Symboles religieux dans les écoles du Québec : Tous voiles dehors!
Société

Symboles religieux dans les écoles du Québec : Tous voiles dehors!

Le bruyant débat concernant le port du voile islamique à l’école reprend de plus belle en France, tandis qu’ici, le Comité sur les affaires religieuses du ministère de l’Éducation publie un document prônant la tolérance en matière de symboles  religieux.

La France, pays laïque par excellence en Europe, est de nouveau ébranlée par une affaire de foulard islamique. Au point où le gouvernement songe même à promulguer ultimement une loi interdisant le hidjab à l’école et dans la fonction publique, au nom d’une république laïque où tous sont égaux.

Qu’en est-il ici? Quelle conception avons-nous de la laïcité? Cours d’enseignement religieux pour les catholiques et les protestants, financement public des écoles privées confessionnelles, port du hidjab…

La laïcisation du système scolaire accuse un retard en comparaison de la France, et elle est loin d’être achevée au Québec, selon le Mouvement laïque québécois et son président, Henri Laberge. "L’école représente l’enjeu majeur en matière de laïcité, c’est dans cet espace que s’acquièrent les valeurs communes. Nous pensons qu’il doit y avoir une morale laïque enseignée à tous reposant sur des principes universels, acceptables pour l’ensemble de la population. On forme des citoyens en mettant l’accent sur la formation civique et morale."

Le hidjab: symbole d’oppression ou de liberté?
Outre les privilèges consentis aux catholiques et aux protestants aux niveaux primaire et secondaire et qui constituent "un accroc très, très grave à la laïcité", invitant au surplus les autres confessions à réclamer, à raison, ce privilège, ce qui mènerait à des ghettos et des divisions, le port du foulard islamique ou hidjab, ou du kirpan, comme de tout autre signe distinctif susceptible de troubler la paix ou de créer des divisions, devrait être interdit à l’école, ajoute Laberge. "Je ne veux pas empêcher un musulman de porter quelque chose sur lui si sa religion l’y incite. Mais il ne faut pas que ce soit un signe distinctif ostentatoire, provocateur, signifiant l’isolement d’un groupe ou incitant au prosélytisme. Or, le hidjab est un symbole ostentatoire et il a aussi cette particularité de présenter un rapport entre les hommes et les femmes qui n’est pas conforme aux valeurs qu’on a établies comme communes dans notre société; il signifie la subordination de la femme à l’homme. De plus, il est un symbole purement idéologique; on devrait l’interdire. En interdisant le hidjab à l’école, on créera un mouvement qui fera en sorte que ces femmes résisteront à leurs communautés lorsqu’elles voudront le leur imposer", poursuit-il, disant voir en la France le modèle le plus intéressant en matière de laïcité.

À ceux qui objectent qu’un climat de tolérance règne en ce moment dans les écoles québécoises à ce sujet, Laberge répond qu’il vaut mieux établir une règle avant que ne se produisent des situations intolérables. "Il faut établir des règlements en fonction de principes généraux, et non pas d’un cas particulier de violence. Ce n’est pas le rôle des écoles, mais de l’État d’établir ces principes. L’esprit de la Charte des droits est que tous les citoyens sont libres et égaux; on n’est pas anti-chrétiens ou anti-musulmans, mais en faveur de l’application de l’esprit de la Charte."

Salaam Al Minyawi, président du Conseil musulman de Montréal, a une conception bien différente des chartes, qui servent surtout pour lui à garantir la liberté religieuse. "On ne doit pas imiter la France, c’est honteux de la part du gouvernement français de vouloir brimer une personne dans la pratique de sa religion. Il faut plutôt se respecter les uns les autres. Le hidjab est une obligation pour les femmes imposée par l’islam. Une femme religieuse doit le porter partout, en tout temps, en présence d’étrangers. Et puis, c’est une insulte à l’intelligence que de dire que les musulmans obligent les femmes à porter le hidjab; les femmes elles-mêmes disent: "On n’a pas besoin de votre aide, restez en dehors de ça!" Les musulmanes se sentent complètement libres. Les gens ne doivent pas croire qu’ils connaissent mieux que les autres ce qui est bon pour elles." Le Conseil musulman de Montréal soutient aussi en ce moment une lutte en justice d’étudiants musulmans contre l’École de technologie supérieure, qui aurait refusé de leur aménager un lieu de prière et qui les empêcherait de prier dans l’institution, selon Al Minyawi.

Au Québec, bien plus que le hidjab, c’est le kirpan, ce petit poignard que les Sikhs portent en permanence, qui souleva une polémique récemment alors qu’une école s’opposait à ce qu’un élève le porte durant les heures de classe. "L’école a finalement accepté, mais sur ordre de la Cour seulement. Notre religion dit qu’on doit porter le kirpan en tout temps lorsqu’on a décidé de le faire", ajoute Kran Pal Singh, président du Gurdwara Guru Nanakdarbar. Pour porter le kirpan, on doit suivre les règles religieuses. "Si une personne agit mal avec le kirpan, elle n’est plus apte à le porter. Dans le cas contraire, on doit être tolérant. Et je ne vois pas davantage de problèmes avec le hidjab, qui devrait être accepté comme la croix chrétienne. Je porte le turban tout le temps, personne ne me l’impose, même si ma religion le recommande."

L’exemple de la France
Professeur au département des sciences religieuses de l’UQAM, Louis Rousseau fait remarquer qu’en matière de laïcité, le Québec et la France ont connu des évolutions historiques très différentes et qu’il convient d’être prudent avant de prendre pour modèle l’Hexagone. "Il n’y a rien de pire que de tirer des solutions élaborées graduellement dans un contexte historique totalement différent. En France, au 19e siècle, l’Église catholique n’avait pas encore accepté la République. Les républicains croyaient qu’il fallait une école républicaine pour souder la nation. Il fallait donc expulser les communautés religieuses qui refusaient la République."

"Au Québec, on a une autre histoire et on a développé la théorie de l’accommodement raisonnable. Si des éléments particuliers peuvent être intégrés aux règles générales sans provoquer de désordres sociaux ou de tensions, on les autorise. C’est un principe relatif, par une règle générale. Pour le hidjab, il faut poser la question aux femmes. Dans bien des cas, c’est une manière de marquer son identité, même si parfois un enfant peut y être forcé. La subordination de la femme ne me semble pas si manifeste…", poursuit Rousseau, selon lequel il est acceptable de donner une reconnaissance identitaire par le biais du vêtement. "Il faut faire confiance au processus de socialisation graduel en marche dans les écoles, et surtout, de toute urgence, ajouter au secondaire des cours d’histoire des religions. L’islam est la troisième religion au Québec. La laïcité, ce n’est pas l’exclusion. C’est refuser que nos institutions soient régulées par le droit canon ou la torah, par exemple. En France, je crois qu’on assiste en réalité en ce moment au retour d’une image terrifiante d’un islam imaginaire."

Que pensent de ces débats sur la laïcité les représentants des deux confessions traditionnelles? Dans l’esprit de Peter Hannen, archevêque anglican du diocèse de Montréal, les différentes confessions ont beaucoup à s’apprendre mutuellement. "Mais les étrangers doivent aussi connaître un peu notre culture pour éviter les ghettos. Je ne suis pas à l’aise avec le kirpan, mais les vêtements comme le hidjab devraient être acceptés. La tradition en France en a fait un État très centralisé et peu respectueux des différences, ayant un passé malheureux avec sa communauté musulmane. Je ne crois pas que l’on devrait prendre exemple sur ce pays", dit-il, ajoutant surtout craindre que les jeunes ne perdent des repères historiques avec la diminution des cours d’enseignement religieux catholique et protestant.

De son côté, Robert Sauvageau, directeur de l’Office de l’éducation à la foi à l’archevêché de Montréal, estime que le document produit dernièrement par le Comité sur les affaires religieuses, Rites et symboles religieux à l’école. Défis éducatifs de la diversité, prend une position d’ouverture et de respect, acceptable dans la mesure où il n’y a pas de prosélytisme. "On ne fait pas de l’urticaire parce que des gens portent une croix. Les musulmans eux-mêmes sont divisés sur le hidjab. La décision me semble donc équilibrée."

Sauvageau fait remarquer que d’ici quelques années, on dispensera, à partir du 4e secondaire, un cours d’éthique et culture religieuse qui favorisera les rapprochements. "La question du sens de la vie, de la recherche d’absolu, devrait rester ouverte, sinon tous seront renvoyés à la sphère privée et les ghettos se développeront. Quand les différentes traditions religieuses ont la chance d’exprimer leurs couleurs, il est plus facile de vivre ensemble."