Marie-Josée Croze : Et la gagnante est…
Société

Marie-Josée Croze : Et la gagnante est…

Dans un entretien paru en décembre dernier dans Voir Gatineau, la récipiendaire de la Palme d’or de l’interprétation féminine à Cannes évoquait sans pudeur la présence de Dieu dans son existence, ou d’une influence majuscule du destin qui, visiblement, vient de frapper. Fascinant regard sur une âme entrouverte.

Vous jouez de nombreux personnages tourmentés, complexes, comme dans Maelström, Ararat ou Les Invasions barbares; en quoi vous ressemblent-ils?

"Les gens qui aspirent à la paix sont souvent les plus torturés. Quand j’accepte un rôle complexe, personnellement, je ne le trouve pas complexe puisque c’est un peu moi. Je me reconnais et c’est rassurant de voir qu’il y en a d’autres dans cet état-là. Disons que je n’aime pas la sensiblerie, l’absence de pudeur et ce qui manque de retenue. C’est pour ça que j’admire tous les films d’Atom, ils n’ont pas nécessairement un sens psychologique mais plutôt un sens viscéral; c’est ce qui me touche. Aujourd’hui, il y a trop de psychologie à deux piastres; il faudrait peut-être revenir à ce qui est plus instinctif.

Dans Les Invasions barbares, je fais une droguée. Je me suis mise à terre à force de me demander comment j’allais faire pour l’interpréter. Finalement, j’ai décidé d’arrêter d’y penser et d’y aller selon mon instinct. À un moment donné, c’est comme si j’avais perdu le contrôle, pas dans le sens de perdre ma retenue, mais plutôt comme si je perdais le contrôle par nécessité, guidée par mon propre corps. Les fois où j’ai travaillé en toute conscience du personnage n’ont jamais été mes meilleures shots. Ça faisait ce que ça avait à faire, et c’est tout.

Je pense que les humains sont torturés par leur quête. L’homme n’est pas né hier et on porte en nous tout le bagage amassé depuis toujours, mais pourquoi faudrait-il tout savoir? Il n’y a plus beaucoup d’"ensauvagement", on est plutôt dans une société calculée dans laquelle, pour avoir tel résultat, il faut faire ça, ça, et puis ça. Je m’aperçois pourtant qu’il y a des choses qu’on peut faire simplement si on en a envie parce qu’on devient en état d’osmose, inconscient dans l’intérêt qu’on porte à quelque chose; c’est un genre d’amour véritable. C’est instinctif. Je me suis dit que les gens qui sont toujours dans leur tête, jamais dans leurs feelings, et qui calculent tout dans leur vie – par exemple, qu’ils veulent un homme comme ça, ça et ça -, ils sont fourrés parce que ça ne marche pas de même. Ceux qui veulent tout décider, ils sont baisés. Je ne sais pas si j’ai raison mais c’est ma réflexion. Depuis que je suis toute petite, on dirait que j’ai toujours eu une connexion avec Dieu, comme s’il m’avait toujours dit quoi faire et quoi ne pas faire. Ce n’est pas une religion mais plus un sentiment.

Dostoïevski a dit: pourquoi ne pas croire en Dieu, on ne le saura jamais de toute façon. Alors il me semble que croire à quelque chose peut juste nous apporter une plus belle vie. Je ne dis pas de se conter des mensonges, je dis tout simplement de se laisser habiter par quelque chose. Ça revient à mon concept de ne pas tout calculer ou contrôler. Je crois en la vie; je ne crois pas aux dieux des peuples qui s’entretuent mais plutôt en une force qui va dans le sens de la vie, de l’âme, dans le sens de la non-destruction. Qu’est-ce qui fait que quelqu’un est en amour? C’est une certaine foi qui ne vient pas de quelque chose de bâti mais de quelque chose de ressenti. Je n’ai pas de rituels ou de pratiques mais je prie. Il ne faut pas non plus demander à Dieu de t’acheter un char, tu dois tout simplement lui demander de t’aider à être meilleur. Il y a plein de tentations dans la vie, des choses qui nous font ralentir, des choses qui nous mènent vers la paresse. J’essaie de résister à ces choses-là.

Avant, les gens faisaient de bons actes pour acheter leur ciel. Aujourd’hui, ce n’est pas la même game. Je trouve un peu stupides les gens qui ne croient pas que lorsqu’ils se lèvent dans un bad fucking mood, ça n’influencera pas toute leur journée. Moi, quand je ne vais pas bien, je fais comme un chien qui a mal, je reste couchée. Il y a des gens qui pensent que lorsqu’ils quittent une pièce, cette pièce n’existe plus. C’est un genre d’égocentrisme dévastateur. Il s’agit d’avoir une conscience plus large et de travailler dans le sens de la vie tout en se laissant porter par nos instincts."

Les Invasions barbares
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