Une biographie extraordinaire de Saddam Hussein : Les Assassins
Société

Une biographie extraordinaire de Saddam Hussein : Les Assassins

De tous les ouvrages qui pullulent sur le boucher de Bagdad, le plus intéressant est certainement l’extraordinaire biographie de Saïd K. Aburish, Saddam Hussein: The Politics of Revenge, paru il y a quelques jours. Nous publions, à l’attention de nos lecteurs, quelques morceaux de choix.

10 septembre 1990 – Après des mois de tergiversations, de menaces et d’esquives la perspective d’une intervention contre l’Irak se précise. Saïd Aburish jette de la lumière sur les transactions de coulisse qui achevèrent, au milieu du mois, de financer cette première intervention internationale.

"Un autre fait qui révéla qu’une guerre était en préparation contre Saddam fut le nombre de pays soudoyés pour figurer dans ce qui allait être connu comme "les alliés". Cet effort commença avec le versement par le Koweït d’une provision de vingt-deux milliards de dollars pour couvrir les frais d’une campagne militaire, après que l’Arabie Saoudite eut assurée l’Amérique de son intention de se montrer encore plus généreuse. Bien entendu, l’argent vint aussi d’autres sources et les États-Unis arrachèrent à de riches pays comme l’Allemagne ou le Japon leur contribution à ce qui revenait à "sauver le monde de Saddam Hussein". Sans surprise, le premier versement, qui se chiffrait à 7,1 milliards de dollars, fut effectué par les États-Unis à l’Égypte. Peu après, le secrétaire d’État Baker promit à la Turquie deux milliards cinq cents millions, et le pays reçut aussi des Américains des équipements militaires d’une valeur de huit milliards de dollars. Le 9 septembre, le président Bush promit à l’URSS un ensemble de mesures financières d’un montant non révélé, qui fut suivi de versements koweïtiens et saoudiens pour un total de six milliards. Plus tard, le groupe informel de nations industrialisées, connu sous le nom de Club de Paris, annula la dette égyptienne de dix milliards de dollars et le Conseil de coopération du Golfe donna encore cinq milliards à l’Égypte et à la Syrie…"

Après la guerre du Golfe, Saddam Hussein résiste aux sanctions économiques en concentrant encore un peu plus le pouvoir au sein de sa famille immédiate, dont son fils Oudaï. Après un attentat manqué, son obsession de la sécurité atteint des proportions grandiloquentes.
"Les autres parents de Saddam évoquaient une famille mafieuse. Ils volèrent et pillèrent lors de l’occupation du Koweït. On trouvait dans leurs maisons de magnifiques tapis persans, des accessoires et même des meubles en or, sans parler de douzaines de voitures appartenant à des Koweïtiens (y compris des Ferrari) dans les garages d’Oudaï. De plus, l’état de siège permit à Oudaï et à Hussein Kamel de profiter des circonstances qui en découlaient. Oudaï s’allia au terroriste palestinien Abul Abbas qui avait eu des liens avec la mafia russe. Ensemble, ils mirent au point un système de contrebande sophistiqué et fournirent les Russes en drogue provenant du Moyen-Orient, et même de Colombie. Oudaï s’occupa aussi de revendre sur le marché en Jordanie une partie de la nourriture et des médicaments donnés à l’Irak par des organisations humanitaires. Hussein Kamel était lui aussi impliqué dans la contrebande et le MIIM, encore propriétaire de fonds et désireux de poursuivre le programme d’armes non conventionnelles, lui versait des sommes considérables sous forme de pots-de-vin.

Quant à Saddam, il s’entoura de l’un des systèmes de sécurité les plus rigides de l’histoire contemporaine. Le procédé des sosies prospérait et il n’en avait pas moins de huit, ce qui lui permettait assez drôlement de se trouver en même temps dans plusieurs endroits. Mais c’est lorsqu’il recevait des visiteurs que cette folie paraissait dans toute son étendue. Il était courant de promener ces visiteurs pendant des heures, dans une voiture aux vitres teintées, ceci afin de les désorienter. Arrivés dans un palais complètement inconnu, ils étaient fouillés au corps, puis examinés médicalement pour voir ce qu’ils avaient avalé, au cas où cela aurait été un explosif. Leurs empreintes digitales étaient relevées et ils étaient photographiés. Ensuite seulement, ils étaient conduits au lieu même de la rencontre.

Le bureau où les visiteurs étaient reçus par Saddam était toujours équipé de caméras et de système d’écoute invisibles. Les caméras étaient dirigées sur le meilleur profil de Saddam et le cameramen qui officiait pouvait entrevoir leur dernière heure si, par malheur, ils avaient montré le mauvais profil. Nul n’avait le droit de parler, sauf pour répondre aux questions de Saddam, et brièvement, à moins que celui-ci ne vous encourage à continuer. Les visiteurs s’asseyaient après Saddam, buvaient le verre d’accueil après lui et ne bougeaient de la place que Saddam leur avait lui-même désignée. Ils devaient ni croiser les jambes, ni bouger les mains, mais garder une position rigide, inconfortable. Il leur fallait s’adresser à Saddam en l’appelant "Président-héros" ou encore "maître", mais jamais tout simplement monsieur le Président. Les rencontres se terminaient au gré de Saddam et les modalités de départ, naturellement en marchant à reculons, étaient exactement les mêmes que celles qui avaient préludées à l’arrivée. Aucun visiteur ne pouvait déterminer où il ou elle avait été, et une rencontre de cinq minutes avec Saddam nécessitait en fait une journée entière.

Grâce à ce système de sécurité envahissant et à de très sévères précautions, la famille put poursuivre son abominable mode de vie et Saddam se vanter: "Je sais que quelqu’un me trahit avant même qu’il ne le fasse." Des centaines de gens périrent au cours de cette période, la plupart sans comprendre en quoi ils avaient trahi Saddam puisqu’ils n’en avaient rien fait. Des milliers subirent détention et humiliations pour leur appartenance à un parti politique, pour avoir été suspectés d’appartenir à des partis ou pour être liés, même de loin, à des individus associés à des partis politiques. Les gens ordinaires s’en tiraient beaucoup mieux que les officiers, les employés et les membre de la bureaucratie, parce que Saddam s’attendait à une loyauté indéfectible de la part de ces milieux et qu’il craignait également leur pouvoir de nuisance. Le commandant de la province de Bagdad, Omar Mohammed, fut exécuté pour des raisons que personne ne comprit, de même que le général Barek Abdallah, l’un des héros de la guerre contre l’Iran. Les chefs religieux Abdel Aziz Al Badri, Aref Al Basri, Mohammed Al Sahi, Ali Al Azzouni, Hassan Shirazi et bien d’autres furent eux aussi exécutés. Le Dr Raja el-Tikriti – dont le nom suggère qu’il était originaire de la même ville que Saddam – était devenu ministre de la Santé. Il offensa Oudaï de telle sorte qu’il fut jeté à une meute de chiens qui le dévorèrent…"

Trois ans plus tard, les Koweïtiens éventent un complot dont on sait maintenant qu’il fut ourdi par des ressortissants koweïtiens .
"En avril 1993, George Bush se rendit officiellement au Koweït. Le gouvernement de ce pays annonça que les services secrets irakiens avaient conspiré pour l’assassiner durant ce voyage et que plusieurs agents irakiens avaient été arrêtés. Le 26 juin, en représailles, Clinton expédia sur le quartier général de la Mukhabarat, dans la basse ville de Bagdad, trente-trois missiles téléguidés Tomahawk chargés de plusieurs tonnes d’explosifs et coûtant un million de dollars l’unité. Plusieurs missiles dévièrent de leur trajectoire et tuèrent des civils, dont Layla el-Attar, l’une des grandes artistes irakiennes. Aux États-Unis, la mort de civils fut passée sous silence et la presse et le public considérèrent l’attaque comme un succès. "Il est en train d’apprendre son boulot", entonna le Wall Street Journal, qui félicita Clinton de son premier acte de guerre."

Le vrai Saddam Hussein
De Saïd L. Aburish
Saint-Simon, 557 pages