Élections provinciales : Paul Ahmarani: Red, White & Blue
Liant la politique étrangère américaine à cette campagne électorale québécoise, l’acteur s’est pris d’affection pour l’alternative UFP et son candidat de Médecin du monde dans Mercier.
Je l’ai vu à la Place à Côté, sur Papineau, un soir de pluie. Un peu bachi-bouzouk, il avait quand même une tête sympathique. Il, c’est Amir Khadir, le candidat de l’UFP (Union des forces progressistes) dans Mercier. J’étais allé le voir parce que j’étais curieux. On m’avait dit qu’il allait diviser le vote dans Mercier. Ah bon! Comment fait-on pour diviser un vote? En tranches, en pointes de tarte, en quartiers? Mais plutôt que de me parler élections, division, il a commencé à me presser le citron sur la guerre: "Il pleut des bombes sur Bagdad. Mais les bombes, comme la pluie, lavent toujours quelque chose. Le drame, c’est de savoir combien de kilotonnes de bombes il faut encore larguer sur la tête d’innocents Irakiens ou Palestiniens pour enfin laver l’écran de fumée de notre hypocrisie!"
Rendez-vous avec l’Histoire
Les propos du militant de Médecins du monde, qui vient maintenant déranger notre confort sur la scène politique québécoise, font réfléchir. Il attache des fils, il fait des liens. Pour lui, le choix de société qu’on fait ici aura un impact à l’autre bout de la planète. Je ne peux qu’acquiescer!
Adolescent, j’avais la sensation presque enivrante du témoin privilégié devant l’Histoire en marche. S’opérait devant nous, d’heure en heure, le démantèlement de l’empire soviétique. Je pourrai en parler à mes petits-enfants, leur dire: "Grand-papa a grandi du temps du Bloc de l’Est."
Aujourd’hui, le rendez-vous avec l’Histoire a bien lieu – l’émergence du totalitarisme américain -, mais au sourire fasciné de l’adolescent s’est substituée la peur d’un adulte. Une vraie grosse peur pour ma peau. Pour l’idée même de la liberté. On a beau parler de totalitarisme américain, le véritable ennemi n’a pas de visage. L’ennemi est l’Argent ou le désir d’en accumuler un trop-plein indécent. Un ordre des choses difficilement cernable, difficilement condamnable en termes clairs pour le citoyen privé de sains réflexes d’autodéfense intellectuelle, émoussé qu’il est par la propagande et la corporate culture. Son expansion est souriante. De tous les fronts, sa plus grande victoire a lieu dans les méandres de nos inconscients, dans les couleurs mêmes de nos cultures.
Le maître
Nos valeurs sont peu à peu perverties à l’insu du dominé qui, bientôt de l’Ouzbékistan au Québec, dira merci à l’Oncle Sam de bien vouloir être son maître. Plus besoin d’être attaqué pour agresser, le racisme devient invisible et acceptable. L’homme gobe l’histoire-feuilleton en vérité absolue, sans davantage d’explications: les rêves sont Red, White & Blue et le cauchemar porte la barbe; le génocide est la seule issue et les victimes, lorsqu’elles se défendent, font par là même la preuve de leur nature ignoble.
Aucune autre façon de penser n’est imaginable, la dissension est blasphème. La concentration des richesses dans les mains d’une poignée de milliardaires trônant sur la dette du monde nous apparaît, de notre purgatoire trois étoiles, comme un fait parfaitement moral.
La suprématie du profit sur le droit du citoyen est la Constitution de l’avenir. Les pauvres méritent leur sort et nous ne pouvons qu’aspirer à reluquer des idoles préfabriquées grâce à notre liberté et aux privilèges de la démocratie. Des privilèges dont seulement les plus méritants peuvent se prévaloir. Gouverner est administrer, faire rouler le statu quo. L’idée, le projet social sont bannis.
Alors le 14 avril, trois partis nous sont offerts. Trois?
Ah oui! il y a aussi ce regroupement d’étranges survivants d’une autre époque où les gens avaient la folle idée de vouloir se mêler de gouverne publique, rêvant d’un monde meilleur.
Ces dangereux zozos, pour qui solidarité, partage, respect de la nature, éducation et paix sont encore des valeurs. Ceux pour qui le voisin n’est pas un ennemi ou l’étranger, un jaloux fanatique qu’il faut écraser avant qu’il ne se fasse sauter, emportant dans sa mort les malheureux libres consommateurs que nous sommes. Ces infatigables gueulards – quelles émissions écoutent-ils pour penser comme ça? – sont regroupés sous la bannière rouge et verte de l’UFP.
Ne votez surtout pas pour eux, ça pourrait donner le goût à des gens ordinaires de s’arroger le privilège citoyen de remettre l’ordre des choses en question! On le sait, les élections nous sont présentées par Exxon. Nous sommes invités à nous dorloter de silence. Quand il n’y a pas de bruit, c’est tellement plus paisible. Alors, joyeux mutisme et à dans quatre ans.