Portraits de militants québécois : Virage à gauche
Société

Portraits de militants québécois : Virage à gauche

Ils sont des centaines, des milliers. Même si la gauche unie ne recueille jamais plus que 5 % du vote, bon an, mal an, ces opinions qu’ils crient haut et fort trouvent souvent de puissants échos et peu de réparties dans les tribunes des médias et journaux. Qui vous invite à manifester pour la paix, à refuser les OGM, à perturber la visite d’un ex-premier ministre israélien ou à contester les hausses des logements? Premier portrait de certains visages influents de la gauche  d’ici.

Abdirahman Ahmed, 28 ans

Militant SALami, SPHR

Fait d’armes: la manifestation contre la visite de Benyamin Nétanyahou à l’Université Concordia.

"Dans le tiers-monde, la colonisation continue, mais sous forme de pillage économique."

Immigrant originaire de Djibouti, Abdirahman est engagé dans des causes sociales depuis qu’il a mis les pieds à Montréal, en 1995. Étudiant aux HEC, il commence à s’impliquer dans un collectif que l’on connaîtra bientôt sous le nom d’Opération SALami. En mai 1998, plusieurs centaines de personnes entourent le Centre Sheraton, où allait se dérouler la Conférence de Montréal sur la mondialisation des économies. On bloque les entrées, protestant contre l’Accord multilatéral sur les investissements (A.M.I.). Ce geste spectaculaire de désobéissance civile deviendra la marque de commerce d’Opération SALami, qui a réalisé que c’était là un excellent moyen d’attirer l’attention des médias: "Nous sommes dans une société du spectacle où le sensationnalisme prime sur le contenu", dit Abdirahman. Si Opération SALami lui permet d’exercer ses talents de militant, Abdirahman s’implique aussi dans SPHR (Solidarity for Palestinian Human Rights), l’organisme qui a chapeauté la manifestation contre la visite de Benyamin Nétanyahou à l’Université Concordia, en septembre dernier: "Notre but premier était de pénétrer le périmètre de sécurité, sans rien faire. On savait que si le périmètre était brisé, l’événement n’aurait pas lieu." Parmi toutes ses activités, Abdirahman ne met pas une croix sur un retour à Djibouti, où il caresse le rêve de mettre sur pied une coopérative de travailleurs.

Molly Alexander, 28 ans

Vice-présidente et porte-parole de l’Union des forces progressistes (UFP)

Fait d’armes: faire passer le message de l’UFP.

"Ceux qui critiquent le plus la gauche sont les gauchistes eux-mêmes."

Née en Chine, de parents maoïstes mais pas chinois, Molly Alexander a grandi au sein d’une famille hyper-politisée, résolument socialiste et toujours prête à refaire le monde à la première occasion… À l’âge de huit ans, Molly voit, à la télévision, le président des États-Unis Ronald Reagan se faire tirer dessus. "Je me rappelle m’être réjouie de la chose parce que je savais que son gouvernement avait créé tellement de misère sur la planète", raconte-t-elle, non sans réaliser combien cette vision des choses est peu commune chez une enfant de huit ans… Après une adolescence marquée par l’apathie politique, elle rencontre, à l’Université Concordia, des gens qui lui redonnent le goût du combat. Elle entend entre les branches que des partis de gauche au Québec comptent se réunir. En juin 2002, Molly est une des premières à adhérer à ce nouveau parti: l’Union des forces progressistes. Elle en devient même la vice-présidente et porte-parole: "Je pense qu’on m’a élue parce que je ne faisais partie d’aucun des trois partis fondateurs." Lors de la dernière campagne électorale, Molly a accordé des entrevues aux médias et a essayé de faire passer le message de l’UFP au sein de la population. L’espoir était là: "Lors de certains sondages, on a cru que l’UFP avait des chances de remporter un siège", dit-elle. Ça n’arrivera pas. Mais l’UFP n’est pas morte! En juin 2003, un an après la formation du parti, ce sera l’heure des bilans et l’occasion de planifier l’avenir. "Le parti veut prendre position et s’impliquer davantage auprès de la population."

Serge Mongeau, 66 ans

Auteur et éditeur, Éditions Écosociété

Fait d’armes: La Simplicité volontaire… plus que jamais – 500 exemplaires vendus chaque mois.

"J’ai toujours essayé de rétablir l’équilibre entre les individus."

Il voulait être médecin parce que, croyait-il, la médecine comportait sa part d’engagement social. Étudiant, il commence à s’impliquer dans un regroupement qui vient en aide aux populations des quartiers défavorisés. "J’ai fait le choix d’aller vivre dans un taudis (à Saint-Henri) pour comprendre ces gens de l’intérieur et apprécier cette solidarité qu’on ne trouve pas ailleurs", raconte-t-il. C’est à ce moment qu’il s’intéresse au planning familial, un sujet tabou pour l’époque… Mais on connaît surtout Serge Mongeau comme celui qui a fait découvrir aux Québécois la simplicité volontaire, et ce, à travers le livre La Simplicité volontaire, publié pour la première fois en 1985. "On a eu beaucoup de difficulté à en vendre 1500 copies", dit-il. En 1993, il cofonde les Éditions Écosociété et décide, en 1998, de republier l’ouvrage sous le titre La Simplicité volontaire… plus que jamais. "Depuis, le livre se vend au rythme de 500 exemplaires par mois", dit Serge Mongeau, qui a aussi aidé à mettre sur pied le Réseau québécois pour la simplicité volontaire, en plus de donner fréquemment des conférences sur le sujet. Serge Mongeau explique que cet engouement pour la S.V. est dû au contexte actuel, qui tend à ne plus respecter la nature humaine: "Aujourd’hui, 20 % des Québécois travaillent 50 heures par semaine. C’est une tendance qui va en augmentant: on travaille plus longtemps et plus intensément." Lui qui a été emprisonné pendant la Crise d’octobre et étudiant au Chili lors du coup d’État de Pinochet avoue qu’il n’a jamais connu de période aussi grouillante qu’actuellement…

Mike Lai, 26 ans

Anarchiste et musicien

Fait d’armes: manifestations et sit-in.

"Nous sommes perçus comme des mauvais garçons parce que nos idéaux sont en désaccord avec ceux des élites."

Immigrant chinois, il a vécu à Vancouver quelques années avant de s’installer à Montréal pour poursuivre ses études. À l’Université McGill, il étudie la philosophie et l’aménagement urbain. C’est à partir de ce moment qu’il commence à s’intéresser à la politique. En 1997, il participe à la manifestation étudiante devant le Complexe G, à Québec, et fera plus tard un sit-in dans les locaux du Conseil du patronat du Québec. C’est en partie grâce à son implication dans ces manifestations étudiantes qu’il commence à frayer avec l’idéologie anarchiste. "L’anarchie, c’est plus qu’un mouvement punk", dit-il en parlant des principes de base de l’anarchisme, qui s’intéresse particulièrement à la dynamique entre la liberté et l’organisation. "L’anarchie, c’est l’auto-gestion des individus. C’est la forme la plus directe de démocratie puisqu’il n’y a pas de représentants qui décident pour nous." Comment faire respecter le fonctionnement d’une société tout en donnant l’entière liberté aux individus? C’est là qu’entre en jeu la notion de respect entre les gens. "Dans une société anarchique, il y aurait beaucoup plus de respect entre les gens qu’aujourd’hui; pensons à toutes les luttes actuelles entre les classes sociales, au racisme, etc. Beaucoup de tensions existant actuellement entre les individus viennent du modèle capitaliste."

Michael Werbowski, 39 ans

Journaliste et activiste

Fait d’armes: dénoncer les effets pervers sur l’environnement des accords de libre-échange.

"Il est difficile d’être neutre. Tôt ou tard, il faut prendre position."

Michael Werbowski a beaucoup voyagé. "À Prague, juste après la chute du mur de Berlin, j’ai vu les dommages environnementaux qu’avaient faits tant d’années de régime communiste", dit-il. Il verra aussi les catastrophes écologiques de Tchernobyl, en Ukraine. Tranquillement, son esprit militant se forge. Mais c’est en 2000, lors d’un séjour au Mexique, que se fait le déclic. Engagé comme journaliste stagiaire, il commence à gratter certains dossiers et découvre les effets pervers qu’ont eus sur l’environnement les accords de libre-échange: concentration des voitures, problèmes de santé, sécheresse, changements climatiques, etc. "Toutes les catastrophes environnementales que j’ai vues ailleurs dans le monde se trouvaient rassemblées dans la même ville: Mexico." Il commence à se demander ce que fait le Canada en termes d’aide internationale. Rapidement, il découvre le cas d’un barrage hydroélectrique au Belize: l’ACDI a donné 500 000 $ à une entreprise canadienne (Fortis) pour la construction d’un barrage qui va inonder la région et détruire la forêt tropicale avoisinante. Au Québec, il est le premier journaliste à sonner l’alarme. Michael Werbowski veut alerter les médias d’ici quant aux désastres écologiques qui sont commis par des entreprises occidentales dans les pays en voie de développement. Il déplore par contre le manque d’espace pour traiter de tels sujets dans les médias d’ici.

Isabelle Saint-Germain, 33 ans

Coordonnatrice

Fait d’armes: le programme de commerce équitable Équiterre

"Je voulais savoir d’où venaient les aliments qu’on mange…"

Elle s’intéressait à l’ethnobiologie et à l’environnement. Pendant un voyage de neuf mois au Mexique, elle entre en contact avec des paysans locaux et apprend des tas de choses sur la production de café. C’est la première fois qu’elle entend parler de commerce équitable. De retour au Québec, elle commence à travailler pour un petit organisme qui vient de naître dans les locaux de l’Université McGill: Équiterre. "Au début, on était 4. Aujourd’hui, on est 22." Avec 2600 membres désormais, Équiterre n’est pas un organisme de pression; il met en place des structures pour aider à faire des choix socialement acceptables, et ce, à l’aide de divers programmes comme l’agriculture soutenue par la communauté, le commerce équitable, etc. "J’ai trouvé chez Équiterre des gens qui avaient à peu près la même mentalité que moi. C’est-à-dire désireux de proposer des solutions de rechange", ajoute-t-elle. D’animatrice, elle est devenue coordonnatrice du programme de commerce équitable. Isabelle Saint-Germain n’a pas vraiment le profil de la militante frustrée et revancharde, elle entrevoit plutôt le monde avec un optimisme contagieux: "Il faut savoir apprécier toute forme de changement, et les changements dans la société se font doucement. Le but, c’est d’avoir de nouvelles voix et de nouvelles idées qui sont plus positives pour tout le monde."