Société

Grandes gueules : La prison existe soudain…!

"Il ne faut pas que la prison soit un endroit où on oublie les gens." – Albert Jacquard.

Une émeute éclate, les médias accourent. La prison et ses prisonniers existent soudain. Entre deux émeutes, il se passe des années pendant lesquelles la prison et ses prisonniers n’existent pas. Quand ça n’éclate pas, quand ça n’explose pas, ça n’existe pas…! Seuls une émeute, un suicide, la surpopulation ou une guerre de gangs rappellent l’existence d’une prison. Évidemment, une émeute, c’est ce qu’il y a de plus frappant pour envahir les nouvelles durant quelques jours. Et si par hasard une des causes de l’émeute était cette inattention chronique que nous pratiquons à l’égard de la prison avant l’émeute…?

Par définition, la prison est un foyer de tension. Celle des prévenus, des détenus, des gardiens et de tous ceux qui se trouvent à l’intérieur des murs. Tous ne réagissent pas à cette tension de la même façon ni avec la même vulnérabilité. Malgré tout le contrôle qu’on exerce pour canaliser cette tension, le volcan est imprévisible, personne ne peut contrôler ce qui se passe dans la tête d’un homme entouré de murs. L’espace de liberté qui reste pour un prisonnier est dans sa tête.

Il est possible pour un prisonnier d’exister autrement que dans son statut de détenu. Il est possible aussi pour un gardien d’exister autrement que dans son rôle de surveillant. Un gardien qui aide un détenu à choisir l’activité qui convient à ses besoins n’est plus seulement et uniquement un gardien. La relation d’aide entre gardiens et gardés non seulement canalise les tensions en prison, mais peut envoyer le prisonnier vers un aller simple pour la société. C’est ce qu’on appelle la réinsertion sociale.

Mais l’attention du gardien envers le prisonnier et toutes les activités qu’on lui offre ne peuvent suffire si la société reste indifférente à son sort. Si on lui accordait le dixième de l’attention qu’on accorde au déroulement des procès, ce serait déjà mieux. Une fois à l’intérieur des murs de la prison, la personne contrevenante ne nous intéresse plus. Elle est bonne à punir.

L’oubli est la pire des punitions. C’est moins par bonté de coeur qu’on devrait accorder davantage d’attention aux prisonniers que par intérêt social et économique. Ce qui nous coûte dramatiquement plus cher qu’une émeute tous les 10 ans, c’est le taux de récidive des prisonniers, qui oscillerait entre 55 % et 60 %.

Ce qui nous coûte cher aussi, ce sont les préjugés sur la prison. La perception qu’a la majorité des médias me paraît plus dangereuse que bien des émeutes. Une information non équilibrée est une fausse information. Un journaliste qui se contente de ses préjugés pour faire un reportage sur la dernière émeute à Bordeaux perpétue l’image d’une prison synonyme de mal. Barricade, bagarre, feu, casse, gangs, drogue: des mots qui croustillent et réconfortent les préjugés.

Alors qu’il se passe tellement de choses entre deux émeutes. Nous sommes plusieurs à travailler avec des prisonniers dans le sens de l’épanouissement et de l’ouverture sur la communauté. Dans chaque prison, il y a une vraie école avec de vrais profs. Près du secteur A, lieu de la dernière émeute à la prison de Bordeaux, se trouve un centre de formation complet récemment construit. On y offre de vrais cours de musique, d’arts plastiques, d’informatique, de croissance personnelle, ainsi qu’une bibliothèque. Cet aspect de la prison n’est presque jamais couvert dans les médias. L’attention dont les prisonniers ont besoin dépend aussi de la valorisation collective de leurs activités culturelles et scolaires. Bien canalisée, la tension d’une prison provoque des trésors de réflexions et de poésie.

Tous les jours, des émeutes de mots en prison éclatent en rap, des mots explosent en vers et en prose, frappent, assiègent, dérapent, étonnent, détonent, des mots écrits et criés, confiés, des mots colère, des mots repentir, des mots qui font du bien, des mots qui ne demandent qu’à être entendus. Une autre façon de payer sa dette à la société, c’est d’y revenir un peu moins révolté, moins frustré, moins délinquant, moins criminel et, pourquoi pas, plus épanoui. Tous les prisonniers ne sont que de passage en prison, mais beaucoup multiplient leurs passages. Pourquoi? Le concept d’une prison dont la seule vocation est de faire payer aux criminels leur dette à la société ne tient plus. Le système correctionnel au Québec fait tranquillement son virage en encourageant l’ouverture des personnes incarcérées à la communauté. C’est à mon avis la meilleure façon de rendre la prison plus humaine et moins dangereuse pour la société.

La prison nous appartient et nous sommes les premiers responsables de ce qui lui arrive. À nous de choisir clairement: une prison pour punir ou pour guérir. Le flou politique qui plane sur le Québec n’augure rien de bon pour notre proche avenir. Ce n’est pas avec un gouvernement de droite au Québec que les prisonniers bénéficieront d’une meilleure attention.