Entrevue avec Albert Jacquard : L’homme qui a vu l’Homme
"Le besoin de spiritualité existe, bien sûr. Il faut le considérer comme un fait. L’univers tout entier ne nous suffit pas. Mais, pour moi, ce n’est pas tellement important. Ce qui compte, c’est d’en tirer des conséquences sur la façon de vivre ensemble et non pas sur ce qu’il faut croire ou ne pas croire."
Vous venez de publier un livre sur la religion. Selon vous, quelle est la responsabilité des églises dans le conflit qui oppose actuellement l’Orient et l’Occident?
"Hélas, leur responsabilité historique est énorme parce qu’elles ont laissé dire que les religions appuyaient un camp plutôt qu’un autre. Les croisés expliquaient qu’ils allaient se battre pour la chrétienté, les Anglais chantent God save the King… Tout ça, ce sont des blasphèmes et les religions auraient dû s’élever contre. Malheureusement, elles ne l’ont pas fait, donc leur responsabilité historique est très grande."
Vous allez assez loin dans ce dernier ouvrage en écrivant "Pourquoi s’acharner à croire?" Niez-vous le besoin de spiritualité des hommes et des femmes?
"Le besoin de spiritualité existe, bien sûr. Il faut le considérer comme un fait. L’univers tout entier ne nous suffit pas. Mais, pour moi, ce n’est pas tellement important. Ce qui compte, c’est d’en tirer des conséquences sur la façon de vivre ensemble et non pas sur ce qu’il faut croire ou ne pas croire. Je veux qu’on abandonne le Credo pour essayer de bien découvrir le sermon sur la montagne, qui n’explique pas du tout ce qu’il faut croire, mais ce qu’il faut faire."
L’humanité est-elle assez mature selon vous pour se passer de toutes les légendes que les religions ont créées et que vous dénoncez dans votre ouvrage?
"Je pense qu’avec la simple logique, avec la simple lucidité, c’est-à-dire en phase avec la science, on peut déboucher sur une façon de vivre qui est parfaitement correcte. Pas besoin que ce soit Dieu ou Allah qui me l’ai dit pour m’apercevoir que l’essentiel d’une vie est fait de rencontres qu’on a su rendre constructives. Et, par conséquent, préserver les rencontres, préserver les regards qui se croisent, c’est de la pure lucidité."
Voulez-vous dire que l’on pourrait tirer toute la morale de la science?
"Oh oui… On tire une bonne morale de la lucidité alors qu’on a tiré de curieuses morales de certaines religions…"
Doit-on jeter la Bible avec l’eau du bain?
"Nooon… Simplement l’interpréter mieux. Moi, je garde volontiers l’Évangile mais j’ai pas besoin du Credo. Je ne vois pas pourquoi on accorde une telle valeur au Credo, qui est une production de quelques vieux cardinaux de l’année 325 qui voulaient simplement écrire un truc pour plaire au pape Constantin 1er. C’était une affaire de pouvoir et non pas une affaire de foi. Il faut lire la Bible comme un texte passionnant mais qui n’a plus aucun rapport avec la lucidité d’aujourd’hui."
On dit souvent que votre bon sens met tout le monde d’accord. Pourquoi ne faites-vous pas de politique?
"Oh, je serais très mauvais… Je le sais d’avance. Un homme politique, c’est quelqu’un qui indique le chemin et qui dit: "Suivez-moi". Non… moi, j’essaie de réfléchir à quel chemin peut être le meilleur mais je ne prétends pas qu’il faut me suivre. J’ai pas du tout le profil d’un entraîneur. Intérieurement, je suis quelqu’un qui doute, or un homme politique doit être persuadé qu’il est dans la vérité. Voyez M. Bush, il n’a pas le moindre doute, lui."
À ce propos, vous répétez souvent qu’une bonne éducation mène au doute. Est-ce à dire que ce sont les professeurs de messieurs Bush et Hussein qu’il faut blâmer pour la guerre en cours?
"Ah! Je crois qu’il serait vraiment très utile de les renvoyer tous les deux à l’école. Je suis tout à fait aligné sur l’opinion qui domine en France. On n’arrive pas à comprendre comment cet homme a pu obtenir sa guerre. Ce qui me semble le plus monstrueux et le plus aberrant, c’est qu’on le laisse mélanger la prière à ses décisions. Prétendre que c’est Dieu qui l’inspire, je trouve ça tellement scandaleux! Il est exactement au même niveau de voyoucratie que Saddam Hussein!"
Les hommes sont-ils condamnés à ne devenir sages que dans la seconde partie de leur vie?
"(Il rit.) Oh non… Je rencontre des jeunes qui sont pas mal sages. Au contraire, je m’aperçois que des enfants de 10 ou 12 ans sont très volontiers sages et ils sont horrifiés du comportement des vieux de 30 ans."
Albert Jacquard, croyez-vous en Dieu?
"Je ne sais pas ce que signifie le verbe croire que vous venez d’employer. Le verbe croire, je ne m’en sers jamais. Je n’en ai pas besoin. Je n’ai pas besoin de croire. Dieu n’a pas besoin d’exister pour être. On appelle Univers tout ce qui existe. Or pour qu’il ait été créé par Dieu, il faut que Dieu en soit un élément extérieur. Comme tout ce qui existe est dedans et qu’Il est à l’extérieur, Dieu n’existe pas. Exister est une caractéristique insuffisante pour définir Dieu. Pour moi, il n’y a aucun besoin de croire. Il y a besoin de se comporter."
Pour en savoir plus:
Albert Jacquard, Dieu?, Stock, 143 p.
L’auteur sera le samedi 12 avril à 12 h au Salon du livre de Québec.