Quelque observateur attentif aura remarqué que, mine de rien, cette chronique a disparu de votre hebdo préféré depuis quelques semaines.
Eh oui! C’est qu’après 25 ans de résistance, 25 ans à patauger avec enthousiasme dans la culture de Québec, j’ai trahi la patrie et Bonhomme Carnaval en filant en douce vers l’ouest. Aujourd’hui, depuis les bureaux de Voir Montréal, je contemple aussi loin que peuvent porter mes yeux le building d’Air Transat, l’UQAM, l’hôtel Wyndham et, en bas, les stupéfiants spectateurs excités de MusiquePlus. Vertiges, vertiges…
Peu porté sur les adieux et les atermoiements égocentriques qui viennent nécessairement avec les départs dans le merveilleux monde de l’écriture, je m’étais franchement retiré sur la pointe des pieds.
En fait, qu’aurais-je voulu dire à mon propos, à propos de mon successeur David Desjardins, comme à propos de mes prédécesseurs dans la petite communauté des éditorialistes: nos bras meurtris vous tendent le stylo? Arrosoir et persil, comme Gaétan Montreuil en conclusion de Téléjournal? Bof… Du déjà lu…
Je vivais en paix avec ma conscience professionnelle lorsque, dès ma première soirée de Montréalais, dans un splendide troquet de la rue Duluth, la première personne qui m’interpella s’avéra propriétaire d’un restaurant nommé… La Chronique. Signe du destin, me dis-je. Il fallait conclure en grande. Avec l’orchestre du Titanic, le choeur des pleureuses siciliennes. Ginette chante Nowell.
Malheureusement, vous m’excuserez de délaisser le style un brin cynique qui fit ma vilaine petite réputation, mais je n’ai rien d’autre à offrir que des remerciements.
Eh oui.
Merci donc au sénateur Serge Joyal de m’avoir appris dès mes débuts par le biais de son avocat que même ceux dont on ne peut viscéralement pas supporter l’arrogance ont des droits.
Merci à Bernard Landry de s’être accroché au pouvoir durant si longtemps en proférant des atrocités méprisantes à la gueule des Québécois avant son spectaculaire revirement populiste du dernier mois. Bernard chez Gérard? On ne fait pas plus beau sujet de chronique.
Merci à Mario Dumont d’avoir rencontré toutes mes attentes sur la voie du progrès et de la sécurité d’emploi en chuchotant avec la haute, afin de financer son parti de vire-capots.
Merci aux gauchistes de toutes allégeances qui vous apprennent vite que ceux qui rappellent que Saddam Hussein est un dictateur sont excommuniés du cénacle de la raison. De nos jours, l’antiaméricanisme ne s’embarrasse pas de nuances.
Un tout petit petit merci à Moron et Dino car c’était vraiment trop facile…
Merci aux extrémistes de droite de m’avoir (sauf un ou deux hystériques) foutu la paix… Ils ne lisent probablement pas…
Merci aux biologistes du gouvernement du Québec qui, tels l’Environnement et les papetières, couchent main dans la main, sur leur terre à bois, avec les associations de chasseurs. Ils m’ont appris violemment qu’il est indécent d’aimer les animaux sauvages vivants si on n’est pas 100 % végétarien. Je n’en attendais pas moins…
Des remerciements tout spéciaux aux gros animateurs d’une émission locale sur la chasse d’avoir remis à la mode la chemise à carreaux, le bas blanc et, je l’espère bientôt, le triple pontage coronarien.
Merci à tous les illuminés qui ont prié pour le salut de mon âme satanique et de mon ADN corrompue par le sexe, la drogue et les chansons d’Elvis. Je jure de passer par le pont des Chapelets du Cap-de-la-Madeleine durant les vacances des Fêtes.
Merci à ceux qui se sont inquiétés de la situation du théâtre dans mon journal. Ils m’ont appris à m’inquiéter de la situation de mon journal dans leur théâtre…
Merci à ces oisifs qui m’ont envoyé 30 courriels. Qui se sont acharnés jusqu’à la nausée afin de corriger une virgule dans une citation erronée ou une faute d’orthographe sans importance en me traitant de crétin.
Merci aux lecteurs qui m’ont pris pour un illettré et un inculte parce que je ne démontrais pas la quadrature du cercle en 30 lignes. L’insulte était bien efficace, j’en aurai mordu mon oreiller toute la nuit.
Merci aussi à tous les gens sérieux, particulièrement les membres d’ordres professionnels, qui ne saisiront jamais la part de spectacle dans ce genre d’exercice de création.
Merci à ceux qui m’ont traité de pas-vrai-professionnel-journaliste-éthique incompétent. Effectivement, je ne fais partie d’aucune union.
Merci à ceux qui ont déposé à mon adresse courriel de petites merdes anonymes bien sèches. Va chier! Mange de la marde! Que d’argumentations bien senties…
Merci à l’incompétent chroniqueur qui sévit dans l’émission du fort sympathique Michel Lamarche. Il a annoncé mon départ pour Montréal par ces mots si pertinents: "Il y en a qui vont être contents." Wow, cher collègue! Quelle révélation! Qui s’en serait douté qu’après 25 ans d’implication dans le difficile milieu culturel de Québec je laissais quelques gens en colère derrière moi…! Quelle brillante analyse! Crétin.
Merci d’avance à ceux qui, lisant cette chronique, sableront le champagne et voudront me répondre en disant "Youppi, super, au suivant!" De grâce, ne prenez pas la peine de gâcher un timbre… Je vous entends déjà…
Mille mercis enfin aux téteux de toute trempe de n’avoir jamais cessé de m’indiquer ma… mission…
Mille mercis? Mille mercis pourquoi, bande d’achalants? Parce que j’adore ce métier et que votre intolérance a alimenté en matière première ces chroniques faites essentiellement d’indignation, de colère, parfois de dégoût et de beaucoup de doutes…
Ce genre de maudit combustible précieux dont mes écrits ont failli manquer… quand j’ai su que mes textes étaient utilisés dans des cours de français, quand on me disait bravo dans la rue et, surtout, quand j’ai appris qu’une fille qui bossait au pub irlandais Saint-Patrick découpait et affichait mes jeudis sur ses lieux de travail… Merci mademoiselle…
Alors on m’excusera, ces semaines-là, flatté dans le sens du poil, d’avoir fait preuve de tendresse. En parlant de chiens abandonnés, d’enfants heureux, de mésaventures urbaines cocasses, de la grippe et des allumettes péteuses… Bref de choses simples et douces… L’affection était comme de l’eau fraîche qui éteignait le feu… On s’y noie, s’y dilue, tendre et mou. La carapace vous fond comme un p’tit whippet dans le lait au chocolat. Au diable alors le gros chasseur, Joseph Facal, Saddam Bush et le twit à Fillion.
Heureusement ce monde est bien trop cruel pour que le naturel ne revienne au galop. Parlant de canasson, vous l’ai-je dit, pendant que je penche ici vers d’autres sphères du journalisme, mon collègue Desjardins, qui a pris les rennes de Voir Québec, entreprend de combler le vide éditorial dès cette semaine en montant à son tour bravement au front, équipé de son détachant à sauce tomate, un peu comme le déserteur de Rimbaud.
Ce qui me fait penser que jadis j’avais suggéré à un ami du consulat de France que seule la Légion du déshonneur me ferait désormais accepter ses invitations. J’estime devoir profiter de cette étape pour réaffirmer que j’y ai amplement droit.
Merci à tous, durant ces années inoubliables, de m’avoir lu. Et comme le disait Robert Guy Scully en sablant un bon verre de Baby Duck : Maaaaadame Moooooossieur, de retour dès z’après la pôôse.