La guerre Irak/États-Unis vue par l'Iran : Les amis des mes ennemis sont…
Société

La guerre Irak/États-Unis vue par l’Iran : Les amis des mes ennemis sont…

Maintenant que le sort en est jeté pour l’Irak, les faucons de la Maison Blanche, déjà un peu partout dans les émissions d’actualité, s’exclament: "Aux suivants!" Et leurs regards se tournent irrémédiablement vers l’Iran, accusé d’avoir initié les organismes qui perpètrent des actes de terrorisme contre les intérêts américains. Irak, Palestine… Iran? Les conflits du Moyen-Orient dégénèreront-ils en guerre de religion? Que pensent les Iraniens du conflit actuel. Notre correspondant, le journaliste iranien Davou Dehgan, a pris le pouls de sa  population.

L’affaire Irak: Les 1001 états des Iraniens

Bien que moins nombreux par rapport à l’année dernière, les Iraniens étaient pourtant des dizaines de milliers à crier "mort!" aux États-Unis à l’occasion du 25ème anniversaire de la révolution islamique, il y a quelques semaines.

"Il faut que les États-Unis arrêtent de décider pour les autres. Nous sommes contre la guerre en Irak", s’écrie Mohammad Sahebi, 46 ans, invalide de guerre qui, en chaise roulante, vient "exprimer sa haine contre la politique américaine". Provenant de la bouche d’un ancien gardien de la révolution qui a combattu contre l’Irak, cette position peut choquer, mais elle est pourtant partagée par la majorité des Iraniens.

Journalistes et intellectuels vivent une situation ambiguë et très émotive. On a un double sentiment, déclare Ahmad Zeydabadi, journaliste au quotidien Hamshahri, et connu pour ses positions pro-américaines. D’un côté, on est contre tout ce qui déstabilise la situation déjà instable de la région. De l’autre, on ne peut pas être pour la dictature en Irak. Les Irakiens étant paralysés par un État policier, le changement ne peut venir que de l’extérieur. En plus, l’Iran une guerre en Irak peut faire le profit de l’Iran. Ça dépend de la manière dont elle est exploitée. Il est très probable que la guerre en Irak adoucisse la politique intérieure des religieux et des conservateurs d’ici qui sont désireux de se maintenir au pouvoir."

Effet domino? Plusieurs Iraniens commencent à croire que les choses pourraient changer pour l’Iran, selon l’évolution de la politique intérieure du pays. Même s’il y avait adoucissement des politiques ici, reste à savoir si les Américains accepteraient que les mollahs demeurent à la tête de l’État.

"À mon avis, non." tranche Ahmad Zeydabadi . Et qui les remplacera? "Il y a des possibilités dans la diaspora iranienne à l’étranger. Le moment venu, l’Iran aura son Karzay." conclue-t-il. Cette stratégie américaine d’étatisme, dont on commence à parler à Washington, n’échappe évidemment pas au chef de la diplomatie iranienne, Kamal Kharrazi, qui, lors d’une visite officielle à Oman, a déclaré: "Les Américains ne se contenteront pas de l’Irak. Leur but est de changer tous les États de la région, sous le prétexte d’établir des régimes démocratiques. Ils rêvent en effet de renforcer l’État israélien." Ainsi, pour bien démontrer la démocratie islamiste, annoncée depuis maintenant six ans par le président Khatami, dans moins d’une semaine, l’Iran vivra la deuxième édition des élections municipales. Mais pour les adeptes de la participation, ces élections ne traiteront pas de problèmes régionaux et ne porteront pas sur l’instauration d’une nouvelle démocratie.

Ainsi, depuis que Bush a identifié le pays comme membre de l’axe du mal, l’Iran prépare la guerre: le 14 février, la marine iranienne, avec sa flotte et des dizaines de milliers de soldats, se livrait à des centaines d’heures d’entraînement et de manouvres à Boushehr, ville située dans le sud du pays, au Golf persique.

solidarité chiite
Le fait que les Chiites représentent 80 % de la population en Irak crée un sentiment de solidarité chez leurs compatriotes iraniens de même confession. "Il y a cinq ans, raconte Um Ehsan, militante irakienne réfugiée en Iran, on récoltait de l’argent pour les nourrissons irakiens. Je suis allée frapper, sans le savoir, à la porte d’une femme dont le fils avait été tué dans la guerre Iran-Irak. Elle m’a quand même bien accueillie en me disant que nous étions tous musulmans chiites et que nous devrions nous entraider." Avec cette sensibilité religieuse en tête, la propagande officielle joue maintenant sur la nécessité de combattre et de s’opposer à la guerre contre les musulmans irakiens, alors qu’il y a cinq ans, Akbar Ganji, journaliste réformateur, a été condamné à 15 ans de prison et à cinq ans d’exil pour avoir qualifié, entre autres, la guerre d’Iran-Irak de "fratricide".

Minoritaire dans un Golf persique composé majoritairement de Sunnites, le gouvernement iranien s’emploie à conserver sa popularité pourtant décadente chez les Chiites. L’opposition irakienne à la guerre est évidemment bien accueillie en Iran. L’ayatollah Hakim, le président de l’Assemblée des Irakiens en exil, dirige une armée de quelque dizaines de milliers d’hommes entraînés par les gardiens de la révolution, dans les camps militaires du sud de l’Iran. "Nous avons également des forces à l’intérieur de l’Irak", ajoute l’ayatollah Hakim, dont le bureau situé dans le sud de Teheran, pas très loin du bazar où travaillent les commerçants irakiens, est gardé par deux soldats de son armée en tenue militaire, Kalashnikof à la main.

Par ailleurs, l’OMK, l’Organisation des Mujahidin du Peuple représentant l’opposition iranienne basée en Irak, cherche par tous les moyens à profiter de l’occasion qui lui fournirait le déclenchement de la guerre qu’ils préparent sérieusement afin de servir leurs intérêts dans le sillage de l’armée américaine. Mais faute de popularité, l’organisation, elle, est bien loin de représenter un nombre important d’Iraniens.

"Que ce soit en Afghanistan ou en Irak, la guerre américaine ne nous concerne pas. Il faut que le gouvernement iranien arrête d’intervenir dans les affaires de ses voisins. L’Iran a d’autres chats à fouetter. Le taux de chômage est de 18 %. Les Irakiens, comme les Afghans, sont contents de pouvoir se débarrasser de la dictature. En Afghanistan, le jour des attaques, tous les Afghans étaient contents. C’était presque la fête. Bien sur, il y a eu des morts, mais qu’est ce que vous voulez? C’est la guerre." C’est ce qu’a déclaré un jeune ingénieur de la télécommunication, rencontré à l’aéroport de Mehrabad, à Teheran, et qui veut garder l’anonymat avant de s’envoler à Dubai pour ses quatre jours de congé de l’anniversaire de la révolution. "J’en profiterai pour déposer une demande d’immigration auprès du consulat américain à Dubai", dit-il cyniquement. Lui ne se souvient probablement pas du principe fondamental de solidarité des Chiites du monde entier: "propager l’égalité sur Terre".

Journaliste, auteur, poète et traducteur, Davoud Dehghan est l’auteur de "Le journal d’un soldat", livre issu de son expérience de conscrit, et qui n’a jamais été autorisé en Iran. Il a traduit les ouvres de Amin Maalouf et Yasmina Reza, rédigé un ouvrage sur la musique underground en Iran, puis fondé, en 1988, le groupe de presse Tarjoman, dont le quotidien a été arrêté après 25 numéros et condamné à une lourde amende par le pouvoir politique iranien .
Publié dans Le Figaro et Le Monde, il signe sous divers pseudonymes dans son pays.