L’histoire de Rachel Corrie : Mourir pour des idées
Le dimanche 16 mars, dans la bande de Gaza, RACHEL CORRIE, une étudiante américaine de 23 ans originaire de Washington DC, s’est fait écraser par un bulldozer de l’armée israélienne. Pour qui, pourquoi cette militante pour la paix a-t-elle trouvé la mort? Idéalisme et manipulation?
Mars 2003, militante au sein de l’IMS (International Solidarity Movement), mouvement pro-palestinien qui invite des jeunes de partout à travers le monde à militer en Palestine, Rachel Corrie vit depuis deux mois à Rafah.
Témoin quotidiennement des opérations de démolition des maisons, des réservoirs d’eau et de multiples actes de répression commis par l’armée israélienne envers la population palestinienne dans les territoires occupés, elle joue le tout pour le tout: elle se place devant un bulldozer israélien qui s’apprête à démolir la maison d’un médecin palestinien.
Armée d’un porte-voix, Rachel crie. Regardant le conducteur dans les yeux, elle croit qu’elle pourra faire stopper le mastodonte. Les événements s’enchaînent rapidement: lésions cérébrales, multiples fractures, ambulance, hôpital. La suite fera le tour des fils de presse des agences internationales.
D’où vient Rachel Corrie?
"Rachel était une étudiante dans mon cours, qui porte sur les dynamiques environnementales, sociales, communautaires et médiatiques. Je l’ai très bien connue. C’était une étudiante studieuse, qui réussissait bien. Nous étions proches l’une de l’autre: entre les cours, elle venait souvent discuter avec moi. C’était une fille extrêmement douée, très idéaliste. Elle se sentait concernée par la situation mondiale, elle était très impliquée dans les mouvements pour la paix dans le monde", dit Lyn Nelson, qui a été son professeur au Evergreen College.
Une fois le cours terminé, Rachel est restée en contact de façon sporadique avec son professeur. "Elle est venue me voir cette année, en septembre et en octobre. J’ai su à ce moment-là qu’elle apprenait l’arabe. Elle m’a expliqué qu’elle était de plus en plus en contact avec les mouvements pour la paix et des gens issus du Moyen-Orient. Puis je l’ai revue en janvier, avant qu’elle ne parte pour les territoires occupés. J’ai remarqué qu’elle était nerveuse, inquiète, mais aussi très décidée d’aller agir dans les territoires occupés."
Le professeur nota que l’ancienne élève avait changé. Lorsqu’elle lui fit part de ses craintes au sujet des dangers que Rachel courait dans les territoires occupés, cette dernière lui répondit sans ambages qu’elle était au courant des risques qu’elle prenait. "Elle était très déterminée. Elle m’a quittée en me disant: "Je vais rester en contact avec vous. Je me sens à l’aise avec la décision que j’ai prise." Là-bas, je sais qu’elle travaillait beaucoup à offrir de l’aide aux enfants."
L’IMS?
L’IMS est une organisation qui existe depuis seulement deux ans. Se présentant comme une organisation de soutien à la Palestine, elle a des bureaux un peu partout dans le monde et ne démontre aucune affiliation politique ou religieuse. Les fonds de l’association, selon la cofondatrice, proviennent de "généreux donateurs" de partout.
Le but de l’organisation? Recruter des "internationals", soit des gens à l’étranger, pour venir aider la population locale et témoigner dans les médias du vécu des Palestiniens vivant dans les territoires occupés au quotidien. Ils viennent en Palestine à leurs frais.
Huwaida Arraf, âgée de 27 ans et dont la mère est d’origine palestinienne, est l’une des cofondatrices de l’organisation. Elle a fréquenté une université américaine en sciences politiques et a décidé de fonder l’IMS à la fin de ses études universitaires. "Je suis allée en Palestine en avril 2000 et j’ai décidé de fonder un mouvement pour aller chercher du support international à la cause palestinienne, explique-t-elle. L’idée qui sous-tend nos actions? Mobiliser des gens, de quelque nationalité qu’ils soient, pour qu’ils dénoncent l’injustice de l’occupation des territoires occupés, en concordance avec les résolutions 242 et 338 votées par les Nations unies."
La cofondatrice est une femme très déterminée. "Nous avons décidé de tenter de mobiliser des gens pour qu’ils entreprennent des actions directes contre l’occupation des territoires occupés, qu’ils combattent l’occupation." Parmi les actions directes préconisées par l’IMS, les militants tentent de démonter les obstacles de béton que l’armée israélienne place devant certains villages palestiniens, etc. Selon elle, lorsque des "internationals" font de telles actions, l’armée israélienne n’ose pas les tuer comme elle le ferait pour des Palestiniens, histoire, dit-elle, de ne pas ternir l’image d’Israël sur la scène internationale. Surtout, ajoute-t-elle, que les membres de son association s’identifient clairement par des pancartes disant: "Français ou Anglais civils luttant contre l’occupation." "Nous essayons aussi d’attirer les médias internationaux ici."
La naissance de l’association coïncide à peu près avec le début de la deuxième Intifada. "La communauté internationale ne semblait plus tellement concernée par le vécu des Palestiniens dans les territoires occupés, alors ils ont commencé à perdre espoir, explique la cofondatrice. C’est à ce moment que certains d’entre nous avons eu l’idée de mobiliser des civils à l’échelle internationale." Elle poursuit sur sa lancée: "Nous avons réussi à aller chercher une certaine attention de quelques médias internationaux. Notre première campagne s’est déroulée en 2001, et jusqu’à présent, personne n’avait été tué ou blessé lors de nos actions."
Rachel, elle, s’est fait tuer.
Huwaida Arraf garde un souvenir ému de Rachel. Elle se souvient du talent d’écriture dont cette dernière faisait preuve, écrivant des articles très émouvants sur le vécu des Palestiniens dans les territoires occupés sur le site Internet de l’IMS. Elle donnait aussi des entrevues aux médias.
"La semaine avant qu’elle se fasse tuer, elle avait donné une entrevue à ABC News, la télévision américaine", se rappelle madame Arraf. Elle se souvient d’avoir donné à Rachel un entraînement pour la préparer à militer dans les territoires occupés, mais sans plus. "Je rencontre beaucoup d’activistes", dit-elle.
La lutte continue
L’annonce de cette nouvelle ne risque pas d’arrêter la cofondatrice, ni son organisation de recrutement d’"internationals". "Nous sommes déterminés à continuer notre travail, affirme-t-elle. Ce genre de tuerie arrive tous les jours dans les territoires occupés. Si nous arrêtons, nous abandonnons beaucoup de monde.
"Rachel a donné sa vie dans le but de défendre la vie de la communauté palestinienne. Ce serait déshonorer sa mémoire que d’arrêter. La cause pour laquelle nous nous battons mérite cela", conclut-elle.
Manipulation?
"Que ce soit un Palestinien qui se fasse exploser dans des lieux publics comme un restaurant ou un autobus, ou une jeune Américaine qui se fasse tuer, il s’agit de gens qui pensaient sûrement bien faire et aider la cause palestinienne", dit Simon Bensimon, directeur du centre étudiant Hillel, de la communauté juive de l’Université McGill. Selon lui, les "internationals" qui s’insèrent dans ce genre de conflit se font manipuler.
"Je crois qu’on peut faire un parallèle avec les activistes en Irak, ceux qui restent pour servir de boucliers humains. Ils ne sont pas pour la dictature mais, d’un autre côté, ils se font manipuler par le régime de Saddam Hussein: ils sont mis en danger pour les intérêts du régime, tout en pensant servir la cause de la paix."
Monsieur Bensimon croit par ailleurs que la mort de Rachel ne peut qu’être accidentelle: "Ça n’a pas de sens qu’il l’ait fait exprès! Surtout pas tuer une Américaine, alors que les États-Unis sont les alliés numéro un d’Israël. Mais s’il l’a fait exprès, alors c’est dramatique et c’est terrible. Par contre, mettre une jeune étrangère dans une situation de guerre entre les Palestiniens et les Israéliens, ça, c’est inacceptable. Surtout que ces étrangers ne font pas partie du problème. C’est de la manipulation de l’opinion publique! Je ne sais pas si c’est calculé… ou non", ajoute-t-il.
Militants et politisés eux-mêmes, les parents de Rachel Corrie réclament une enquête du FBI ou du Département d’État américain sur ce que les Israéliens ont qualifié d’erreur regrettable par le biais de leurs porte-parole officiels. Ce qui ne les empêche pas pour le moment d’embrasser les idéaux qui ont mené leur fille à la mort. Récemment, par voie de communiqué, ils ont déclaré: "Nous avons essayé d’élever nos enfants pour qu’ils apprécient la beauté de la communauté mondiale et nous sommes fiers du fait que Rachel fut capable de vivre selon ses convictions. Rachel était un être humain plein d’amour, et habitée par le sens du devoir envers ses frères les êtres humains, où qu’ils vivent.
"Elle a donné sa vie pour protéger ceux qui ne peuvent pas se protéger eux-mêmes."
Depuis le 18 mars, les murs de Gaza sont couverts d’affiches "célébrant" le martyre de Rachel Corrie.
Le 17 mars, une vigile a été tenue en son honneur dans sa ville natale. De nombreux participants arboraient des pancartes où était inscrit: "No to war in Irak".
Le 21 mars, un service commémoratif tenu sur les lieux de sa mort a provoqué un affrontement avec l’armée israélienne.
Les photos des circonstance entourant la mort de Rachel Corrie ont été prises sur le vif par l’IMS.
"Notre peuple poursuivra l’Intifada al-Aqsa jusqu’à ce que nous hissions le drapeau palestinien sur chaque mosquée, sur chaque église et sur les murs de Jérusalem."
– Yasser Arafat, 29 mars 2001