![Accord mondial sur la lutte au tabagisme : Tout un tabac international !](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/06/16490_1;1920x768.jpg)
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Accord mondial sur la lutte au tabagisme : Tout un tabac international !
La communauté internationale cherche depuis 1997 une position concertée sur le contrôle du tabagisme, qui fait d’importants ravages dans le tiers monde. Or, depuis son entrée en fonction, l’administration Bush, selon plusieurs, tente, en concertation avec son industrie, de faire déraper un accord jadis soutenu par la Maison-Blanche. Hégémonie mondiale sur la santé publique…
Barry Yeoman
Il était presque minuit lorsque le téléphone sonna dans la chambre d’hôtel de Thomas Novotny à Genève. C’était en mai 2001 et Novotny, alors vice-directeur du ministère de la Santé fédéral américain (Assistant Surgeon General, U.S. Public Health Service), dirigeait la délégation américaine dans les négociations sur la Convention sur le contrôle du tabac, un traité international, avec la concertation de 190 nations, visant à réduire le tabagisme partout dans le monde.
Nommé par le président Bill Clinton pour mener ces discussions, Novotny était un partisan de la propagation de la "méthode américaine". Quoique soutenant des mesures de santé publique strictes, il ne tenait pas plus que son patron à se mettre à dos les partisans des lobbys du tabac au Congrès américain en proposant à d’autres pays plus que ce qui se mettait déjà en branle aux USA.
La délégation américaine se faisait donc tout de même un honneur de défendre une interdiction internationale de la cigarette dans les restaurants, trains, autobus, semblable à celles déjà en vigueur dans plusieurs villes américaines.
Elle soutenait par ailleurs une augmentation importante des taxes sur le tabac afin de réduire la consommation et de sauver ainsi des millions de vies. Aussi, une interdiction partielle de la publicité qui pourrait toucher des jeunes.
L’appel qu’il venait de recevoir provenait de William Steiger, nouveau directeur du Bureau de la santé américaine (Office of Global Health Affairs) et petit-fils de G.W. Bush senior. Bien que les USA aient déjà longuement fait valoir, depuis trois ans, leur position sur le tabagisme à 190 autres pays présents à cette conférence, Steiger insista pour que les délégués américains reculent immédiatement sur de nombreux points. Les restrictions publicitaires, la taxation et même le bannissement sur les paquets de cigarettes de termes comme: faibles en goudron, légères et douces, termes qui, selon l’Institut national américain du cancer, laissent croire que certaines marques de cigarettes sont inoffensives. "Quelle honte! Nous devions maintenant faire demi-tour. En plein milieu de nos discussions. C’était comme si vous changiez d’idée en plein milieu d’une phrase. C’était monstrueux… j’étais dévasté!" se souvient Novotny (il a depuis démissionné).
Ce coup de fil faisait partie intégrante de la stratégie souterraine visiblement lancée par l’administration Bush pour diluer les impacts d’une restriction internationale sur le tabac.
Le traité de Genève, en cours de discussion depuis 1997, représentait un effort sans précédent pour endiguer une épidémie qui tue cinq millions de personnes chaque année dans le monde. En mai 2001, alors qu’approchait le moment de sa ratification, "il devint évident que le nouveau gouvernement américain, malgré le soutien de la majorité des pays d’Asie, d’Afrique et d’Europe, n’avait plus aucune intention de signer", dit Ross Hammond, qui représentait l’association Tobacco Free Kids à Genève.
En octobre dernier, dans l’effort le plus médiatisé pour miner le traité, l’administration Bush annonça, par la voix de Kenneth Bernard, successeur de Novotny, qu’elle s’opposerait violemment à tout contrôle mondial sur la publicité de la cigarette en arguant que "cela violerait le droit à la liberté d’expression enchâssé dans la Constitution américaine".
"En comparant une lettre de 32 pages expédiée en janvier par le fabricant Philip Morris à l’administration Bush explicitant la position des compagnies de tabac et la nouvelle position internationale du gouvernement, on était quand même surpris de ne détecter quasiment aucune différence", font remarquer les tenants de la lutte antitabac.
"Cette convention, affirmait Philip Morris inc. en préambule de son document, devrait stipuler et refléter en tout temps le fait que le choix de fumer est, et devrait rester, un choix personnel d’adulte consentant." Par la suite, la compagnie énumérait 11 propositions internationales qu’elle demandait de retirer du traité en cours de ratification.
Évidemment opposé à une hausse des taxes, Philip Morris inc. insistait sur le fait que "la cigarette est déjà l’un des produits les plus taxés au monde" et que "l’interdiction du tabac dans les restaurants devait être une décision demeurant à la discrétion des propriétaires d’établissements, chacun d’eux ayant des intérêts à fournir un environnement confortable aux fumeurs aussi bien qu’aux non-fumeurs".
Si Mark Berlind, le conseiller juridique principal de Philip Morris, admet qu’il y a eu deux ou trois rencontres entre des autorités en place et des représentants de l’industrie du tabac (la Maison-Blanche refuse une demande du Congrès de rendre publiques les discussions qui ont eu lieu derrière des portes fermées), il ne voit pas le lien entre ces discussions et le changement de position du gouvernement américain à Genève. Pas plus qu’avec le don de 57 764 $ fait au Parti républicain un mois avant l’envoi de leur lettre.
Et pendant qu’Henry Wahman, représentant démocrate de la Californie, affirme que "s’il s’agit d’une coïncidence, elle saute aux yeux un peu trop fort", Berlind, lui, affirme qu’il "n’y a pas eu de lobbying souterrain pour forcer les nations réunies à Genève à adopter les positions de la compagnie".
Des documents publics montrent pourtant que Philip Morris travaillait depuis longtemps à l’élimination de tout traité pouvant lui nuire.
Dès 1997, la compagnie embauchait Mongoven, Biscoe & Dutchin, une firme de relations publiques de Washington spécialisée dans la contestation des efforts gouvernementaux en matière de santé publique, pour défendre ses intérêts mondiaux. Dans un premier rapport, la firme identifiait d’abord l’ennemi international numéro 1: l’OMS: "Le but principal de l’Organisation mondiale de la santé, de son personnel et de ses bureaucrates, c’est de faire disparaître le tabac de la surface de la planète." Elle suggérait de "faire traîner indéfiniment les discussions avant même qu’elles soient entamées". Mongoven et Cie ont aussi préparé une biographie assassine de Gro Harlem Bruntland, directrice générale de l’OMS, pour usage ultérieur dans les médias. La biographie, qui traîne dans les cartons de Philip Morris, fut rendue caduque par le départ de madame Bruntland de l’OMS.
"Compte tenu de la célèbre opposition des USA à tout traité international qui les lie, je ne crois pas qu’ils signeront celui-ci, même s’il répondait à la majorité des volontés de la Maison-Blanche", dit Novotny, l’ex-meneur de l’équipe de négociation américaine reconverti dans l’épidémiologie à l’Université de Californie. "Que Bush signe quoi que ce soit qui ait un peu de mordant en la matière est impensable."
Pendant que beaucoup de défenseurs de la santé publique estiment qu’il faut désormais que les nations se concentrent sur une loi aussi dure que possible sur la lutte au tabagisme en se passant des USA, les efforts du gouvernement central américain pour affaiblir la position internationale les enragent, en Amérique comme ailleurs.
Ils font valoir que pendant que leurs propres citoyens bénéficient déjà de plusieurs des lois proposées dans le traité initial, les USA s’arrangent pour demeurer le premier exportateur mondial de cigarettes.
"L’Amérique peut-elle défendre deux priorités différentes pour les habitants de la planète? demande Paul Karugaba, délégué ougandais de son gouvernement aux négociations de Genève. "Alors que les cours de justice américaines accordent de stupéfiantes compensations aux victimes américaines du tabagisme et que certaines municipalités américaines, conscientes des méfaits du tabac sur la santé de leurs citoyens, le bannissent des lieux publics, les Américains ne semblent pas sur le point de vouloir permettre au reste du monde de bénéficier des mêmes avantages."