Désinformation verte : Quand la pub s'habille en vert…
Société

Désinformation verte : Quand la pub s’habille en vert…

Un propriétaire de Jeep débarque dans le Grand Nord pour sauver un phoque emprisonné sous une couche de glace. Le symbole est fort: la protection de la faune associée à la conduite d’un véhicule carburant aux combustibles fossiles… Les écolos appellent cela du greenwashing, ou désinformation verte.

Cette publicité de Jeep, que l’on a pu voir au petit écran cet hiver, figurait au palmarès des plus grands greenwashers de 2003, publié par Earthday Resources for Living Green (www.earthdayresources.org). Depuis 11 ans, le jour du 1er avril, cet organisme de Boston fait paraître le rapport Don’t Be Fooled, dans lequel il cite 10 organisations ayant brillé par leurs activités de désinformation verte. En 2002, Kraft remportait la palme d’or pour ses publicités vantant le côté naturel de ses céréales Post: "En faisant la promotion de céréales telles que Blueberry Morning par l’utilisation d’adjectifs comme "naturel" et "sain", Post suggère qu’elles sont faites d’ingrédients qui existent dans la nature, et non concoctés en laboratoire", pouvait-on lire dans le rapport. Cette année, Altria est la grande lauréate. Altria, c’est le nouveau nom que s’est donné le cigarettier Philip Morris (qui possède aussi Kraft). Lorsque le géant a annoncé son changement de nom, les critiques n’ont pas tardé à dire que cette nouvelle identité n’était qu’une diversion pour faire oublier la mauvaise image véhiculée par Philip Morris, éclaboussée depuis quelques années par de nombreux procès et scandales entourant la promotion du tabagisme.

Le lucratif marché de l’environnement
LOHAS est l’acronyme de Lifestyles of Health and Sustainability. Aux États-Unis, on utilise ce terme pour décrire le marché des produits à saveur environnementale, équitable ou biologique. Environ 30 % des adultes américains se soucieraient de l’aspect éthique de ce qu’ils consomment, ce qui représente un marché de près de 227 milliards $ US aux États-Unis et 546 milliards $ US dans le monde. Dans un pareil contexte, on comprend mieux pourquoi de grands pollueurs cherchent à changer leur image afin d’attirer cette manne de petits écolos…

Un peu d’histoire
La désinformation verte existe depuis plusieurs années. Mais on a remarqué une recrudescence du concept au lendemain du Jour de la Terre, en 1990. Lors de cet événement, des millions d’individus s’étaient rassemblés pour sonner l’alarme et dénoncer la dégradation croissante de l’environnement. Profitant de la vague écologique, plusieurs multinationales ont commencé à réorienter leur discours afin de plaire à ces consommateurs de plus en plus préoccupés par la santé de l’environnement.

Dans le flot publicitaire actuel, il n’est pas difficile de trouver des exemples de désinformation verte. "Il s’agit d’une théorie fondamentale en communication commerciale que d’essayer d’associer un produit à des tendances considérées comme sympathiques par la population", dit André Delisle, consultant en communication environnementale. Lui qui travaille plus particulièrement à aider les entreprises qui veulent vraiment adopter des attitudes plus écologiques ne croit pas que de telles campagnes "vertes" puissent avoir beaucoup d’effet. "Unir un symbole de la nature avec quelque chose qui est considéré comme un agresseur environnemental, je pense que les gens réalisent que ça n’a pas de bon sens. Je ne crois pas que ce soit très rentable comme stratégie", dit-il.

La désinformation verte se fait de plusieurs façons. Si on en voit beaucoup dans les publicités, elle est parfois plus subtile dans les campagnes de relations publiques qui cherchent, par exemple, à "aider" la population à "mieux comprendre" les "bienfaits" des OGM ou de l’énergie nucléaire… Pour donner une touche de crédibilité à la cause, on fait souvent appel au corps scientifique. C’est ainsi que sortent fréquemment dans les médias des rapports "de spécialistes" presque contradictoires. C’est le cas avec les OGM. "Il y a beaucoup de chercheurs universitaires qui dépendent de plus en plus du financement provenant du secteur privé. Ils sont peut-être universitaires, mais ils ne sont pas totalement désintéressés", soutient Éric Darier, spécialiste des OGM chez Greenpeace Canada.

Même chose pour le nucléaire. On trouve des gens pour nous dire que c’est la meilleure forme d’énergie qui soit, et d’autres pour crier que c’est la pire cochonnerie à avoir été inventée! "Dans un contexte d’opinions et de perceptions, il est difficile de se faire une idée", ajoute André Delisle. Aux États-Unis, on a baptisé cette tendance Astroturf, ou l’utilisation de groupes scientifiques ou de mouvements douteux par les grosses entreprises pour faire avancer leurs causes…

Coup de pub ou sincérité?
Au-delà de l’image, il arrive souvent qu’une entreprise privée mette VRAIMENT de l’eau dans son vin en adoptant des attitudes plus soucieuses de l’environnement. C’est ce qu’a fait McCain Canada, en 1999, lorsqu’elle a retiré les pommes de terre transgéniques de ses produits, cédant à la pression populaire. "Le problème, selon Éric Darier, c’est qu’ils ne sont pas allés jusqu’au bout de leur logique. Par exemple, ils continuent de faire cuire leurs pommes de terre dans de l’huile de canola modifié génétiquement…"

C’est le grand dilemme de la désinformation verte. Est-ce vraiment un pas dans la bonne direction ou simplement un truc pour améliorer l’image? "Le mouvement environnemental surveille cela de près. Et on repère rapidement les entreprises qui font du maquillage vert, alors que leurs pratiques ne le sont pas", dit André Delisle. "Il faut donner le bénéfice du doute à une entreprise qui a fait des efforts, ajoute Éric Darier. Mais il faut aussi s’assurer que ce n’est pas simplement une opération de relations publiques et que l’entreprise a vraiment l’intention d’aller jusqu’au bout…"