Une maladie qui touche aussi les enfants : Dessine-moi une dépression
Société

Une maladie qui touche aussi les enfants : Dessine-moi une dépression

Signe des temps, les adultes ne sont plus seuls à subir les affres de la dépression. Ce fléau touche aujourd’hui des enfants de plus en plus jeunes qui, dès l’âge de six ans, en viennent même parfois à souhaiter la mort. Comment réagir?

"Nos enfants sont déprimés comme jamais auparavant." C’est le douloureux constat que fait John Abela, professeur au département de psychologie de l’Université McGill, à la suite d’une étude inédite au Québec sur la dépression chez l’enfant, qu’il a menée au cours de la dernière année. "Depuis 20 ans, les études montrent deux choses fondamentales: premièrement, l’incidence de la dépression est à la hausse dans les pays occidentaux; et deuxièmement, l’âge des gens dépressifs est à la baisse." La dépression chez l’adulte est un phénomène bien documenté, plusieurs études ayant été faites sur le sujet. Mais quoi qu’on en pense, elle existe aussi chez des enfants beaucoup plus jeunes qu’on ne pourrait le croire, ajoute M. Abela, bien qu’on en connaisse encore bien peu sur les causes profondes qui poussent de très jeunes êtres à perdre leur regard naïf sur la vie pour entrer dans une période sombre qui les pousse parfois à vouloir mourir… "On a observé des cas de dépression chez des enfants âgés de six ans qui ont même des pensées suicidaires sérieuses. Les programmes de prévention doivent cibler des enfants beaucoup plus jeunes. À l’âge de 10 ans, 5 % des enfants ont fait une dépression; à l’âge de 14 ans, 9 %."

Le but du projet était d’identifier les facteurs psychologiques et environnementaux qui font que certains enfants sont sujets à la dépression. M. Abela a découvert que le stress était, tout comme chez l’adulte, un des facteurs déterminants menant à la dépression chez l’enfant. La grande majorité des gens qui deviennent dépressifs disent que tout a débuté à la suite d’un événement stressant dans leur vie. "L’enfant sujet à la dépression développera une pensée négative face aux événements malheureux qu’il subit, il perdra beaucoup d’estime de soi. Il dira par exemple: quand il m’arrive un événement malheureux, j’en suis le seul et unique responsable et cela prouve que je suis sans valeur et mauvais. Par ailleurs, il anticipera et percevra comme catastrophiques les conséquences à venir des événements négatifs, qui ne pourront qu’en entraîner d’autres. Il sera convaincu que les causes d’événements négatifs seront permanentes. Ce qui est aussi caractéristique de l’enfant dépressif, c’est qu’au lieu de tenter de surmonter sa tristesse en essayant de régler ses problèmes, il ruminera, s’enfoncera dans ses idées noires. Très souvent également, cet enfant recevra un faible soutien de son milieu familial et de son entourage."

Voici un cas type d’enfant en dépression, selon M. Abela. C’est l’histoire de Simon (nom fictif), un enfant âgé de neuf ans d’ordinaire enjoué et rieur, curieux et fonceur, qui n’a soudainement plus le goût de rire. Sa joie de vivre caractéristique s’est évaporée. Ses yeux sont éteints, son teint est pâle, il est irritable et maussade. Issu d’un milieu familial difficile, il se culpabilise beaucoup de voir ses parents se disputer constamment et craint que la colère de son père ne se retourne contre lui. Il ne perçoit pas d’issue à la situation conflictuelle dans laquelle il se trouve plongé. Rempli de tristesse, il est submergé de pensées négatives, perd intérêt en tout; même les activités qu’il aimait tant ne trouvent plus grâce à ses yeux. Il subit une importante baisse d’énergie, se sent mal et a de la difficulté à dormir. Les petites choses toutes simples comme se lever le matin pour se rendre à l’école commandent des efforts énormes. Fatigué et stressé, sa concentration est à la baisse et son rendement scolaire en souffre dramatiquement; il a peine à lire et écrire. Il s’isole des autres enfants, enfermé dans la bulle de son malheur. Au retour de l’école, il s’assoit machinalement devant le téléviseur qu’il regarde d’un oeil absent. Il fait de longues siestes. À une perte d’appétit s’ajoutent des maux d’estomac puis une perte de poids. Devant cette chaîne de symptômes qui devient hors contrôle, Simon se déprécie de plus en plus, croit qu’il est un perdant, sans valeur, et se sent coupable de tout ce qui va mal dans son environnement. Il en vient même à souhaiter mourir, souhait clairement exprimé à sa mère à qui il confie qu’il rêve de tomber de son lit et de se briser le cou. Simon mettra ses idées noires à exécution en sautant du toit de sa résidence pour heureusement atterrir dans les buissons et s’en tirer avec des ecchymoses.

Des histoires du genre, bien que dramatiques, ne font pas perdre espoir à M. Abela. "Je suis optimiste face aux résultats de l’étude. Personne ne sait exactement pourquoi il y a plus de dépressifs: est-ce parce que la vie est plus stressante pour tous ou parce que les gens sont plus vulnérables? Mais lorsqu’on a compris que les pensées pessimistes pavent la voie aux dépressions, on a une prise pour intervenir. En identifiant les enfants qui ruminent et ont des pensées négatives, on pourra les aider à développer une pensée positive pour qu’ils soient plus optimistes face à la vie. La première chose à faire est de leur enseigner que ce ne sont pas les événements négatifs en eux-mêmes qui font qu’ils se sentent déprimés, mais plutôt la façon dont ils appréhendent ces mêmes événements. On leur enseigne également à voir leurs problèmes comme temporaires, pouvant être résolus, et de ne pas prendre une trop grande part de responsabilité au regard de ce qui se passe de fâcheux dans leur environnement. Ils doivent aussi être de bons détectives et ne pas voir la situation d’un seul angle. On les incite ainsi à se rappeler comment, dans des situations similaires passées, ils se sont tirés d’affaire."

Pour mener à bien son étude, M. Abela avait recruté 190 enfants de la région de Montréal âgés de 6 à 14 ans. Étant donné que l’objectif était d’étudier les causes de la dépression, 75 % des enfants sélectionnés avaient un parent ayant subi une dépression. "On voulait un échantillon d’enfants sujets à la dépression. On sait qu’un enfant ayant un parent avec un passé dépressif a quatre fois plus de risques qu’un autre de devenir dépressif. On appelait les enfants une fois toutes les six semaines afin de jauger leurs humeurs et leurs symptômes dépressifs en leur demandant de parler de tout événement négatif s’étant produit au cours de la période", continue M. Abela, qui insiste sur l’importance pour l’enfant de verbaliser ses angoisses. "84 % des enfants qui ont fait une dépression vivront d’autres épisodes dépressifs. La prévention est donc essentielle."