![Le déclin de l'Empire américain : Maître du monde](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/08/14960_1;1920x768.jpg)
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Le déclin de l’Empire américain : Maître du monde
Pas de doute: pour l’historien français EMMANUEL TODD, les États-Unis comme puissance première ont amorcé leur inexorable déclin après l’âge d’or de l’après-guerre. Une balance commerciale toujours plus déficitaire jumelée à un repli sur le militaire prenant pour cibles des États faibles, sont des signes qui ne trompent pas. Il publiait il y a quelques semaines Après l’Empire, essai sur la décomposition du système américain (Gallimard).
Propos recueillis par Frédéric Denoncourt
Photo : Ron Sachs/Corbis Sygma
"Je pense qu’on est dans un cas classique de mauvaise interprétation de ce qui se passe en ce qui concerne l’Empire américain. On interprète l’agitation planétaire du géant comme un signe de bonne santé, alors qu’en fait cela traduit plutôt le contraire. Si on prend la puissance industrielle, la réalité du monde, c’est une rétraction de la part relative des États-Unis: les Japonais ont 360 000 robots industriels, les Européens 200 000 et les Américains, 97 000. Plus de la moitié des satellites de télécommunications sont lancés par Ariane. La réalité, c’est que Airbus est en train de faire la peau à Boeing et on ne voit pas très bien comment l’industrie militaire américaine pourra survivre à l’effondrement de Boeing.
"L’Amérique s’est trouvée dans une situation inattendue qui a donné l’illusion de sa toute-puissance à la suite de la chute de l’Union soviétique. Depuis, sa propre économie est surtout un facteur de désordre et est devenue très dépendante; le déficit commercial américain a gonflé, entre 1990 et 2000, de 100 à 450 milliards de dollars. Au cours de cette phase de déstabilisation, les flux financiers se sont amenés aux États-Unis. Mon sentiment, et ce n’est pas dans mon livre, est que ces flux ont tué la volonté de renouvellement de l’industrie américaine. Les États-Unis sont un pays qui vit à crédit en important les capitaux des classes privilégiées du monde entier tout en prétendant que ces mêmes capitaux sont investis dans des activités productives, alors qu’ils sont en fait utilisés pour la consommation courante des Américains. Au XVIe, les galions chargés d’or entrant en Espagne l’ont tuée au lieu de l’enrichir…
"C’est pour ça que les Américains gesticulent autant et ont besoin de cet axe du mal improbable, cette collection de barbus et de non-barbus: Fidel Castro, Saddam Hussein et les Coréens. Quand on dit "l’Amérique est toute-puissante", je crois qu’il faut être pragmatique et se dire: mais quel est leur niveau de puissance? La réalité est que, même si leur régime est une parfaite abjection, ils provoquent un nain, l’Irak, pays sous-développé. Cela nous donne la taille de la puissance américaine. Or, leur tentation du militaire vient de ce que c’est leur dernier domaine d’excellence ou de supériorité apparente. Quand on se sent décliner, on a tendance à faire ce qu’on fait le mieux. Mais les Américains font tellement peur qu’ils sont en voie de perdre leur capital de légitimité acquis depuis la Deuxième Guerre mondiale.
"Les États-Unis ont été nécessaires au monde pour combattre le nazisme et contenir le communisme. Mais ils ont été prisonniers de ce rôle et se sont spécialisés dans le militaire en se laissant aller sur le plan technologique. On n’a pas d’exemple dans l’époque moderne d’un pays qui soit devenu grand par ses activités militaires; celle-ci n’est pas suffisante pour dominer un monde où les gens savent lire et écrire. Le militaire est destructeur, car on ne s’intéresse plus aux critères d’efficacité et de rentabilité. C’est l’économie du gaspillage. Une civilisation qui réussit, et c’est toujours la même histoire, est persuadée que c’est parce qu’elle est d’une nature fondamentalement meilleure. Mais en fait, il y a les circonstances et l’effort, et si on se relâche, il n’y a plus de réussite particulière."