![Société : Bagdad Bob, ministre de la Désinformation](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/06/16142_1;1920x768.jpg)
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Société : Bagdad Bob, ministre de la Désinformation
Les troupes de Saddam Hussein vont-elles envahir Washington? L’Irak a-t-elle gagné la guerre? Oui, s’il fallait en croire le ministre de l’Information irakien, pris en affection par des milliers d’amateurs d’humour cynique de par le monde.
Charles Paul Freund, François Desmeules
Promenés de ministère en ministère, les journalistes couvrant en direct le conflit irakien ne s’attendaient probablement pas à y rencontrer un humoriste aussi efficace pour les soulager des tensions de la guerre.
En hommage aux grands spécialistes anonymes de la propagande des guerres du passé utilisant des sobriquets pittoresques tels que Lord Haw-Haws et Tokyo Rose, qui tentaient de saper le moral des soldats ennemis en proférant des mensonges à la radio, ils ont surnommé le ministre de l’Information irakien Bagdad Bob.
Mais si des figures telles que Bagdad Betty et Irak Jack, dénonçant la corruption du régime de Saddam, ont déjà été entendues sur les ondes des stations américaines diffusant dans le golfe en 1991, Bagdad Bob fut un propagandiste d’un tout autre genre.
"Les infidèles se suicident par centaines aux portes de Bagdad", affirma-t-il sans retenue dans une de ses dernières déclarations publiques. "Nous les avons massacrés…" Ses déclarations devinrent encore plus délirantes à mesure que les troupes de la coalition avançaient vers Bagdad. Pour défendre ses dires, Al-Sahaf affirma que les images des réseaux d’information continue étaient "de la propagande mise en scène par des unités spéciales de l’armée américaine à des centaines de kilomètres de l’Irak".
On rapporte qu’Al-Sahaf fut une source de franche rigolade pour beaucoup de téléspectateurs dans les pays arabes. En Égypte, sur la rue, les plaisanteries foisonnent toujours à ses dépens. On raconte couramment qu’avec Al-Sahaf comme ministre, l’Irak n’avait plus besoin d’être bombardé, le régime aurait pu exploser tout seul par abus de clowneries ridicules.
Une bonne partie de la presse arabe a pourtant vu les choses autrement. Bon nombre de journalistes embarqués dans la guerre ont tout simplement rapporté fidèlement les propos du ministre de l’Information à leurs lecteurs et auditeurs.
Tandis que d’autres présentant le ministre comme un "défenseur de l’honneur arabe" ont aussi choisi de justifier ses pitreries en mentionnant qu’il s’agissait d’un exercice de désinformation pratiqué également par les deux camps.
"Où loge la vérité entre les contradictions avancées par les parties en présence? demandait ainsi le journal Al-Rai de Jordanie, tout en choisissant tout de même de titrer à la une, il y a une semaine: "L’Iraq reprend l’aéroport de Bagdad aux troupes ennemies"!!! Le quotidien libanais Al-Nahar fit même mieux en rapportant que "Saddam en personne avait mené l’assaut sur l’aéroport" tandis que le journal Akhbar al Khaleej à Bahrayn rapportait: "Les forces américaines entourant Bagdad ont été massacrées, exterminées."
Al Jazeera a même fourni lundi dernier une validation des dires de Saïd Al-Sahaf: rapportant les propos de l’armée américaine qui prétendait avoir saisi un palais de Saddam, Al Jazeera a ensuite montré des images de la prise du palais empruntées à CNN en coupant celles où l’on voyait des soldats américains à l’intérieur, ce qui laissait l’impression d’un palais vide.
"Ce n’est plus un parti pris pro-arabe, ont alors crié les journalistes et militaires occidentaux en voyant le reportage. C’est du mensonge pur et simple!"
(Les bureaux d’Al Jazeera à Bagdad ont été détruits mardi; un de leurs correspondants y a perdu la vie.)
La performance bizarre du ministre de l’Information n’est pas sans rappeler à certains observateurs expérimentés du Moyen-Orient la guerre des six jours de 1967 entre l’Égypte et Israël. Alors que l’armée égyptienne s’effondrait, l’appareil de propagande du régime annonçait de fulgurantes victoires. Dans un ouvrage intitulé Stupeur et Désillusion, Tawfik Al Hakin, l’un des plus célèbres écrivains d’Égypte, se souvient de sa stupeur lorsqu’il apprit la vérité. Al Hakin estime que cette déformation fut autant dans le cas de Saddam que de Nasser une conséquence directe du culte de la personnalité dévolu à tous les dirigeants qui tentent de devenir des figures emblématiques pour l’ensemble du monde arabe au-delà de leurs propres pays.
À l’heure de mettre sous presse, personne ne sait ce qu’il est advenu de Bagdad Bob mais son départ a fait quelques adeptes tel Mohsen Khalil, ambassadeur de l’Irak à la Ligue arabe, qui déclarait il y a quelques jours à peine, tout juste avant de fuir au Yémen: "Mis à part quelques difficultés techniques, l’Irak a déjà obtenu la victoire."
Renseignements supplémentaires
L’écrivain et ex-activiste de Greenpeace Kieran Mulvaney et l’un de ses amis ont monté en trois jours le site Internet welovetheiraqiinformationminister.com, consacré, disent-ils, au stand-up comic le plus amusant de l’histoire. Lancé le jour même de la disparition d’Al-Sahaf, disparition que les internautes qualifient en rigolant de "congé administratif", le site, après avoir accueilli 4000 visiteurs par seconde durant huit heures, a flanché. Les auteurs du site comptent désormais améliorer sa puissance en lui assignant un serveur plus performant.
"J’espère que là où il est, au moins, le ministre sait à quel point il est devenu célèbre", dit Mulvaney. Nous recevons des courriels de partout dans le monde. Même quelques-uns du Pentagone disant: "Nous l’aimions bien! Il va nous manquer!" Le site Internet vend déjà des tasses à café et des t-shirts imprimés avec les meilleures citations du ministre, telle: "Mon sentiment, comme d’habitude, est que nous allons tous les massacrer."
Ce site propose aussi aux internautes de participer aux recherches de l’ex-ministre au béret partout dans le monde, et spécule sur le champ de compétences dans lequel il devrait se reconvertir. Et propose que Sydney Pollack incarne son rôle au cinéma.
Plus inquiets, de nombreux fans insistent sur l’urgence de soigner le ministre s’il était retrouvé en piteux état et surtout de ne pas l’abîmer. "C’est un artiste bien trop précieux pour qu’il soit assassiné/éliminé/tué ou égaré…" disent-ils.