Les Britanniques et la guerre : Le projet Blair
Société

Les Britanniques et la guerre : Le projet Blair

LONDRES – Big Ben sonne les quatre heures. Il pleut. En temps normal, Miles Roddis et ses amis seraient en train de prendre le thé ou une bonne bière au pub du coin. Ce mardi, ils font plutôt la file devant la Chambre des communes pour rencontrer leur député et lui parler de l’Irak. Quoi qu’en dise Tony Blair, inaliénable partenaire de la Maison-Blanche, la guerre n’a pas trop la cote en Angleterre. C’est en tout cas ce qu’a constaté l’une de nos collaboratrices de passage à  Londres.

Avant la grosse manifestation du 15 février (400 000 personnes sont attendues dans les rues de Londres), la Coalition contre la guerre en Irak avait enjoint à tout le monde de prendre rendez-vous avec son député ce mardi-là. Avec pour résultat un bel embouteillage dans l’entrée des Communes, le fameux lobby.

"C’est de plus en plus clair qu’on se dirige vers une guerre. Je veux rencontrer mon député et lui expliquer pourquoi je suis contre. D’abord, on se prépare à s’aliéner tout le monde musulman!" Monsieur Roddis est un retraité du British Council, une agence gouvernementale créée pour faire la promotion de la culture britannique à l’étranger. On a vu plus radical comme antécédents. Ça faisait plutôt longtemps que Monsieur était sorti dans la rue. La dernière fois, c’était pour l’entrée dans le Marché commun, il y a une dizaine d’années.

Le dernier sondage mensuel du Guardian montre qu’à peine un Anglais sur trois appuie une action militaire contre l’Irak. Il s’agit du taux le plus bas depuis août. Passe encore une intervention sous le parapluie de l’ONU, mais les Anglais acceptent bien mal leur statut d’allié numéro un de George W. Bush. Tony Blair a beau multiplier les discours inspirés, le message ne passe pas. Au sein du parti, les dissidents se multiplient. La députée Alice Mahon fait partie des contestataires: "Tony Blair n’a pas fait la démonstration de la nécessité de la guerre. Les gens ne sont pas stupides, ils s’en rendent bien compte. La manifestation du 15 va montrer à quel point l’opposition est grande. Au sein du parti, la moitié des députés sont déjà contre."

à quoi pense Tony Blair?
Encore surpris par les décisions de leur premier ministre chéri, certains l’excusent encore et espèrent le voir revenir dans le droit chemin des travaillistes. M. Roddis croit que "Blair n’est pas malhonnête, il est mal conseillé". Pour Tony Myers, bénévole pour la Coalition pour le désarmement nucléaire (CND), les gens n’arrivent tout simplement pas à suivre: "C’est normal que les gens se questionnent, le discours a tellement changé. Au début, c’était Al-Qaeda, maintenant c’est l’Irak. Ceux qui ont voté pour le Parti travailliste ne sont pas contents. Ce n’est pas ce qu’ils attendaient de leur gouvernement. Personnellement, je n’en reviens pas encore de la position de Tony Blair."

Selon William Wallace, de la London School of Economics, le premier ministre est pris entre l’arbre et l’écorce. "Tony Blair essaie de trouver le juste milieu entre sa relation particulière avec les États-Unis et la politique étrangère de son parti dont la tradition est fondée sur le droit international." Comme tout le monde ici, ce spécialiste de la politique étrangère s’interroge sur les plans réels du premier ministre: "Que fera Blair si la France et l’Allemagne s’opposent à une nouvelle résolution du Conseil de sécurité? Continuera-t-il à appuyer les Américains?"

En attendant les nouvelles, Londres est placardée d’affiches contre la guerre. Des conférences et débats publics sont organisés dans les quartiers, les vedettes prennent position. Certains dans la polémique, comme George Michael avec son vidéoclip Shoot the Dog où l’on voit Tony Blair traîné en laisse par le président Bush. La Coalition contre la guerre a aussi produit une compilation de chansons pacifistes avec Massive Attack, Public Enemy et Ani DiFranco, notamment. D’autres artistes sont plus discrets, comme l’acteur Alan Rickman, rencontré par hasard lors de la manifestation du 21. "J’ai signé la pétition et je suis contre la guerre. C’est le cas de plus en plus de gens ici, vous savez", d’expliquer celui qui jouait le rôle d’un méchant terroriste dans Die Hard.

Londres, capitale du terrorisme international
Dommage pour Tony Blair que les États-Unis aient choisi de chasser Saddam Hussein au lieu d’Al-Qaeda parce qu’en ce qui a trait à la lutte au terrorisme, les Anglais sont assez sensibilisés. Chaque jour amène ses nouvelles histoires d’immigrants illégaux interceptés par la police alors qu’ils préparaient un mauvais coup. Au début du mois de janvier, la police a découvert un petit laboratoire de ricin dans le Nord de Londres. Deux semaines plus tard, un policier était tué par un sans-papiers lors d’une perquisition à Manchester dans le cadre de la même enquête. S’ensuivit une grande opération policière à la mosquée de Finsbury Park dont l’imam, Abou Hamza al-Masri, est perçu comme un islamiste radical. Sept personnes ont été arrêtées. Dans un journal local, l’imam affirmait qu’il s’agissait de concierges et de surveillants. Des saisies effectuées simultanément en Espagne et en Italie mènent aussi à la filière londonienne. Les commentateurs de droite dénoncent le laxisme de la loi sur l’immigration pendant qu’à gauche, on craint des dérives xénophobes en Angleterre. C’est connu, Londres est une ville d’immigrants, souvent musulmans, qui n’ont pas besoin des soins de la politique internationale pour chercher à trouver leur place.

D’ailleurs, les visages basanés se faisaient rares lors de la campagne de lobbying à Westminster. Parmi les exceptions, Mangula Ossman, une jeune militante de l’Association des musulmans de Grande-Bretagne. "C’est vrai que nous ne sommes pas nombreux. Il y a beaucoup d’éducation à faire pour convaincre les immigrants ici qu’ils peuvent encore avoir une voix au parlement. Les gens n’ont pas peur de manifester, ils se demandent juste à quoi ça peut bien servir."