![Boycott : La loi du plus faible](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/06/16233_1;1920x768.jpg)
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Boycott : La loi du plus faible
Depuis le milieu du siècle dernier, le boycott est devenu une manière bien en vue de signifier son mécontentement devant les politiques des entreprises autant que celles des gouvernements. Aujourd’hui le geste a plus que jamais des saveurs d’engagement et de justice sociale. Mais cette initiative populaire est-elle un tant soit peu efficace?
Steve Proulx
En 1880, Charles C. Boycott, un riche propriétaire terrien du comté de Mayo (Irlande) refuse de baisser le prix de ses loyers et s’attire l’antipathie des fermiers locaux, qui décident de le "boycotter" avant la lettre. Depuis ce jour, le boycott fait partie intégrante de tout mouvement activiste. Dans un société structurée sur des modes de consommation permanents, le boycott est désormais considéré par plusieurs comme le véritable droit de vote du simple citoyen.
Dans les années 30 et 40, la communauté juive-américaine boycottait les produits allemands. Martin Luther King, au tournant du siècle dernier, demandait aux Noirs de boycotter les autobus afin de protester contre la ségrégation raciale. Petite ou grande cause, le boycott peut prendre aujourd’hui des proportions considérables grâce, notamment, à l’utilisation d’Internet pour mobiliser les troupes. Jadis, il fallait attendre jusqu’à 10 ans avant qu’un appel au boycott donne des résultats concrets. Aujourd’hui, la moyenne est de deux ans.
Qui boycotte quoi?
Dis-moi qui tu es, je te dirai qui tu boycottes. Les Américains boycottent les produits français. Les Français, les Allemands, les Arabes, 24 % des Asiatiques, une poignée de Canadiens et d’autres parmi nos contemporains boycottent les produits américains. Des artistes boycottent Star Académie. Des Palestiniens boycottent les produits israéliens. Oxfam boycotte les manufacturiers de vêtements qui font travailler les gens dans des sweatshops. Récemment, des linguistes allemands ont même décidé de boycotter les mots à consonance anglo-saxonne de leur vocabulaire, afin de protester contre le conflit en Irak.
Aujourd’hui, les activistes connaissent à fond les mécanismes du boycott et savent bien quel bobo gratter pour faire mal aux puissants.
Une des tactiques du boycott moderne est de trouver un souffre-douleur; une cible bien symbolique. Greenpeace, un organisme de lutte contre la dégradation de l’environnement, voudrait que cesse la suprématie du pétrole. Considérant ceci, on aurait pu proposer un boycott pétrolier général, mais on a plutôt ciblé uniquement la pétrolière ESSO. Selon Jo Dufay, directrice de la campagne StopESSO au Canada (www.stopesso.ca): "ESSO essaie d’influencer les gouvernements pour qu’ils restent dépendants des combustibles fossiles, tout en minimisant l’impact qu’ont ceux-ci sur les changements climatiques et en freinant les progrès quant à l’utilisation de sources d’énergie renouvelables. Ce n’est pas un comportement unique à ESSO, mais la pétrolière représente le pire du pire".
Ce discours ressemble à celui du Collectif Échec à la guerre (www.fiiq.qc.ca/echecalaguerre.htm), qui a récemment lancé un appel au boycott de ESSO (encore eux) et de McDonald’s afin de manifester contre la guerre en Irak. Comme l’indique Francine Néméh, la porte-parole du Collectif: "L’idée de boycotter les produits américains, en général, n’a pas beaucoup de poids. On a ciblé les entreprises ESSO et McDo dans un but éducatif, afin de rappeler les méfaits du programme Pétrole contre nourriture". Étrange logique symbolique…
Boycott en ligne
Depuis quelques années, le nombre de boycotts a augmenté de façon substantielle. L’explosion d’Internet n’est pas étrangère à cette tendance. Avec le courrier électronique, un activiste peut rallier des milliers de personnes à sa cause en quelques clics. Il ne faut donc pas s’étonner de voir sur Internet une avalanche de sites militants et d’appels au boycott les plus divers. Dans le moteur de recherche Google, une requête pour le mot "boycott" renvoie 935 000 résultats, qui vont du boycott de Microsoft au boycott du rhum Bacardi. Il convient toutefois de nuancer l’influence du Web. Comme le dit le professeur de psychologie à l’UQÀM Jacques Lajoie: "Sur Internet, il faut faire l’effort de trouver les sites et lire sur le sujet. Internet est un média interactif". Internet en tant qu’organe d’information viendra donc consolider la masse d’activistes déjà sensibles à la cause.
Le boycott, et après?
Si le nombre de boycotts va en augmentant, c’est aussi parce que la méthode a fait ses preuves. Dans le passé, plusieurs boycotts ont réussi à donner des résultats concrets. Ainsi, un boycott des produits General Electrics a fait pression sur la compagnie qui s’est résolue à vendre sa division d’armes nucléaires. Un autre boycott, lancé par le Free Burma Coalition (www.freeburmacoalition.org), a déjà poussé de nombreuses grandes compagnies (dont Pepsi, Motorola et Apple) à ne plus faire affaire avec le Myanmar, histoire de couper l’herbe sous le pied au régime dictatorial en place.
Une étude américaine prétend que les entreprises considèrent le boycott "plus efficace que d’autres techniques comme l’action collective, les pétitions ou le lobbying". La raison est simple: le boycott fait un doigt d’honneur aux revenus d’une entreprise et, pour ces grands sensibles de la finance, c’est dur à prendre… Il n’y a pas de statistiques précises qui puissent donner un indice sur le taux de succès du boycott. Mais généralement, une cause claire à laquelle se rattache un grand nombre de consommateurs risque de donner des résultats, ou à tout le moins, salir suffisamment l’image d’une entreprise pour que celle-ci décide de réagir.
Le cas McDo
Certaines entreprises sont de véritables aubaines pour les boycotteurs. En tête de lice: McDonald’s. C’est bien simple: que vous militiez contre la guerre en Irak, contre la malbouffe, pour les droits des travailleurs, pour l’environnement, contre l’hégémonie américaine ou pour la protection des animaux, vous pouvez trouver votre compte en boycottant McDo! Afin de fouetter les troupes, le site Internet (www.mcspotlight.org) se fait d’ailleurs un devoir d’informer quotidiennement la communauté anti-McDo des récents déboires financiers qui ternissent les arches d’or.
Chez McDonald’s Canada, on nous dit toutefois que les nombreux boycotts dont elle est la cible ne changent rien pour l’instant: "Business as usual", dit-on chez Mc Donald’s. Mais si les tentatives de boycott semblent laisser le géant de la restauration rapide indifférent, Jacques Mignault, vice-président de McDonald’s Canada (région de l’Est du Canada), a quand même tenu à préciser, dans une lettre ouverte publiée le 4 avril dernier, que 80 % des restaurants McDonald’s étaient la propriété d’entrepreneurs locaux et que McDonald’s contribuait ainsi à l’économie québécoise en créant de l’emploi, en payant des taxes et en engageant des fournisseurs locaux.
Des méthodes plus agressives sont utilisées par les entreprises afin de contrer le boycott à tout vent. "ESSO a poursuivi Greenpeace France, raconte Jo Dufay, à cause de l’utilisation du logo ESSO dans leur campagne (Greenpeace a remplacé les "S" du mot "ESSO" par des "$"). Une des raisons invoquées était que les "S" ressemblaient au signe "SS" des Nazis." Du côté d’ESSO, si les résultats concrets se font attendre, Mme Dufay précise toutefois: "En Angleterre, déjà un million d’automobilistes ont boycotté la pétrolière". ESSO commencerait même à changer quelque peu sa rhétorique en acceptant qu’il puisse y avoir un lien entre l’utilisation de combustibles fossiles et les changements climatiques… Le boycott aura-t-il des conséquences en haute altitude, jusque sur la couche d’ozone?