Le code de la Bible : Prédire entre les lignes
Profitant de la grande frayeur millénariste, le premier livre de Michael Drosnin, La Bible: le code secret, , a séduit tous les angoissés qui épluchent les textes sacrés afin d’y trouver des signes, des prédictions, des augures, des prophéties, n’importe quoi, en fait, pourvu qu’on y trouve de mauvaises nouvelles.
Il y a quelques mois, ayant accumulé un nouveau stock de calamités à venir, cet ancien journaliste du Wall Street Journal a repris la plume pour présenter au monde les nouvelles aventures des codes secrets, intitulées Le Compte à rebours. Dans ce deuxième volet, Drosnin court après les dirigeants de la planète pour les prévenir que les dernières révélations du livre sacré sont plutôt pessimistes; interrogé par un hebdomadaire français au début de l’année, il annonçait l’anéantissement de la planète pour 2006: "J’ai fini par comprendre que les attentats du 11 septembre étaient le début d’un processus qui nous mène à la fin du monde. Après l’attentat de 2001, j’ai pu lire sur mon écran: "la prochaine guerre", "les tours jumelles", "terrorisme" et "la fin des jours". Derrière se dessinait une effroyable prophétie: le compte à rebours vers une apocalypse nucléaire initiée au Proche-Orient aurait commencé.."
À première vue, on a affaire à un charlatan. Il existe pourtant au moins deux raisons de lui consacrer ces lignes: bien que son premier livre soit passé relativement inaperçu au Québec, il a néanmoins été un best-seller planétaire et, le bouche à oreille aidant, les livres de Drosnin commencent à se vendre ici aussi; mais surtout parce que la controverse scientifique et religieuse générée par son livre est bien réelle.
Obnubilés par les secrets
Des premiers kabbalistes aux numérologues new age en passant par les alchimistes du Moyen Âge, tout le monde a voulu "faire parler" la Bible. Selon Drosnin, Newton lui-même aurait sacrifié une partie de sa vie à l’obsession, persuadé qu’elle renfermait le destin de l’humanité. En 1994, après six années d’hésitation, le Journal of Statistical Science a publié un article présenté à ses lecteurs comme "un défi énigmatique". Doron Witztum et Eliahu Rips, deux mathématiciens israéliens de grande réputation, y affirmaient avoir prouvé que les noms de 64 grands rabbins du judaïsme, ayant vécu entre l’an 1 et l’an 1000, se trouvaient "codés" dans le livre de la Genèse, avec leurs dates de naissance et de décès.
Leur méthode était relativement simple: après avoir transformé l’Ancien Testament hébreux en une seule série continue de lettres, longue de 304 805 unités, les éléments composant les noms de ces sages se trouvaient répartis à des intervalles réguliers, définis comme étant des "sauts de lettres équidistantes". Les mots formés par cette méthode étant, en soi, sans importance, c’est quand les chercheurs trouvaient plusieurs mots reliés entre eux dans la même matrice qu’ils avaient le sentiment d’avoir prouvé leur thèse.
Les savants israéliens ont conclu que ces messages codés devaient avoir été intentionnellement inclus dans le texte de la Bible par Dieu. Ils ont aussi affirmé que de tels messages codés ne pouvaient être décelés dans aucun autre texte, prétendant que l’on pouvait certes trouver des mots encodés dans tout texte intelligible, mais ces mots n’avaient, d’après eux, aucun rapport les uns avec les autres, ni avec le contenu du texte en clair. Beaucoup de scientifiques hurlèrent à la supercherie en indiquant qu’il est inévitable qu’on trouve des "groupes significatifs" dans la masse énorme de données contenue dans l’Ancien Testament.
Ayant su gagner la confiance de Rips lors d’un voyage en Israël, Drosnin accumula un maximum d’informations sur sa théorie, et concocta là-dessus sa propre cuisine. Sa plus grande découverte concerne l’ancien premier ministre Yitzhak Rabin, dont le nom en lecture verticale serait coupé par les mots "assassin assassinera" en lecture horizontale à l’intérieur de la même matrice. En d’autres termes, il y a un yod, première lettre de Yitzhak, suivi 4772 lettres plus tard de la seconde lettre de son nom, et ainsi de suite. En 1995, après la fin tragique du premier ministre israélien, Drosnin pensa qu’il détenait la preuve absolue de l’efficacité du code de la Bible.
Son premier livre atteignit le pinacle du hit-parade des succès en librairie, donnant lieu à un battage médiatique sans précédent. Warner en acquis immédiatement les droits d’auteurs et, sur Internet, on trouve désormais des logiciels "qui permettent de décoder la Bible chez soi pour répondre enfin à la question qui est sur toutes les lèvres: Mon nom est-il codé dans la Bible?"
Drosnin nous apprend dans ses ouvrages que le résultat des élections américaines de 1992 est associé dans la Bible à Bill Clinton, le scandale du Watergate à Nixon, la grande dépression de 1929 est connectée avec "actions" et "effondrement économique" et le premier pas de l’homme sur la Lune avec "vaisseau spatial" et "Apollo 11". Ce dernier message serait d’ailleurs caché dans le passage de la Genèse où Dieu dit à Abraham: "Lève les yeux vers le ciel et compte les étoiles, si tu peux les dénombrer."
Diana dans Moby Dick…
Dans le no 244 de février 1998 du magazine Pour la science, Jean-Paul Delahaye, chercheur au laboratoire d’informatique fondamentale du CNRS à Lille, arguait qu’"en prenant une suite infinie de symboles typographiques, on pouvait y trouver tous les textes possibles et imaginables. On y trouve des mots connus et même des rapprochements de mots connus où, sans se forcer beaucoup, on réussit à voir le présent et le passé (ce qui permet alors de prétendre y lire l’avenir). Le procédé est tellement efficace qu’on a découvert l’annonce de la mort de la princesse Diana dans Moby Dick!"
Delahaye faisait référence
au défi que Drosnin a lancé dans Newsweek le 9 juin 1997: "Si ceux qui me critiquent parviennent à trouver dans le Moby Dick d’Hermann Melville un message codé annonçant l’assassinat d’un premier ministre, je les croirais!" Pour son malheur, il a été pris au mot par le mathématicien australien Brendan McKay qui est parvenu à prouver que le texte anglais de Moby Dick contenait, de manière codée, exactement comme dans la Bible, l’annonce des assassinats d’Indira Gandhi, de Léon Trotski, de Martin Luther King, de John F. Kennedy et de Yitzhak Rabin entre autres. Chaque fois, la "prédiction" de ces assassinats était associée à des noms de personnages ou de détails associés à ces évènements, et se trouvait dans un passage du texte en clair qui était plus ou moins cohérent avec la prédiction. Brendan McKay aurait même trouvé dans Moby Dick l’annonce codée de la mort de Lady Diana, avec le nom de son amant Dodi et celui de son chauffeur. Ses travaux ont été publiés dans Statistical Science en 1999, à la suite de quoi certains irrécupérables ont sérieusement envisagé la possibilité qu’Hermann Melville soit un prophète…
Mais Brendan McKay a surtout montré que les chercheurs israéliens avaient calculé de vraies probabilités sur une mauvaise question. Au lieu de se dire: "Quelle est la probabilité pour que telle phrase codée, découverte dans la Bible, se soit formée par hasard?", ils auraient dû se demander: "Quelle est la probabilité pour que le texte de la Genèse contienne une phrase intelligible codée, contenant par exemple le mot Yeshua ("Jésus")?" Claude Lévesque, professeur de mathématiques à l’Université Laval, confirme que "ce sont les hypothèses de départ qui sont déterminantes. Le fait de dire que telle association de mots a "1 chance sur 20 millions" de se trouver dans la Bible, sous forme codée, n’est pas une preuve suffisante pour affirmer que la Bible est d’inspiration divine. Quand Dupont a gagné le gros lot de la loterie, il n’avait que 1 chance sur 20 millions de gagner. Mais personne ne dit qu’il a été choisi ou inspiré par Dieu".
De son côté, le Dr James Price aurait même prouvé l’existence de codes contradictoires dans la Bible. Par exemple, il a trouvé dans le livre de la Genèse les messages codés suivants: "Dieu est une chose détestable" ou "Dieu est une abomination". Sur 2482 mots testés, il a trouvé 1722 codes contradictoires. Inutile de dire que certains ont sauté sur l’occasion pour affirmer que la Bible était en fait l’oeuvre de Satan…!
Incapable de jeter l’éponge
Le résultat de tous ces travaux récents a été suffisamment concluant pour qu’un bon nombre de partisans résolus des codes reconnaissent qu’ils s’étaient trompés.
Mais Drosnin persiste et signe envers et contre tous, et même contre les découvreurs du code qui ont publiquement condamné ses livres. Heureusement, Brendan McKay a déjà décrypté dans le seul premier chapitre du nouveau livre de Drosnin les codes suivants: "stupide", "faux", "arnaque" et "fraude".
Enfin, pour beaucoup, et c’est peut-être là l’essentiel, cette théorie est de toute façon trop embrouillée pour être l’oeuvre de Dieu. Le spécialiste en exégèse biblique Alain Faucher, de l’Université Laval, insiste sur ce point: "Pourquoi Dieu aurait-il voulu coder la Bible? C’est contraire à tout ce que l’on sait sur la parole divine. Quel intérêt pourrait-Il trouver à cacher son message?"
Mais contrairement aux livres de Drosnin, les travaux de Rips et Witzum ne sont pas complètement absurdes et la controverse scientifique autour de ces théories continue d’alimenter le débat. Même si les chercheurs israéliens ont affirmé qu’il était littéralement impossible de faire des prévisions basées sur les codes, il n’est pas totalement impossible que la Bible soit codée.
Le plus grave, selon Alain Faucher, c’est la forme d’ésotérisme dangereux dans lequel ces livres plongent les gens: "Ce qui m’inquiète le plus dans cette histoire, c’est ce que cela nous apprend sur le niveau intellectuel de nos contemporains. Sur leur niveau de crédulité. Que des gens achètent un ouvrage comme celui de M. Drosnin dans un pays comme le nôtre, c’est désespérant!"
Pour en savoir plus:
www.geocities.com/Athens/Acropolis/9411/codes.htm
www.theomatics.com/
cs.anu.edu.au/~bdm/dilugim/torah.html (réfutation des codes)