![Rencontre avec Bernard Kouchner : Un boucher, des bouchés – Bernard Kouchner](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/07/15770_1;1920x768.jpg)
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Rencontre avec Bernard Kouchner : Un boucher, des bouchés – Bernard Kouchner
"La presse française va encore m’accuser d’être pro-guerre! You know? Bang! Bang!" crie BERNARD KOUCHNER à un journaliste suédois avant d’entamer une nouvelle ronde d’entrevues. Dans le clivage actuel entre l’Europe et l’Amérique, et entre pacifistes durs et va-t-en-guerre, ses préoccupations simples en indisposent pourtant plusieurs: il voudrait qu’on écoute le peuple irakien qui, tout en craignant la guerre, veut qu’on le débarrasse de son tortionnaire!
François Desmeules
À l’approche d’une guerre annoncée, vous multipliez les interventions publiques en votre nom personnel…
Oui, parce que dans un tel concert d’unanimité, ma position n’est pas celle des autres, pas celle de Chirac, pas celle de monsieur Bush, que par ailleurs je comprends très bien… Mais on ne peut plus parler des Irakiens, c’est impossible.
Quelle est cette position en un mot?
Non à Saddam et non à la guerre! Je regrette que Bush ait présenté cette guerre comme une croisade, que Chirac parle de veto au lieu de continuer les démarches communes de la communauté internationale.
Entre ces deux erreurs, personne n’a parlé des Irakiens. Et de ce qu’ils souhaitaient. Il faut libérer le peuple irakien, organiser des élections avec des gens intéressés par la démocratie. Faire cela sans guerre, en exerçant une énorme pression contre Saddam; mais les droits de l’homme, les dangers d’une guerre pour les Irakiens n’ont pas été pris en compte, et c’est la faute de Bush.
Cette confrontation des nations occidentales ne repose-t-elle pas de toute manière sur les intérêts financiers divergents de la France et des USA, par exemple?
Oui, la France cherche le pétrole comme tout le monde… mais l’essentiel est un énorme malentendu entre la vieille Europe et les USA, et on a joué sur l’antiaméricanisme.
Mais ne croyez-vous pas que sans menace de veto français ou russe, la guerre serait déjà déclenchée?
Elle va se déclencher de toute manière. Parce qu’on a coincé les Américains. Politiquement, ils n’ont pas de porte de sortie.
Fallait-il discuter avec Saddam Hussein?
Non! Il fallait discuter avec l’opposition. Et ne discuter que d’une seule chose: le départ de Hussein. Plus de Saddam Hussein: plus d’armes de destruction massive… sinon il va encore en fabriquer. Mais nous n’avons pas proposé de solution de rechange. On n’a même pas invité les Irakiens à des discussions. Le chef de la résistance sunnite, Kemal Makiah, qui est prisonnier, on aurait pu exiger par exemple qu’il soit placé à la tête de l’État.
Les télévisions nous rapportent des images qui veulent témoigner d’une vaste unanimité du peuple irakien derrière Saddam…
Allons donc: c’est un boucher. C’est de la manipulation permanente. Je sais de quoi je parle, j’ai travaillé dans ce pays durant 25 ans. Là-bas, on ne reçoit de la nourriture que si on est sur la liste du parti Baas. Hormis la guerre Iran-Irak, Saddam a fait 500 000 morts, sans compter les 182 000 disparus, dans son opération de nettoyage ethnique dont on n’a jamais retrouvé les corps. C’est quelque chose! Les Kurdes, depuis l’instauration de la No Flying Zone, ont vu baisser la mortalité infantile de 82 pour 1000 a 62 pour 1000, alors que Saddam les sous-alimente.
Y’a jamais eu d’embargo sur les médicaments, c’est Saddam qui le provoque.
Que dites-vous à ceux qui manifestent quotidiennement pour la paix?
Qu’on est tous contre la guerre, moi-même d’ailleurs; personne n’a demandé aux Américains de la faire. Mais je veux dire ce que j’ai vu, ce que je sais. Je veux dire aux manifestants de porter aussi des centaines de pancartes où serait inscrit: "À bas Saddam Hussein", pas seulement "À bas Bush". C’est quand même pas pareil. Saddam, c’est un boucher!
Médecins du monde et vous-même retournerez-vous sur le terrain, advenant un conflit?
Médecins du monde est déjà au Kurdistan; moi, j’ai passé l’âge… On n’emmène pas les vieillards sur ce genre de terrain.
Advenant une guerre, peut-être n’y aura-t-il que peu de résistance des forces armées de Saddam?
Je ne sais pas. Je crains le pire. Dommages collatéraux, etc. Mais les Irakiens sont prêts à l’endurer. Pour eux, ce sera une libération, pas une guerre. Même si elle aurait dû être évitée.
À l’invitation de Reporters sans frontières, Bernard Kouchner prononce une conférence sur la communauté internationale face à l’Irak vendredi prochain, 19 h 30, à l’amphithéâtre du pavillon Henri-Julien, 4750, rue Henri-Julien. Admission gratuite.