![Les Irakiens face à la guerre : Deux poids, deux démesures](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/07/15343_1;1920x768.jpg)
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Les Irakiens face à la guerre : Deux poids, deux démesures
Que penser des intentions d’un gouvernement étranger qui veut attaquer votre pays pour renverser un tyran? Nous avons interrogé six Irakiens d’ici.
Denoncourt Frédéric
S’ils sont unanimes à dire que le régime de Saddam Hussein est proprement abject, le recours à la force pour le déloger les divise. Certains sont prêts à jouer leur va-tout et soutiennent toute action, même violente, pour renverser Saddam, car les exactions perpétrées par le régime tueraient plusieurs personnes chaque jour. Pour les autres, une guerre implique toujours trop de souffrances… Tous nos interlocuteurs ont de la famille en Irak.
Guerre et… paix?
Mohammad Nadim Al Taie a vécu 25 ans en Irak avant de s’enfuir. Il a bien connu le régime de Hussein. Il est de ceux qui croient que la population irakienne n’a plus rien à perdre. "La guerre est la seule façon de détrôner Saddam. On n’a plus le choix. Quels que soient les troubles, les souffrances, son départ est la priorité et le peuple irakien est prêt à tout pour qu’il parte", dit-il, ajoutant que les manifestations pro-Hussein en Irak ne sont, selon lui, que du théâtre imposé. "Les gens sont forcés de manifester, sinon ils sont morts. Je veux également dire à ceux qui manifestent ici contre la guerre d’écrire aussi sur leurs pancartes que Saddam doit partir."
"Saddam est pire qu’une guerre. Parmi les gens qui ont manifesté à Montréal, je vous assure qu’il n’y avait pas 50 Irakiens", corrobore Al Hatmi (pseudonyme), qui refuse de dévoiler son nom, par crainte de représailles contre ses proches.
Très optimiste, Al Hatmi espère une guerre-éclair, qui ne ferait qu’un minimum de victimes et de dommages, vu l’impopularité grandissante du régime. "Les gens se rebelleront dès qu’ils verront que Saddam est affaibli. Pour ces raisons, la guerre pourrait être ni dure, ni longue, car personne ne défendra Saddam."
Le prix de la guerre
Dans l’esprit de Basil Razzak, qui a passé 28 ans en Irak, Hussein est un tyran sans pitié, soit. "C’est sans doute le régime le plus brutal et dictatorial au monde. Et contrairement à ce que certains pensent, Saddam n’a pas torturé et exécuté que des Kurdes. Il est contre tout le monde. On ne peut tenter quoi que ce soit contre le régime, car un simple doute quant à vos intentions et on vous fait disparaître avec toute votre famille."
Toutefois, M. Razzak s’oppose aux nombreux Irakiens qui, dit-il, veulent la guerre, prétextant que c’est là l’unique solution. "Quel sera le prix à payer? Qu’est-ce que la démocratie sans un peuple vivant et en santé? Je ne parle pas de milliers, mais de millions de morts avec les bombes et toutes les conséquences sur la santé." Depuis 1991, outre la pénurie de médicaments et de nourriture, plusieurs centaines de personnes contracteraient le cancer à cause de l’uranium appauvri laissé par les bombes. "Les Américains n’ont pas le droit de changer les choses comme ça, on doit tenter quelque chose d’autre."
Arrivée au Québec à l’âge de trois mois, il y a 21 ans, Shaima Al-Khalili s’oppose aussi avec force à une intervention américaine qui, croit-elle, n’a que faire de tirer un peuple des griffes d’un bourreau. Elle soutient que ses proches sur place craignent maintenant une guerre urbaine. "Si les gens veulent un changement de régime, ils doivent le faire eux-mêmes. Ce n’est pas aux États-Unis à agir pour ensuite placer un gouvernement qui leur soit favorable pour le contrôle du pétrole ou quoi que ce soit", ajoute celle pour qui guerre, embargo et régime Hussein sont des maux équivalents.
Ni guerre, ni dictature
Pour Farah Kaysi, qui elle non plus n’a jamais connu son pays d’origine, le dilemme est grand entre tenter le tout pour le tout et prendre le risque de garder le régime en place. Elle fait remarquer combien il est ardu d’avoir des informations sur ce qui se passe dans le pays et comment se sent sa famille. "Ils ne peuvent jamais parler franchement ou dire ce qu’ils veulent parce que les lignes téléphoniques sont sous écoute. On ne parle jamais de guerre ou de politique. Même les courriels sont surveillés.
"Un peuple entier souffre du régime de Saddam, mais je ne veux pas la guerre non plus. Des deux côtés, il y a du négatif: le peuple va souffrir de la guerre, mais moins que maintenant… je ne sais plus. J’espère qu’on pourra retirer Saddam et éviter une guerre, ajoute-t-elle, disant craindre pour sa famille. J’aimerais aussi que les Américains arrêtent leur bullshit et disent: on y va pour le pétrole."
Débarqué au Québec il y a deux ans, A.S. désire n’être identifié que par ses initiales afin de ne pas mettre sa famille en danger. "J’ai été chanceux de pouvoir sortir du pays; je ne devais pas être sur la blacklist, dit celui qui quitta l’Irak en 1994, d’abord pour la Libye. Je connais le régime de l’intérieur et de l’extérieur. On a beaucoup d’histoires de ceux qui ont fui le régime, ce qui donne une excellente vue de la situation."
A.S. incarne toute l’ambivalence d’un peuple ne sachant plus à quel saint se vouer. "Je crois que la meilleure chose est de se libérer de Saddam, mais en même temps je ne veux pas que cela se fasse par la guerre. Je hais la guerre, c’est la chose la plus sale qui soit. Je dis non à la guerre, non à la dictature. Mais elle s’en vient et il y aura beaucoup de morts. Les Américains ne sont pas sincères quand ils disent envoyer leurs troupes pour le bien des Irakiens, ils jouent la carte des droits humains pour leur propre intérêt. Nous paierons pour chaque dollar dépensé pour cette guerre, nous paierons pour ça", dit-il avant d’ajouter, quelques minutes plus tard: "Écrivez que les Irakiens ne croient pas que les Américains seront bons pour eux; mais en ce moment, il y a tellement d’exactions qu’ils accepteraient l’intervention d’une force venant de la Lune pour les aider. Mon frère me disait qu’ils sont prêts à n’importe quoi pour avoir un changement, n’importe quoi. Le régime tue plein de gens chaque jour, alors ils font ce pari: en un an, c’est plusieurs milliers de victimes, donc perdons ces gens en un mois de guerre et voilà, peut-être serons-nous libérés…" croit celui pour qui même la Garde républicaine ne se battra pas longtemps pour Saddam. "Au fond, tout ça n’est qu’une grosse game, c’est comme du théâtre qui se joue où chacun, de chaque côté, tient son rôle…"
Un sauf-conduit pour Saddam?
Basil Razzak est également d’avis que le régime Hussein est moribond et qu’il ne bénéficiera pas d’un grand soutien des militaires et de la population s’il y a attaque. "Mais, pour se débarrasser de Saddam, doit-on sacrifier tout le pays?" Une autre solution s’imposerait pour minimiser les pertes: un sauf-conduit pour Hussein et sa famille. "Les pays occidentaux doivent décréter que le régime irakien est illégitime et qu’ils sont contre. Par la suite, qu’on laisse Hussein quitter le pays avec sa famille, même sans être jugé, sur la Lune ou ailleurs, je m’en fous. S’il vous plaît, demandez à vos gouvernements du Québec et du Canada de négocier avec tous les pays pour que l’un d’eux l’accueille, afin de laisser les Irakiens vivre en paix et leur éviter d’autres souffrances."