Al Norman, casseur de Wal-Mart : Le monsieur y'était pas content
Société

Al Norman, casseur de Wal-Mart : Le monsieur y’était pas content

Depuis 10 ans, à la défense de la vitalité des centres-villes et des petites et moyennes entreprises, AL NORMAN fait reculer l’implantation de centaines de méga-magasins à travers les États-Unis. Portrait du terrible Wall Mart Killer.

Notre histoire commence à Greenfield, paisible municipalité de 18 400 âmes, dans le Nord du Massachusetts (à environ cinq heures de route de Montréal). Là-bas, on se fait une fierté de dire combien la croissance démographique est faible. Il ne se passe absolument rien à Greenfield. Et c’est ce que les concitoyens apprécient…

Pourtant, en 1993, une banale question de dézonage fera connaître ce bled perdu aux quatre coins des États-Unis. C’est à Greenfield que naîtra le mouvement anti-Wal-Mart. Cette année-là, les autorités locales décident de dézoner un site à vocation industrielle afin de libérer l’espace pour l’érection d’un Wal-Mart. Opposés au projet, des citoyens font appel à Al Norman. Bien connu des instances politiques municipales, Norman a travaillé à de nombreuses élections au cours des dernières années. Désireux de tirer au clair cette question, il organisera un référendum afin que la population puisse se prononcer sur l’avenir de ce site industriel de 63 acres. C’est le début d’une grande aventure.

Le 19 octobre 1993, la population de Greenfield vote contre le projet de dézonage. Wal-Mart n’a d’autre choix que d’aller traîner ailleurs ses bas prix de tous les jours. Mais un géant reculant devant une petite ville tranquille, c’est du jamais vu. Rapidement, l’histoire de Greenfield fait le tour du pays et le téléphone d’Al Norman se met à sonner. "Certaines personnes m’appelaient parce qu’elles avaient entendu dire que j’avais battu Wal-Mart, raconte Norman. Elles me demandaient comment j’avais fait et c’est ainsi que j’ai commencé à apporter mon aide à d’autres municipalités aux prises avec le même problème." Celui qui n’avait jusqu’ici aucune opinion à propos de Wal-Mart deviendra, du jour au lendemain, le "gourou du mouvement anti-Wal-Mart" (un titre que lui a donné l’émission 60 Minutes). Al Norman amorcera une croisade qui lui fera visiter 43 États américains, où il apportera son soutien dans plus d’une centaine de batailles contre Wal-Mart. "Au cours des 10 dernières années, j’ai aidé à tuer plus de Wal-Mart que quiconque sur cette planète", dit-il avec une fierté qu’il cache difficilement. Sur la ligne de front, Al Norman ramassera des témoignages et des histoires à propos du géant, qui finiront dans un livre qu’il publiera en 1999: Slam-Dunking Wal-Mart.

"Plus j’en découvrais, plus je les détestais"
Le combat que mène Al Norman en est un contre l’envahissement urbain de ce qu’il appelle les "monstres sans fenêtres à l’architecture morte qui dévorent nos terres". Plus particulièrement, Al Norman s’insurge contre la politique d’inondation des marchés de Wal-Mart. Selon lui, lorsqu’un Wal-Mart s’installe dans une région donnée, son objectif serait d’ouvrir assez de magasins pour s’accaparer de la totalité du marché. "Lorsque Wal-Mart parle de one-stop shopping (achats en une fois), on devrait prendre cette expression dans son sens littéral: Wal-Mart veut être le SEUL endroit où vous et moi allons magasiner", dit Al Norman. En 1994, l’économiste Tom Muller estimait que les magasins Wal-Mart en Arkansas avaient drainé 30 % du marché local du commerce de détail. Pour une seule bannière.

Avec un chiffre d’affaires d’environ 245 milliards $, Wal-Mart est la plus grande entreprise au monde et se classe en tête du palmarès Fortune 500. En 2001, les revenus de Wal-Mart dépassaient le PIB de la Suède. Wal-Mart possède plus de 3300 établissements aux États-Unis, et quelque 1300 autres ailleurs dans le monde. Le géant est aussi le plus grand employeur privé de la planète, avec 1,3 million d’"associés".

La prolifération de ces magasins de grande surface occasionne, selon Norman, nombre d’effets pervers. Ceux-ci détruiraient la valeur économique et environnementale d’un terrain, encourageraient une concurrence absurde entre les gouvernements locaux (qui se livrent à une guerre de taxes afin d’attirer chez eux ces géants du petit prix), forceraient l’aménagement d’infrastructures coûteuses en périphérie des villes, dégraderaient la beauté d’une communauté locale, ce qui baisserait la valeur des propriétés commerciales ou résidentielles avoisinantes (réduisant, par le fait même, les revenus municipaux). Enfin, l’établissement d’un Wal-Mart ferait en sorte que les consommateurs se désintéressent des autres artères commerciales, que l’on devra bientôt revitaliser en puisant dans les fonds publics… Bref, Al Norman croit que l’arrivée d’un Wal-Mart est, à terme, une plaie pour une municipalité. Cet avis n’est pas partagé par Wal-Mart, qui précise que les taxes qu’elle paie à la municipalité, l’emploi qu’elle crée, les achats qu’elle fait auprès de fournisseurs locaux et les dons qu’elle remet à la communauté représentent des bénéfices pour celle-ci. Bref, le débat est plutôt celui de la diversité commerciale qui, au même titre que la biodiversité ou la diversité des voix dans les médias, est fortement menacée. Notre époque aurait-elle un problème avec la diversité?

Avec le temps, le combat d’Al Norman s’est élargi. Home Depot, Target et autres Costco y passent, et plus encore, sa croisade s’étend désormais hors des frontières américaines. Au moment de notre entretien, Al Norman se préparait à s’envoler pour l’Irlande, où il devait donner une conférence à Dublin. Là-bas, un débat est en cours concernant l’éventualité d’éliminer une loi limitant la taille des magasins. Que les grandes surfaces s’y fassent: où qu’elles soient, elles auront toujours Al Norman pour gâcher leur plaisir…