![Entrevue avec Denys Arcand : Penseur d'Amérique](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/06/16667_1;1920x768.jpg)
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Entrevue avec Denys Arcand : Penseur d’Amérique
"Je n’ai jamais eu envie de faire une suite du Déclin. Par contre, cette idée de faire un film sur quelqu’un qui attend la mort me trotte dans la tête depuis 20 ans. Et j’ai essayé à plusieurs reprises de l’écrire, sans succès. Je ne faisais rien d’autre qu’un scénario lugubre."
Juliette Ruer
Quand avez-vous eu l’idée de faire une suite du Déclin de l’empire américain
?
"Je n’ai jamais eu envie de faire une suite du Déclin. Par contre, cette idée de faire un film sur quelqu’un qui attend la mort me trotte dans la tête depuis 20 ans. Et j’ai essayé à plusieurs reprises de l’écrire, sans succès. Je ne faisais rien d’autre qu’un scénario lugubre."
Pourquoi la mort?
"Parce qu’elle me fascine. Ce n’est pas l’heure du bilan, j’avais cette idée-là quand j’avais 35 ans. Et puis j’ai voulu traiter de ce sujet avec les personnages du Déclin, qui auraient envie de fumer un pétard, de boire ou de se shooter à la veille de leur mort."
Les personnages vous ont-ils accompagné durant ces 17 années?
"Non, ils sont revenus brutalement. Je ne pense pas à mes vieux films; en fait, je ne les revois jamais. Je m’en désintéresse complètement. Et même les comédiens sont des gens que je ne vois pas dans la vie courante. Mais je les ai réunis pour ce projet-là."
Ce n’est plus seulement le déclin de l’empire américain?
"Non, c’est le déclin de la civilisation occidentale. C’est aussi un déclin par rapport aux ambitions de l’Amérique, telle qu’elle avait été rêvée par Jefferson: une démocratie égalitaire, le Nouveau Monde. Aujourd’hui, c’est une ploutocratie, il n’y a pas un seul sénateur américain qui ne soit millionnaire et qui ne représente les intérêts d’une grande corporation. C’est une démocratie militaire, complètement agressive, et qui n’a plus rien à voir avec le rêve des fondateurs. Prête à attaquer, elle va devoir faire des guerres continuellement. Il va falloir s’habituer."
La seule solution, c’est l’humour?
"Je ne sais pas. La dernière scène du film, c’est quelqu’un qui va garder les livres, pour sauver l’héritage de la culture européenne; s’enfermer dans des monastères et essayer de garder les manuscrits pour les générations futures!"
Durant le festival, on a vu bon nombre de réalisateurs se faire les oracles d’un monde qui va mal et qui va aller encore plus mal, et cela sur un mode didactique, résolument sérieux, voire sinistre: vous ne tournez pas le dos à la thématique dominante mais vous faites rire; que pouvez-vous dire là-dessus?
"La seule chose que je peux vous répondre, c’est moi. Ça reflète ce que je suis. Je suis quelqu’un qui adore rire, qui adore voir ses amis, boire, manger, déconner, etc. Donc, mes films correspondent à mon tempérament."
Avez-vous eu des craintes au moment de décrire une génération qui n’est pas la vôtre?
"Non, parce que j’allais écrire à propos de gens que je connaissais. Des enfants de mes meilleurs amis sont junkies, un autre est un super opérateur financier à Londres. Je ne pars pas d’idées sur une génération, je pars de personnes. Je n’impose pas mes idées, je suis un ancien documentariste! Je pars toujours au ras des pâquerettes. Je vais voir la GRC et je demande si quelqu’un peut m’expliquer l’héroïne. Alors je demande au caporal machin si je peux passer un peu de temps avec lui. J’adore ça."
Certaines idées se dégagent-elles par la suite? Un constat?
"Je ne sais pas encore ce qui ressort, c’est trop tôt. Je n’ai pas de recul, j’ai le nez sur la vitre…"
En voulez-vous à Godard et à Sollers, chantant la gloire de la Chine?
"Non, je ne leur en veux pas du tout. Ils ont fait ce qu’ils avaient à faire. Sauf qu’après l’ouverture de la Chine à l’Occident, le premier pays qui a fait le pont, c’est le Canada. Pays éternellement neutre, mais les pongistes canadiens avaient été invités en Chine et la Chine avait envoyé quelques émissaires culturels, dont une fille qui ressemblait à Gong Li. À l’ONF, on ne savait pas quoi faire avec elle; étant le gauchiste de service, on a donc pensé à moi pour lui faire visiter la ville. Face à cette fille magnifique, je ne savais pas quoi faire et j’ai dit que c’était donc formidable, la révolution culturelle! La fille avait perdu la moitié de sa famille, elle avait été dans un camp de rééducation: c’était le truc le plus idiot à dire."
Les autorités, les syndicats et la religion baissent les bras, mais l’envie de la foi semble encore vivante, avec le personnage de la soeur…
"Je ne sais pas si l’envie de la foi est encore là, mais ce que je sais, c’est que dans les hôpitaux, les seules personnes qui parlent aux malades, c’est, en langage politiquement correct, le service de la pastorale. Les familles sont étonnamment absentes, les médecins ne sont jamais là, les infirmières sont débordées. C’est comme ça que moi je l’ai vécu. Mais il est aussi possible qu’on ne se relève pas d’un héritage religieux si facilement."
Avez-vous eu l’impression de passer à côté de certaines choses dans votre génération?
"Toutes les générations passent à côté de certaines choses. Je n’ai pas de regrets. Même si j’ai mis quelque chose de moi dans chacun des personnages, je suis différent d’eux, parce que moi, j’ai toujours fait quelque chose. Toute ma vie, j’ai voulu faire les meilleurs films que je pouvais dans les circonstances. Ce qui m’a donné, je crois, une plus grande paix. Je vais être paniqué à la fin, mais je vais me dire que j’ai fait du mieux que je pouvais, que j’ai travaillé le plus que je pouvais."