Lettre ouverte aux Québécois : La peur du changement
Société

Lettre ouverte aux Québécois : La peur du changement

Jean Charest était prêt. Mais les Québécois, eux, sont-ils prêts pour Jean Charest?

L’animateur radio demande à ses invités électeurs de commenter l’élection du Parti libéral, qui vient d’être confirmée. Il commence par celui qui a annulé son vote (Radio-Canada accorde beaucoup d’importance à ceux qui annulent). Celui-ci, peut-être un peu surpris par la rapidité du décompte, nous dit: "Ben j’espère qu’y vont pas tout défaire ce que le PQ a fait." Je crois que c’est à ça que ressemblait le Québec lundi soir, jour d’élections.

Déçus, ou tout simplement tannés de voir un gouvernement péquiste, les Québécois ont quand même tout fait pour éviter le Parti libéral et son chef. Voyant que l’ADQ était encore pire en termes de valeurs pour la société québécoise, ils se sont finalement résignés. Plusieurs, même, demeurent encore surpris de la victoire libérale. Particulièrement chez les militants de gauche, qui, quoique très hésitants à appuyer un gouvernement qui leur a fait vivre l’atteinte du déficit zéro, s’inquiètent d’avoir laissé leur avenir entre les mains de ceux qui ont le plus contribué à créer la situation de départ. Beaucoup de ces militants qui n’ont pas voulu voter PQ rêvaient peut-être secrètement que d’autres le fassent à leur place.

Surgissent peut-être aujourd’hui des images de "Boubou macoutes" et de scandales de millionnaires hydro-québécois quand ils se demandent comment seront réparties, chez les plus pauvres, les compressions budgétaires annoncées permettant les baisses d’impôt tant réclamées par le big business.

À noter qu’avec le Parti québécois, c’est la première fois qu’un parti politique pouvant prétendre au pouvoir s’est permis d’avoir le courage de ne pas proposer de baisses d’impôt et de défendre cette idée jusqu’à ce qu’elle soit acceptée par l’ensemble de la population. L’avons-nous assez souligné?

Notre défection aura-t-elle pour résultat de classer ce courage politique au rang des lubies de la gauche à éviter? Espérons que non. De toute façon, le seul avenir possible pour le Parti québécois est à gauche. Bernard Landry l’avait compris, peut-être tardivement, ou c’est peut-être trop tardivement que les jeux de pouvoir lui ont permis de laisser les éléments les plus progressistes l’emporter.

Quoi qu’il en soit, pour l’environnement en tout cas, les enjeux ne s’étaient jamais si clairement dessinés. L’environnement a toujours été, à mon avis, l’enjeu le plus négligé par rapport aux gains électoraux possibles. La conscience écologique a énormément grandi ces dernières années et elle pourrait tout autant rallier les forces motrices de la société québécoise d’aujourd’hui que le mouvement ouvrier l’a fait dans les années 70.

Bernard Landry aura été, historiquement, le premier leader souverainiste à le comprendre et à y agir. Le virage vert du PQ est peut-être imparfait mais il demeure réel et a forcé beaucoup de militants écologistes sur le terrain à défendre le PQ avec l’énergie du désespoir, leur cause étant soudainement dépendante de la réélection du gouvernement.

Vous avez vu dernièrement beaucoup de citoyens s’opposer au saccage des rivières pour des intérêts privés. Vous avez vu aussi plusieurs artistes se faire leurs porte-parole. Cette élection, pour tous ceux-là et pour d’autres, dans d’autres domaines environnementaux, est certainement crève-coeur. Mais j’ai tellement vu de détermination dans leurs actions et un espoir naître de leur victoire que je sais que cela sera très porteur. Et je leur dis tout de suite que s’ils continuent à porter cet espoir, nous allons continuer à porter leur message. J’ai eu l’occasion de leur dire exactement cela à l’enregistrement d’une émission qui s’est faite avant l’élection mais qui ne sera diffusée que la semaine prochaine, et où j’avais prévu qu’ils auraient à continuer à lutter.

Remarquez, si le PQ avait gagné, nous aurions pu aménager et rendre accessibles des rivières avec des sites absolument magnifiques. Il n’est pas difficile d’imaginer qu’aussitôt fait, un promoteur se serait pointé pour tenter d’y construire des condos, au nom du développement et du bien public, évidemment. Qu’on se le dise, si la bataille pour un Québec souverain sera plus longue que prévu, la bataille de l’environnement sera éternelle.

La peur du changement
Contrairement au slogan si peu original qu’on s’est âprement disputé au cours de cette élection, c’est bien la peur du changement qui a été le moteur de celle-ci, non la volonté de changement.

Tourne à gauche, tourne à droite ou tourne en rond. On le sait trop bien, le seul vrai changement dans cette province serait de faire du Québec un pays.

Mais au fond, tout le monde a peur de ce seul vrai changement, y compris les souverainistes. Surtout les souverainistes. On a presque réussi en 95. Ni assez convaincus, ni assez convaincants, de toute évidence, nous n’étions pas prêts. Peur de s’affirmer, peur de l’engagement, peur de la confrontation, de prendre position, de se mouiller, de ne pas être à la mode. Par contre, on a vu et on voit encore des gens déployer une énergie extrême pour justifier leur neutralité, par des chroniques, des films, des pièces de théâtre, alors que s’ils étaient vraiment neutres, ils cesseraient d’en parler, simplement.

Les prochains mois devraient être consacrés à nos peurs et à nos courages, ainsi qu’aux choix que nous voudrons faire dans notre engagement. Je suis, curieusement, plus confiant que jamais que nous allons réussir. Et beaucoup plus rapidement qu’on pourrait le croire.

Jean Charest était prêt, mais pas nous. La journée où on va être prêts, on n’aura plus besoin de lui.