Des imams pour la paix : Volonté de Dieu? Folie des hommes?
Société

Des imams pour la paix : Volonté de Dieu? Folie des hommes?

Que font les musulmans pieux de Montréal depuis que la guerre fait rage en Irak? Ils prient et affluent en masse dans les mosquées, espérant faire en sorte que la paix revienne au plus tôt. Ce qui ne les empêche pas d’avoir des opinions. Rencontres avec SOLIMAN MAGDY, MOURAD et SAÏD FAWAZ, imams et leaders religieux des communautés montréalaises.

Lorsque les voies politiques et diplomatiques n’ont pu empêcher la guerre, que reste-t-il d’autre que le recueillement pour ceux qui ont la foi? Par chance, la communauté musulmane montréalaise bénéficie de plus de 25 mosquées dans lesquelles se rencontrer et prier afin que le peuple irakien soit épargné et que revienne la paix. "L’Irak respectait les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU; ce n’est pas une guerre juste. Même le pape a dit que cette guerre est contre l’ordre de Dieu. La communauté arabo-musulmane est donc très choquée, comme les autres Québécois et Canadiens. Nous avons participé à plusieurs manifestations pour dénoncer cette guerre", affirme l’imam Saïd Fawaz, de la mosquée Al ummah islamiah de la rue Saint-Dominique, qui reçoit des musulmans du Maghreb et du Moyen-Orient.

"Nous prions toujours beaucoup, cinq fois par jour, mais en ce moment nous faisons une prière particulière à Dieu qui s’appelle Douae, pour nous indiquer le bon chemin, et faire en sorte que ceux qui font la guerre se rangent du bon côté et travaillent plutôt pour la paix. Et on demande la paix non seulement pour nos pays d’origine, mais pour tout le monde", continue Fawaz qui fait remarquer que depuis le début des hostilités, 500 ou 600 personnes par jour fréquentent la mosquée, contrairement à 150 habituellement.

"Un peu partout dans le monde, on observe que les populations et les gouvernements ont des positions opposées à propos de la guerre", fait pour sa part observe l’imam Soliman Magdy, de la mosquée Al Rahmah située rue Jean-Talon. Selon lui, les peuples du monde sont largement contre la guerre, ce ne sont que certains de leurs dirigeants qui l’appuient pour des motifs économiques et politiques. "Nous apprécions l’appui de la population; personne ne veut la guerre. L’Irak ne représente pas de menace réelle en ce moment et nous prions pour que cette crise prenne fin, ajoute-t-il, spécifiant que son rôle d’imam fait de lui un guide dans la prière. Je dis aux gens de prier Dieu, mais aussi de se corriger eux-mêmes pour devenir de meilleures personnes. Nous voulons vivre en paix, mais nous devons accepter ce qui arrive, car c’est la volonté de Dieu. Et quand quelque chose de mal survient, cela veut dire que nous avons des choses à changer nous-mêmes."

Mourad, le président de l’association de la mosquée Dar al-arqam, sise elle aussi sur Jean-Talon, cachait mal sa frustration relativement à la tournure des événements. "Même si je vous donne mon opinion sur ce qui se passe, ça ne changera rien, il y aura quand même des morts et c’est la population qui paye le prix. Il y a longtemps qu’on sait que Saddam est un dictateur, mais quand on voit des enfants et des vieillards blessés, ça nous fait de la peine. On ne peut que demander à Dieu qu’il exauce nos prières, qu’il épargne la population irakienne afin qu’elle ne soit pas touchée par la pluie de missiles. C’est une façon de se soulager…"

Quant aux motifs invoqués par les Américains pour déclencher les combats et envahir l’Irak, Mourad n’y voit qu’un tissu de mensonges. "Ils ne visent pas en priorité un régime car ils pourraient le renverser en envoyant un commando. L’objectif, c’est le pétrole, mais même si tout le monde le sait, personne ne réagit car c’est une question de force. Les Américains veulent aussi étendre encore les frontières de l’État d’Israël et marginaliser les Palestiniens. Le but est de donner aux Juifs tout l’État palestinien", dit-il, ajoutant que la création d’un État palestinien invoqué par Bush récemment n’a pour unique but que de calmer les pays arabes. "Après l’Irak, on ne sait pas ce que les Américains vont faire étant donné qu’ils ne passent plus par l’ONU, continue Mourad, qui craint que les Américains ne poursuivent leurs actions militaires dans d’autres pays limitrophes de l’Irak. Quand vous déplacez toute une armée, autant balayer…"

Comment réagit-il au fait que des pays arabes et musulmans appuient les États-Unis? "Ça fait longtemps que les pays musulmans sont divisés; ils le sont sur le jeûne, alors comment voulez-vous qu’ils s’unissent sur autre chose? Si la loi divine ne nous unit pas, ce n’est pas la loi humaine qui le fera. Les pays qui collaborent avec les États-Unis se sont habitués à leur protection, ils sont maintenant liés et ne peuvent plus dire non."

La dimension religieuse est fondamentale pour les musulmans pratiquants, mais on doit rejeter l’idée de guerre sainte entre deux univers invoquée par certains qui parlent maintenant de coalition judéo-chrétienne avec les Bush, Blair et Aznar, croit Fawaz. "Le but de la guerre est économique. On veut prendre le contrôle des réserves de pétrole et s’assurer que tous les pays de la région soient sous le parapluie américain. En tant que musulman, on travaille toujours pour la paix, mais malheureusement, dans toutes les communautés ou religions, certaines personnes travaillent pour la guerre. Il ne faut surtout pas juger les gens sur la base de leur appartenance religieuse. Même dans les manifestations contre l’occupation israélienne en Palestine, il y a des juifs qui sont là et nous appuient."

Se disant très heureux de la réaction des Québécois et des gouvernements jusqu’ici, Fawaz souligne que de très nombreux Américains aussi sont contre la guerre. "Des fils américains sont maintenant tués dans cette guerre, et leurs familles sont choquées."

Guerre de religion ou pas, on parle déjà d’une explosion de l’antiaméricanisme chez les populations arabo-musulmanes dans les mois à venir. Les Américains doivent-ils craindre de nouveau les extrémistes musulmans? "Je ne crois pas que ce soient des extrémistes. En face de l’injustice, certaines personnes en viennent à faire des bêtises. Les États-Unis ne cherchent pas une personne en particulier; avant, c’était Ben Laden, maintenant, c’est Saddam. Ils ne veulent pas libérer l’Irak d’un tyran; tout est économique. Reste à espérer que la paix viendra au plus tôt", conclut Mourad.