![Réjean Thomas: 20 ans sur le front du sida](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/07/15519_1;1920x768.jpg)
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Réjean Thomas: 20 ans sur le front du sida
Après 20 ans de travail sur le front du VIH, RÉJEAN THOMAS et ses collègues de la clinique L’Actuel de Montréal lançaient le 17 février dernier un site Internet diffusant de précieuses informations sur les MTS. Une initiative qui, en plus de combler une carence en santé publique, permet aux usagers de recueillir des renseignements en toute confidentialité.L’occasion de faire le point sur la situation du VIH et des MTS en 2003.
François Desmeules
Des nouvelles du front
Après 20 ans de travail sur le front du VIH, RÉJEAN THOMAS et ses collègues de la clinique L’Actuel de Montréal lançaient le 17 février dernier un site Internet diffusant de précieuses informations sur les MTS. Une initiative qui, en plus de combler une carence en santé publique, permet aux usagers de recueillir des renseignements en toute confidentialité.
L’occasion de faire le point sur la situation du VIH et des MTS en 2003.
On a l’impression que les années 2000 banalisent les MTS… depuis qu’on ne meurt plus nécessairement du sida?
Absolument. Le changement d’attitude par rapport au sida et la baisse de sa médiatisation ont provoqué une diminution des comportements sexuels sécuritaires. Depuis 1996, année de l’arrivée de la trithérapie pour traiter les porteurs du VIH, on constate une remontée spectaculaire des MTS, dont la syphilis, qui revient en force.
Peut-être que cela concordait aussi avec un relâchement des ressources, alors qu’on était réconforté par la victoire de la trithérapie…
Relâchement des ressources de la santé publique, épuisement et usure. Les gens qui enseignaient étaient écoeurés d’en parler… Et avec quelles conséquences! Les jeunes séropositifs dans la vingtaine que l’on rencontre aujourd’hui, ils avaient 10 ans quand on parlait du sida, et ils ont l’impression qu’ils n’en ont plus entendu parler par la suite. L’autre jour, un jeune gai séropositif m’a dit: "Pour moi, c’est de la science-fiction, le sida… jamais entendu parler." Ce sont les cas les plus difficiles, ils ne comprennent pas ce qui leur arrive… c’est un autre monde.
Donc, finalement, au Québec, on assiste à une augmentation des cas de VIH et à une diminution de la mortalité.
Les statistiques ne sont pas encore très précises au Québec.
Mais, oui, on voit au Canada une augmentation réelle des cas de VIH.
Est-il vrai, comme je l’ai entendu dire, que la trithérapie atteint actuellement ses limites et que des gens ont "recommencé" à mourir?
Oui, mais ça, dans un certain sens, c’est un peu exagéré. D’abord parce que la trithérapie n’est pas très efficace chez les gens infectés depuis 15 ou 20 ans. Ensuite, c’est la co-infection par le virus de l’hépatite qui provoque le plus de mortalité, et la trithérapie ajoute une toxicité hépatique sévère…
Nous ne sommes pas rendus à la fin de l’efficacité de la trithérapie Mais le vaccin thérapeutique dont on parle beaucoup en France ces temps-ci est certainement l’enjeu des prochaines années.
Votre présence sur une tribune de l’ADQ en a surpris certains. Êtes-vous pour une médecine à deux vitesses?
Il y avait un débat sur la santé à l’ADQ. Je suis allé présenter le modèle de ma clinique privée, où les soins sont gratuits. J’ai beaucoup de difficulté à faire comprendre ce principe aux fonctionnaires. Je voulais parler du financement pour les cliniques privées dont le mandat est public et les soins gratuits. Au Québec, 400 de ces cliniques médicales privées ont fermé leurs portes entre 1996 et 2001. Or, 85 % des malades ne vont pas dans les CLSC, ils vont dans les urgences ou les cliniques.
Malgré cela, est-ce que le travail sur le terrain reste encourageant?
De 92 à 96, tout le monde mourait du sida. C’était la première cause de mortalité chez les hommes au centre-ville de Montréal. Si la trithérapie n’avait pas été là, je pense que je serais parti. Depuis, heureusement, la recherche a beaucoup évolué. On critique l’industrie pharmaceutique, mais ils sont les seuls à faire de la recherche. Le gouvernement, par exemple, pourrait investir dans le développement d’un vaccin. Un champ que l’industrie ne veut peut-être pas explorer…
Plus intéressée à vendre des cachets?
Je ne sais pas mais on pourrait le supposer…
Pour revenir au terrain, ça reste difficile parce que la nouvelle clientèle est très maganée. Problèmes de santé mentale, schizophrènes séropositifs, toxicomanes affligés de l’hépatite, sans-abri… Même la nouvelle clientèle gaie est plus démunie qu’avant.
Cependant, le pire demeure le labyrinthe administratif contre lequel on se bat.
Vous vous êtes justement intéressé à quelques reprises à l’aspect politique de la santé publique. Récemment, on vous pressentait au cabinet…
J’ai appris en écoutant les nouvelles que j’allais être nommé au cabinet de Bernard Landry. Personne ne m’a jamais rappelé. Mais j’ai des contacts politiques depuis deux semaines.
Comment est-il possible que dans un système de santé universel, le choix du lieu auquel on s’adresse puisse faire la différence entre vivre et mourir?
On sait maintenant que l’expertise dans la prescription et le choix des traitements, ainsi que dans le suivi, fait une différence dans l’espérance de vie des malades. Bien avant la trithérapie, cette différence de mortalité était de 18 mois. Maintenant, l’un des enjeux pour les nouvelles clientèles reste aussi l’accès aux ressources psychologiques pour permettre aux patients de bien comprendre leurs responsabilités.
Le VIH est une maladie qui a évolué; on ne passe plus des mois dans les corridors d’hôpital. Le gouvernement doit adapter ses investissements en conséquence.
Rétrospectivement, y a-t-il eu dans le cas du sida des erreurs si patentes dans le système de santé que des gens qui n’auraient pas dû en mourir en sont morts?
Oh oui! La difficulté d’hospitalisation, ç’a été une longue bataille. On posait des diagnostics de pneumonie rare. Les gars de l’hôpital n’avaient jamais vu cette maladie et ils retournaient les malades à la maison. J’ai un cas qui est mort comme ça. La bataille de l’accessibilité aux ressources médicales a certainement coûté la vie à plusieurs personnes.