Se souvenir de Robert Latimer : L'énergie du désespoir
Société

Se souvenir de Robert Latimer : L’énergie du désespoir

L’affaire fut une des plus médiatisées de l’histoire canadienne. Elle s’est soldée par le prononcé d’une explosive sentence de prison à vie contre un père qui jure avoir tué sa fille par compassion. Aujourd’hui, Latimer ronge son frein en prison, oscillant faiblement entre optimisme et désenchantement, car un groupe de citoyens garde un ultime espoir de le faire libérer.

Aujourd’hui, Robert Latimer entreprend la troisième année de sa sentence et ne sera admissible à une libération conditionnelle qu’après 10 ans. Loïse Lavalée fait partie de ceux qui luttent toujours contre une décision qu’ils jugent injuste. "Après son entrée en prison, on a créé le site Les amis de Robert Latimer, pour sensibiliser la population canadienne à l’injustice commise et faire prendre conscience que la peine était disproportionnée par rapport à l’acte commis. La réponse a été très forte, il y a eu plusieurs pétitions de plusieurs centaines de milliers de signatures envoyées au gouvernement pour dénoncer la sévérité de la sentence. On demandait aussi que soit modifiée la loi pour tenir compte des circonstances atténuantes dans le cas d’un meurtre au second degré."

Pour l’instant, l’aide apportée à Latimer se résume largement à un soutien moral. "Il reçoit des visites assez régulières de sa famille quand il se sent déprimé. Il m’a écrit trois lettres. Il s’occupe du kiosque de cigarettes, regarde la télé… C’est un fermier, un homme très simple, près de la nature, qui ne parle pas beaucoup. Il a des hauts et des bas car il ne voit pas grandir ses enfants. Il essaie de garder le moral en se disant qu’il devrait être transféré bientôt dans une prison à sécurité minimale. Et il le serait déjà si ce n’était des groupes qui font pression pour qu’il ne le soit pas. Aussi, il persiste à croire que le système a été injuste à son égard, que les autorités politiques et judiciaires sont contre lui", ajoute Lavalée.

Des gens se sont spontanément portés volontaires pour servir une partie de la sentence imposée à Latimer. C’est le cas de Tricia Herchak. "Je suis triste pour Latimer et sa famille. Il n’est pas une menace pour la société. Je crois qu’il a posé un geste d’amour envers sa fille. Il a pris une décision terrible mais il n’avait pas le choix."

Le don de la mort

Fortement ébranlé par cette cause, Michel-Wilbrod Bujold a entrepris au lendemain de l’incarcération de Latimer un livre, Le Don de la mort: tuer peut-il devenir un acte d’amour? (Trait d’union), qui vient tout juste de paraître. Il est aussi de ceux qui se portent volontaires pour "faire du temps" à la place de Latimer. "J’ai tenté de comprendre ce qui s’était passé entre un père et sa fille. Le geste de Latimer en fut un de substitution; il a fait ce que les médecins auraient dû faire. Latimer avait tout donné à sa fille; tout ce qu’il lui restait à offrir, à rendre, c’était le don ultime de la mort, par devoir moral."

Le premier procès fut annulé, rappelle Bujold, car le juge aurait tenté d’influencer le jury avec ses convictions religieuses pro-vie. La situation fut très différente lors du deuxième procès alors que le juge, se fondant sur l’article 12 de la Charte des droits qui stipule que nul ne doit subir de châtiment cruel et inusité, n’a donné à Latimer qu’une peine symbolique de un an à purger sur sa ferme, jugeant qu’il avait agi par compassion. Mais cette décision fut renversée en appel puis ce jugement confirmé par la Cour suprême, qui maintint la sentence de prison à vie initiale. "Des groupes défendant les droits des personnes handicapées ont largement contribué à sa condamnation en soutenant que Latimer s’était attaqué à une personne gravement handicapée. C’est l’argument de la peur. Il a été condamné fondamentalement sur la possibilité de donner un médicament anti-douleur à sa fille, mais sur le plan médical, ce n’est pas fondé, le médicament n’existe pas encore." Ainsi, dans une tentative de comprendre ce jugement à son endroit, Latimer expédia récemment une demande aux juges de la Cour suprême afin de connaître le nom du médicament en question qui aurait pu soulager sa fille. Sa requête est restée sans réponse.

Fabrication d’un symbole

Selon Ruth Von Fuchs, on s’est acharné à faire de Robert Latimer un symbole, marqué au fer rouge; il serait devenu "le vilain officiel". Elle est parmi les gens les plus impliqués afin de le faire libérer. "Plusieurs autres personnes ont fait le même geste que Bob, mais beaucoup étaient des femmes et on a perçu leur geste différemment. Et cela fait l’affaire des politiciens de faire de Latimer un symbole, c’est simple et ça clôt le sujet. Mais les politiciens et les autres individus qui furent complices dans ce dossier devraient avoir honte", lâche-t-elle. Pour lui avoir parlé quelques fois par téléphone, elle comprend que Latimer est bien traité. "Les gens en prison comprennent la situation et savent qu’il n’est pas un criminel comme les autres. Reste qu’il a été marqué, il est celui qui subit une injustice."

"Quand il a été condamné, il disait qu’il n’endurerait pas la prison; c’est un fermier, un gars physique. Mais il semble s’être adapté jusqu’à un certain point, il a écrit aux juges de la Cour suprême pour les défier. C’est un homme qui ne doute pas de ce qu’il a fait, et qui croit, avec raison, avoir été condamné pour des raisons religieuses. Le juge Binnie, de la Cour suprême, avouait plus tard que les magistrats n’avaient pas tous les outils pour juger de dossiers aussi complexes sur les plans scientifique et médical. Le médecin Pierre Marois m’a dit qu’il était évident que Tracy Latimer aurait eu droit à une forme d’euthanasie au Québec; elle subissait presque de la torture. Latimer est traité comme un criminel même s’il a fait un geste de délivrance pour sa fille; c’est extrêmement grave", continue Bujold.

Un dernier espoir de libération?

Bien qu’il soit bien traité, Robert Latimer est terrifié, selon Von Ruchs, et n’a plus confiance dans le système. "Il a été descendu et a entendu des choses fausses à son sujet. S’il est conscient du soutien de la population, ce sont les commentaires négatifs qui demeurent dans sa mémoire. En fait, il n’a presque plus d’espoir." La dernière chance de Latimer loge dans la Prérogative royale de clémence, un geste strictement politique de la part du premier ministre, qui est loin d’être acquis. "Il pourrait la demander, mais il a peur qu’elle lui soit refusée. On songe donc à la demander en son nom car il nous dit de faire ce qu’on veut. Je viens d’écrire au premier ministre pour lui demander de faire un geste d’empathie envers Latimer. Il est important de continuer à dire aux gens que Latimer n’est pas un danger public, qu’il a fait preuve d’amour envers sa fille qui a vécu plus longtemps qu’elle n’aurait dû. Les médecins disent que les soins qu’elle a reçus étaient exceptionnels. On n’a pas mis fin à sa vie parce qu’elle était handicapée, mais parce qu’elle souffrait", poursuit Lavalée.

Des lettres ont aussi été envoyées à la gouverneure générale pour tenter de la sensibiliser, ajoute Von Ruchs. "On réfléchit à ce qu’on peut faire d’autre, on explore. Nous allons probablement tenter aussi de parler à des politiciens individuellement pour voir ce qui est susceptible de fonctionner. On ne veut plus essayer des choses qui ne marchent pas. Il est prêt à attendre. On doit être patient et y aller tranquillement. Reste que Chrétien doit penser à son héritage et être conscient que 80 % des Canadiens croient que Bob a été traité injustement et qu’il devrait pouvoir rentrer chez lui. Mais une minorité immunisée contre la critique et qui veut faire de Latimer un puissant symbole fait très peur à Chrétien."

Michel-Wilbrod Bujold

Le Don de la mort: tuer peut-il devenir un acte d’amour?

Éditions Trait d’union, 2003

www.robertlatimer.com