

Un agriculteur contre le monopole des OGM : Un grain dans l’engrenage
François Desmeules
En 1998, PERCY SCHMEIZER, cultivateur de la Saskatchewan, s’aperçoit qu’une plante résistant aux insecticides traditionnels pousse dans son fossé aux limites de son champ. Le canola transgénique de la multinationale Monsanto a contaminé ses cultures. S’ensuit une poursuite judiciaire retentissante de Monsanto pour usage illégal de semences brevetées. Deux cent mille dollars plus tard, Percy Schmeizer vient de perdre cette cause en cour fédérale. Qu’à cela ne tienne, l’homme de 71 ans, couvert de dettes mais soutenu par des milliers de sympathisants de par le monde qui s’opposent au monopole des cultures, transgéniques ou pas, porte sa cause en Cour suprême. Survol d’un enjeu stupéfiant.
Vous prétendez que les semences transgéniques de Monsanto ont contaminé votre champ par accident. Ce n’est pas ce qu’a conclu la cour, sans pour autant démontrer votre culpabilité à des accusations de vol.
Le juge a considéré que peu importe comment ces plants s’étaient retrouvés dans mon champ – oiseaux, pollinisation, déversement accidentel de grains sur la route -, je violais le brevet de Monsanto sur ses semences transgéniques.
Comment Monsanto a-t-il constaté que ses semences brevetées poussaient dans votre champ?
Monsanto dispose de sa propre force de police. Une force considérable. Ils engagent des anciens membres de la GRC et encouragent la délation en offrant des primes-cadeaux si vous dénoncez vos voisins.
Ils visitent les champs sans permission et vérifient. On ne voit pas la différence à l’oeil nu mais c’est facilement vérifiable puisque leurs plants résistent aux insecticides normaux…
On a l’impression que l’incident, qui ne concerne que quelques centaines de plants, est sans conséquence pour Monsanto. Pourquoi vous ont-ils poursuivi durant cinq ans?
Parce qu’ils veulent empêcher les fermiers d’utiliser leurs propres semences, comme la loi canadienne l’autorise. Ils veulent imposer les leurs partout. Ma femme et moi développions notre propre variété de canola en faisant du croisement depuis plus de 50 ans.
Les enjeux ne se mesurent que sur une grande échelle?
Et ils ne sont pas uniquement reliés à la santé, comme les gens le croient souvent. Ensemencer un champ ce canola coûte normalement 9 dollars l’acre. Les semences de Monsanto atteignent 50 dollars l’acre. Un cultivateur standard cultive entre 200 et 500 acres par année… La culture des OGM est devenue très très dispendieuse depuis quelques années, sans compter que ça contamine votre champ pour longtemps.
Que voulez-vous dire?
Le canola OGM de Monsanto résiste aux insecticides habituels. Si vous voulez changer de semences au bout d’un an, il faut vous en débarrasser. Et si la semence, qui se pollinise très facilement par le vent, se répand dans les champs de blé et qu’on n’arrive pas à éliminer le canola, que faire?
Eh bien vous allez rire: Monsanto a mis au point trois nouveaux super insecticides pour tuer cette plante. Ils ont créé un nouveau problème et ils vendent l’unique solution pour tuer le problème.
En inventant des plants transgéniques dotés de qualités telles que la résistance et le rendement, Monsanto vise donc un monopole des semences…
Les contrats avec Monsanto contiennent trois clauses. 1) Vous renoncez à utiliser vos propres semences. 2) Les insecticides et traitements doivent être achetés chez eux. 3) Et pire, si vous commettez quelque infraction au contrat, Monsanto peut saisir la récolte pour la détruire et la contrôler durant trois ans. Ils font signer une entente de confidentialité qui interdit de discuter de votre cas publiquement et de les poursuivre pour contamination… Les agriculteurs qui cultivent du Monsanto commencent donc à avoir peur des poursuites de leurs voisins.
Quelles sont les prochaines étapes de votre combat?
Je poursuis Monsanto pour contamination. Mais il faut avant cela que j’aille en Cour suprême pour essayer de renverser leur jugement. Car nous avons déjà dû hypothéquer la ferme et tous les bâtiments Et je n’ai plus d’argent.
Mais je suis optimiste; le jugement de la Cour suprême sur les souris transgéniques, qui stipule qu’on ne peut breveter une forme supérieure de vie au Canada, ça aide mon cas…
Il y aura beaucoup de pression pour protéger les intérêts des multinationales…
Ils essaient déjà de nous ruiner financièrement et mentalement… le juge a statué que toutes mes plantes et cultures appartenaient à Monsanto. J’ai perdu 50 ans de travail. Heureusement, je suis soutenu par l’Union nationale des fermiers, Les Amis de la terre et bien d’autres individus. On parle beaucoup de mon cas en Europe, en Suisse…
Vous avez 72 ans. Ce genre de procès peut durer des années…
Non, nous devrions avoir un jugement de la cour dans les six mois… Bien sûr, je préférerais pêcher avec mes petits-enfants, mais il faut combattre jusqu’à la fin.
Parce que je crois que les fermiers ont le droit de faire pousser ce qu’ils veulent. Lancer des semences dans l’environnement, contaminer les champs des agriculteurs et ensuite obtenir le droit de détruire les récoltes à cause d’un brevet… c’est immonde.