Crise du logement : Moi vouloir toit
Société

Crise du logement : Moi vouloir toit

La crise du logement frappe durement la province depuis plusieurs mois, au point où le taux d’inoccupation a atteint 0,3 % à Québec, 0,5 % à Gatineau et 0,7 % à Montréal. Québec devient ainsi la ville canadienne où la proportion d’espaces locatifs résidentiels est la plus basse avec à peine 300 ou 400 logements disponibles.

Si les propriétaires jubilent et profitent de la situation pour hausser les prix, il aura fallu dans la rue une campagne soutenue de manifestations et d’occupations pour faire bouger les autorités. Il y a quelques jours, plusieurs militants poussaient un soupir de soulagement avec l’annonce par le ministre délégué à l’Habitation, à Québec, d’une série de mesures dont le prolongement du programme de supplément au loyer accordé aux ménages à faible revenu et l’amélioration des programmes Accès Logis et Logement abordable Québec, ce qui s’ajoutait aux promesses déjà faites de construction de logements sociaux.

Alors que certains craignent que ces mesures ne soient pas arrivées à temps pour éviter la répétition, en juillet 2003, des troubles de l’an dernier et que certains projets de coopératives d’habitation souffrent du syndrome "pas dans ma cour", Voir s’est entretenu du phénomène avec Réjean Lemoine, ancien conseiller municipal du quartier Saint-Roch de 1989 à 1997 et, depuis, chroniqueur urbain à la radio de Radio-Canada.

Pourriez-vous retracer les grandes lignes historiques du développement urbain de Québec? Quels en sont les moments charnières?
"C’est à partir de la fin de la Deuxième Guerre, dans les années 50 et 60, qu’a débuté l’étalement urbain lors duquel une centaine de milliers de personnes ont quitté les quartiers centraux de Québec pour développer les banlieues. Auparavant, ces quartiers étaient très populeux, avec de grandes familles et beaucoup de promiscuité, et à la suite de ces départs, ce sont les pauvres et les personnes âgées qui sont restés."

Et on a ensuite développé le réseau routier pour desservir les banlieues?
"Effectivement, car dans les années 60 et 70, c’était l’époque fonctionnaliste, on restait en banlieue, on s’y achetait un bungalow et on venait travailler au centre-ville, d’où l’aménagement des circuits routiers qu’on connaît. Les années 70 sont une période importante avec la construction de l’autoroute Dufferin, c’est l’époque du béton qui s’est poursuivie jusqu’au milieu des années 80. Ça s’est écroulé à partir du moment où la composition des familles s’est transformée, la croissance démographique s’est arrêtée et le travail est devenu précaire. Depuis 1990, on assiste à un ralentissement de l’étalement urbain et à un retour progressif dans les quartiers du centre-ville. Par exemple, il y a déjà eu 12 000 habitants dans Saint-Roch, on est descendu à 3000 ou 4000 pour finalement remonter à près de 5000 aujourd’hui. Il y a un effet de tassement de l’étalement urbain et une nouvelle vigueur des quartiers centraux et de la ville."

Ces grands mouvements de population dont vous faites état étaient-ils aussi observables aux mêmes époques dans d’autres grands centres comme Montréal?
"Exactement, c’est un phénomène nord-américain. Ce qui caractérise le cas de Québec, c’est qu’il y avait au niveau des classes sociales une coupure géographique basse-ville/haute-ville et que cette coupure s’est aussi manifestée dans l’étalement urbain, la banlieue se développant aussi selon un modèle haute-ville/basse-ville."

Où trouve-t-on les racines de la crise du logement qui sévit présentement?
"C’est assez récent, on peut dire deux ans. Mais il faut aussi dire qu’il y a déjà eu d’autres crises, à la suite des grandes guerres notamment. Après 1945, quand les gens reviennent d’Europe, on fait même un camp sur les plaines d’Abraham car il y a trop de monde et pas suffisamment de logements. Ça ressemblait à un bidonville avec des cabanes et des tentes. Les crises de logement sont cycliques, elles sont en lien avec la construction et l’économie, mais ne surviennent pas nécessairement dans les cycles de dépression, au contraire.

Présentement, deux raisons importantes expliquent la situation. Depuis les années 70-80, les gouvernements se sont désengagés du logement social, particulièrement à l’échelle fédérale. L’autre phénomène, c’est que l’on cohabitait beaucoup plus auparavant et que la moyenne est aujourd’hui de 1,2 personne par logement, 25 à 30 % de la population étant constituée de personnes vivant seules. Ça explique que malgré le fait qu’il n’y a pas de croissance démographique et qu’il n’y a pas, à Québec, d’immigration comme à Montréal, on se retrouve avec un problème de logement. Cette crise-là est de beaucoup liée à une certaine forme d’individualisme et d’isolement des gens."

Mais qu’est-ce qui explique que l’on soit passé en quelques années de taux d’inoccupation de 5 et 6 % à ce que l’on connaît aujourd’hui? Il n’y a pas si longtemps, les propriétaires offraient des mois gratuits à la signature d’un bail.
"Ça faisait longtemps aussi que l’on ne construisait plus de logements sociaux et que les programmes gouvernementaux étaient orientés essentiellement vers la construction de maisons unifamiliales en banlieue. On assiste à la fin d’un cycle, et dans ce cas-ci la conjoncture économique est bonne, il y a plus d’emplois. De plus, beaucoup de gens qui étaient restés chez papa et maman ont décidé de se prendre un logement, ce qui ajoute en pression."

À Québec, avec un taux d’inoccupation de 0,3 %, on parle d’environ 300 logements disponibles, est-ce exact?
"C’est fort probable. Normalement, en bas d’un taux d’inoccupation de 1 %, on est dans les problèmes, car il n’y a plus de choix."

Il suffirait donc qu’une grosse entreprise ouvre ses portes ou qu’un paquet d’ados quittent le nid familial pour que la situation devienne très grave?
"Oui, mais je crois quand même qu’on a atteint le fond du baril. Il faut aussi noter qu’il y a deux marchés: il y a le locatif, mais dans la région de Québec, 65 % des gens sont propriétaires, et ceux-là sont tranquilles. Le problème du marché locatif, c’est qu’il est très concentré dans le centre-ville avec 80 % de logements dans des quartiers comme Saint-Sauveur ou Saint-Roch. Avec tous ceux qui arrivent à l’université et qui se cherchent un logement, il y a une limite, il n’y en a plus, et ce ne sont pas eux qui iront s’acheter une maison."

L’attrait des constructeurs pour les logements locatifs est-il passé?
"C’est probablement qu’ils n’y trouvent pas une assez bonne marge bénéficiaire, à cause des coûts de construction, des taxes et du manque de terrains. De plus, beaucoup moins de gens construisent des blocs appartements pour en faire leur fonds de pension; ils préfèrent mettre leur argent à la Bourse. Ce sont d’ailleurs, dans l’histoire, de telles crises qui ont forcé les autorités à s’engager."

Est-ce que vous considérez que le filon des coopératives d’habitation est sous-exploité et devrait être mieux financé?
"Oui, et il devrait peut-être aussi être financé autrement. Il y a certes un besoin pour des HLM, mais aussi pour des coops de qualité pour les gens qui ont des revenus un peu plus élevés. Nous n’avons pas comme en France de plan d’investissement »épargne-logement » qui permet aux gens d’économiser dans l’éventualité d’occuper un logement ou d’en acheter un. Une autre possibilité jamais envisagée serait d’offrir des prêts à des gens qui veulent acheter des édifices, comme le font certaines communautés ethniques au moyen de fondations, particulièrement aux États-Unis. Il y a quelques exemples à Montréal, mais pas à Québec."

En ce qui concerne les interventions de l’État, on constate que les villes, les provinces et le fédéral sont actifs dans le domaine. Qui mène le bal, et est-ce que la concertation est bonne?
"Le fédéral était très impliqué auparavant mais n’est plus là. C’est présentement le provincial qui mène le dossier; il en a toujours fait un peu, mais vu le manque de moyens et la structure qui est lourde, il ne peut faire de miracles. Il y a aussi le fait qu’on ne veut pas répéter des erreurs du passé en construisant d’immenses HLM de 500 logements, on sait que les ghettos, ça ne fonctionne pas. Mais à coup de cinq logements, ça n’avance pas vite. Cependant, avec l’annonce de Québec faite la semaine dernière et qui facilitera entre autres la tâche de la Société d’habitation du Québec, certains problèmes devraient être réglés."

Considérez-vous que certains groupes de pression exagèrent la situation?
"Il y a une vraie crise et ce n’est pas en la comparant qu’on peut juger de sa gravité. Elle a ses caractéristiques particulières, mais il est certain que rendu à ce niveau, beaucoup de gens cherchent des logements et ça pose problème."

En ce qui concerne les militants du FRAPRU ou encore les squatters activistes, croyez-vous que leurs gestes d’éclat ont eu un effet important et mesurable sur l’opinion publique et par la suite sur les décisions gouvernementales?
"Oui, c’est certain. Ils doivent parfois caricaturer la situation pour provoquer une prise de conscience et sensibiliser le gouvernement. Ils peuvent parfois donner l’impression que la situation est plus grave qu’en réalité, mais ça fait partie du jeu médiatique."

Est-ce que vous appuyez personnellement ce type d’actions si l’on considère que ça peut faire bouger les autorités?
"Mais oui, il faut qu’il se passe quelque chose! Il faut que ce soit fait par la génération des plus jeunes comme on constate qu’ils l’ont fait. C’est très sain dans une société démocratique!"