Société

Droit de cité : Qui était Steve Penny?

Le Harry Potter de Radio-Canada s’était déplacé à l’hôtel de ville la semaine dernière, à l’occasion du dépôt du budget municipal de 2003. La première manchette de son bulletin télévisé de 18 h ne laissait aucun doute quant à la teneur de la nouvelle: "50 % des Montréalais verront leurs comptes de taxes augmenter." Ça, c’est de la mauvaise nouvelle. Et comme les sauterelles n’arrivent jamais seules, de poursuivre le magicien des ondes avec le sourire narquois: "Voilà des munitions pour les anti-fusion." Un verglas avec ça?

Nous voilà devant un beau cas cornélien de noeud gordien, ou de l’oeuf ou l’enveloppe, et qui pourrait même laisser supposer que les adéquistes ne sont pas le fruit de l’évolution telle qu’entendue par Darwin, mais d’une génération spontanée, ou encore "du verre à moitié plein ou à moitié vide, pis laisse faire, apporte-moi une autre pinte de toute façon".

Est-ce 50 % des Montréalais qui verront augmenter leurs comptes de taxes ou est-ce 50 % des Montréalais qui verront diminuer leurs comptes de taxes? Sont-ils la seule et même personne?

Évidemment, si vous êtes du côté des premiers, il y a de fortes chances que votre coupe déborde. Du côté des seconds, vous aurez l’impression qu’on vous prend pour des cruches, puisque les deux ou trois dollars économisés par les bonnes grâces de l’administration municipale seront rapidement engloutis dès votre premier déplacement en transport en commun en janvier, comme l’a décrété il y a une semaine la même administration municipale. Que voulez-vous, la machine est ainsi faite pour que vous ne vous enrichissiez jamais sans un effort supplémentaire soutenu.

Ceux qui ont suivi de près ou de loin le débat des fusions municipales savent de toute façon que là n’était pas la nouvelle. Que les taxes augmentent ici et baissent là, c’était plus qu’écrit dans ciel, ça l’était dans la loi donnant naissance au nouveau Montréal. C’était d’ailleurs l’un des objectifs fondamentaux de la fusion. Dans le patois local, cela s’appelle la péréquation. Ou comment faire payer les riches pour l’incompétence et la paresse des pauvres.

C’est ce qu’un fiscaliste de bonne réputation est venu dire le même jour à la radio. "On pénalise ceux qui gèrent bien, et on récompense ceux qui gèrent mal", en donnant l’exemple de l’ancienne municipalité de Baie-d’Urfé, dans l’Ouest, dont les résidents verront leurs efforts d’enrichissement soutenus par une saine administration floués par les quelques centaines de dollars qu’ils devront verser collectivement aux andouilles de Parc-Extension. Car, c’est connu et prouvé par l’Institut économique de Montréal: les pauvres sont pauvres parce qu’ils se gèrent mal. Et les performances fiscales exceptionnelles de Baie-d’Urfé sont le résultat de la compétence inouïe de ses administrateurs à bien gérer l’enlèvement des ordures des 17 maisons du patelin.

Alors, la péréquation entre les riches et les pauvres arrondissements est en marche. Tout est en place pour que l’équité entre les arrondissements soit une réalité au moment où, théoriquement, Pierre Bourque pourrait reprendre du service à la mairie, soit autour de 2020 ou 2021.

Théoriquement, puisque pour qu’il en soit ainsi, des conditions doivent être remplies d’ici là, histoire que le fléau s’abatte une fois de plus sur nous. D’abord, Pierre Bourque ne doit pas mourir. Ça va de soi, me direz-vous, mais sachez qu’à 100 kilomètres au sud de chez vous, on élit épisodiquement des morts. En 2000, un bien décédé et même enterré a été élu sénateur du Missouri. Le trépas avait battu un certain John Ashcroft. Et dans 18 ans, notre homme à l’opposition s’approchera dangereusement de la limite espérée de la vie. Ensuite: les libéraux de Jean Charest ne doivent pas être élus majoritairement à l’Assemblée nationale. Ça a l’air facile comme ça, mais comme la période de référence est plutôt longue, les risques sont réels. Et dans un tel cas, Pierre Bourque nous a bel et bien menacé de son exil à l’étranger. Comme, par exemple, à titre de loyal représentant de la reine chef du Canada auprès d’un quelconque secrétaire général d’un régime unipartiste dans l’empire du Milieu, ce à quoi il réfléchit toujours entre autres choses.

Donc, disions-je, tout est en place pour que la péréquation entre les arrondissements pachas et les z’ont-rien atteigne son apogée quelque part en 2020 ou 2021. L’équation est fort simple: l’an dernier, l’arrondissement le plus riche, Dorval, disposait d’un budget de 1260 $ par habitant. Le plus pauvre, Villeray-Saint-Michel-Parc-Extension, de 339 $. Autrement dit, ce dernier n’avait que 27 % des ressources disponibles à Dorval, les proportions étant toujours bien gardées comme des moutons. Cette année, c’est passé à 31 %. Alors, si, chaque année, l’écart se rétrécit de quatre points de pourcentage, on atteindrait l’équité autour de 2020, voire 2021.

Je ne sais pas si, cette année-là, la téléportation aura été inventée, ou s’il y aura encore un hiver, mais pour vous démontrer à quel point c’est long, 18 ans, je vous fais remarquer qu’il y a 18 ans, Steve Penny était la plus grande star de l’heure au Québec. Ça vous en bouche un coin, hein?