent de nouveaux supports", dit Philipe Lamarche. Forcément, un média non traditionnel attire l’attention: "Souvent, les gens m’arrêtent dans la rue pour me demander ce que je fais ou avoir des informations sur le produit que j’annonce", ajoute Philipe Lamarche.

La compagnie Zoom Média est souvent citée comme étant LE success-story québécois dans l’univers des médias non traditionnels. En 1991, l’entreprise a inventé la publicité dans les toilettes publiques. "Les qualités du média se sont manifestées rapidement, dit Claude Breault, directeur des communications chez Zoom Média. On avait la captivité et une segmentation parfaite." Le réseau Zoom Média compte aujourd’hui quelque 40 000 espaces publicitaires, partout au Québec. Selon M. Breault, maximiser les dépenses publicitaires est la tendance actuelle: "Les annonceurs veulent que chaque dollar investi en publicité rejoigne son public cible. On pourrait penser à un fabricant de cosmétiques qui cherche à atteindre des femmes qui prennent soin de leur corps et font de l’exercice. Il pourrait annoncer dans le magazine Elle Québec, mais il paierait pour toutes les paires d’yeux qui voient la publicité et ne font pas partie du groupe cible. En achetant des espaces dans le réseau Sport (publicités dans les toilettes de gyms) de Zoom Média, l’annonceur sait que, pour le même investissement, il ne va rejoindre que des filles qui font de l’exercice physique."

Justifier l’efficacité d’un nouveau média, c’est la tâche la plus complexe à laquelle les patenteux de la pub doivent faire face. Selon Luc Dupont, "dans la mesure où le média répond à un besoin qui n’est pas comblé par les médias traditionnels, il peut fonctionner. Par exemple, les Mediacolonnes rejoignent les gens qui marchent au centre-ville. Les autres médias avaient de la difficulté à rejoindre ce groupe cible". Mais les médias non traditionnels n’ont pas tous d’aussi bons arguments: "Quand on met de la pub sur le séparateur de commandes à l’épicerie, est-ce qu’on peut dire que c’est un média efficace?" s’interroge Luc Dupont. Claude Breault prétend que l’industrie de la publicité est en mesure de décider quel média doit exister et lequel doit disparaître: "À partir du moment où un média non traditionnel ne fonctionne plus et que les gens n’y sont plus sensibles, ça voudra dire qu’on l’a usé et il va disparaître." Une sélection naturelle, en quelque sorte.

Trop-plein de pub
Chaque nouveau média non traditionnel est accompagné de son lot de critiques. Où va-t’on s’arrêter? Jusqu’où la publicité peut-elle s’immiscer dans nos vies? Selon le professeur de publicité à l’Université Laval Claude Cossette, "les nouvelles formes de publicité vont se multiplier. On cherche sans cesse des façons d’avoir une publicité qui entre moins en concurrence avec les autres". Luc Dupont renchérit: "Éventuellement, tous les espaces sont appelés à devenir des espaces publicitaires."

La publicité, sous toutes ses formes, est beaucoup plus présente aujourd’hui qu’il y a 15 ans. Nous serions exposés à quelque 3000 messages publicitaires par jour. Un chiffre énorme, mais qu’il faut nuancer: "À la fin de la journée, on a mémorisé seulement 10 messages", précise Luc Dupont. Selon d’autres sondages, près de 40 % des gens ne peuvent se souvenir d’un seul message publicitaire! C’est le retour du balancier: une trop grande quantité de publicité contribue à diminuer son efficacité…

Mais que ceux qui estiment que la publicité est omniprésente se ravisent: la situation n’est pas près de changer. De toute façon, le seuil de tolérance du public en général est loin d’être atteint. Si quelques intellectuels et révolutionnaires en ont déjà ras le bol, ce n’est pas un mouvement de masse: "L’immense majorité des gens aiment la pub", dit Claude Cossette. Luc Dupont considère que "les Québécois sont tantôt publiphobes et tantôt publiphiles. On assiste à des événements comme la Nuit de la pub et trois ans plus tard, on ne veut plus rien savoir de la pub…"

Même s’ils sont marginaux, les mouvements de révolte face à la publicité ont fait quelques vagues. Splat-Montréal est un groupe qui invite la population à souiller les panneaux publicitaires à l’aide de ballons de peinture ou d’autocollants. Récemment, un autre groupe, les Décorateurs engagés, a barbouillé des camions publicitaires qui circulent dans le centre-ville de Montréal.

Tout le monde a son seuil de tolérance. Pour Claude Breault, c’est le marketing direct: "Quand je suis chez moi en train de manger, si quelqu’un m’appelle, il faut que ce soit un parent ou un ami. Pas quelqu’un qui veut me vendre quelque chose." La publicité clandestine choque Claude Cossette: "Payer des comédiens pour participer à une soirée et parler d’un produit dans un congrès, c’est fort. Bientôt, on ne saura plus si on parle à un comédien ou à une vraie personne. C’est en train de pourrir nos relations personnelles…"

Luc Dupont, quant à lui, convient que dans certains cas, la publicité est allée trop loin, mais apporte un bémol: "Ça nous rappelle qu’on vit dans une société libre. Avant la chute du régime communiste, il n’y avait pas de publicités de voitures en URSS parce qu’on n’avait pas vraiment le choix du modèle…"