La chaise électrique : Le courant ne passe plus
Société

La chaise électrique : Le courant ne passe plus

Aux États-Unis, on s’apprête à "tirer la plogue" de la chaise électrique. À titre d’unique mode d’exécution, du moins. De mauvaises langues diront que si certains bourreaux américains sont tristes, ce n’est que de la peine de mort.

Bienvenue au Nebraska. Il s’agit du seul État qui désigne toujours la chaise électrique comme moyen d’exécution irremplaçable. Bien sûr, on permet encore l’électrocution en Alabama, en Floride, en Georgie, au Kentucky et au Tennessee. Mais là-bas, on a changé la chaise pour la seringue: c’est l’injection létale qu’on favorise. C’est qu’on a la frousse qu’un jour la Cour suprême interdise pour de bon l’électrocution.

Le Nebraska, donc: on fait l’aller-retour dans un cul-de-sac quand on parle peine de mort. D’un côté, le sénateur John Bruning propose qu’on laisse tomber la chaise électrique comme unique mode d’exécution et qu’on passe enfin (sic) à l’injection létale. De l’autre côté, le sénateur Ernie Chambers réussit jusqu’à ce jour à contrer ardemment le projet. Ouvertement contre la peine capitale, il voit dans la proposition de Bruning une belle manière de changer quatre trente sous pour une piastre. Bruning ne ménage pas ses mots, selon thedeathhouse.com: "Chambers est un farouche opposant à la peine de mort. Mais en bloquant le projet, il démontre qu’il souhaite garder les exécutions aussi horribles qu’elles le sont présentement." Ernie Chambers, pour sa part, notait pendant ce temps que l’injection létale avait été inventée par les Nazis: "Les Nazis ne sont-ils pas méchants? Est-ce un exemple à suivre?"

Pas d’autres points de vue dans la salle? Pas dans la salle, semble-t-il. Mais à l’extérieur du sénat, le groupe Nebraskans Against the Death Penalty (NADP) tente par tous les moyens de se faire entendre. Christy Aggens, directrice du NADP veut démontrer à la population que l’exécution d’un individu, peu importe la méthode, est un acte horrible et inhumain. "Masquer la mort par une procédure médicale comme l’injection, soutient-elle, n’est pas la solution."

Malgré la lutte du NADP, tout indique que c’est l’injection létale qu’on choisira comme punition. À moins que le condamné choisisse la chaise électrique, est-il stipulé sans aucune ironie dans le projet de loi. En attendant, le Nebraska vient au 23e rang des états américains dans le nombre d’exécutions: trois depuis 1976, le dernier en 1997. Aucune exécution n’y est prévue cette année. Sept personnes sont actuellement dans le couloir de la mort.

Histoire d’horreur

Depuis 1890, 4459 personnes ont dit leur dernier mot sur une chaise électrique des États-Unis, plus de 150 depuis la reprise des exécutions judiciaires en 1977. Les sources varient. Mais elles s’accordent pour attribuer à Earl C. Bramblett le titre macabre du dernier exécuté par électrocution de toute l’histoire américaine, aussi bien dire du monde entier. Bramblett, 61 ans, a soutenu son innocence tout au long de son procès devant les accusations de meurtre qui pesaient contre lui. Condamné à mourir par injection létale, il a protesté en choisissant plutôt la chaise électrique: "Je n’ai jamais tué personne, a-t-il dit. Je vais mourir la conscience tranquille." Le sexagénaire poussa son dernier souffle le 9 avril dernier en Virginie. Il venait d’être traversé pendant plus d’une minute par un courant variant entre 1700 et 2400 volts, d’une puissance d’au moins 5 ampères.

C’est Thomas Edison qui doit se retourner dans sa tombe. Pour la petite histoire, c’est un peu à cause de lui si la chaise électrique a vu le jour. À la fin du 19e siècle, il livre une guerre économique à George Westinghouse (oui, le Westinghouse des machines à laver). Pour prouver que le courant alternatif de son compétiteur est plus dangereux que son courant continu, Edison électrocute en public des chiens comme des éléphants. Les autorités de l’État de New York admirent la démonstration; on cherchait justement à remplacer la pendaison…

Le lendemain de la première exécution sur chaise électrique, on peut lire dans les pages du New York Times que "le travail fut horriblement bousillé" et que "le condamné, William Kemmler, fut littéralement rôti à mort." Sur place, Alfred P. Southwick, un dentiste de Buffalo à qui certaines sources attribuent l’invention de la chaise électrique, déclara immédiatement après cette première exécution: "Nous vivons depuis aujourd’hui dans une société plus humaine."

Débat moyenâgeux

Les histoires récentes du Nebraska et de la Virginie ont alimenté les débats sur la peine de mort chez nos voisins du sud. Quelles conclusions tire-t-on quant à la relativement courte vie de la chaise électrique? Pour Julian Roberts, professeur au département de criminologie de l’Université d’Ottawa, c’est la preuve que la peine de mort ne fonctionne pas. "Et on tente maintenant de dorer la pilule en choisissant l’injection létale"

Au Canada, on ne réveille pas souvent le fantôme de la peine de mort. "La question est d’ordre moyenâgeux, croit Pierre Landreville, professeur à l’École de criminologie de l’Université de Montréal. C’est un débat désuet parce que c’est politiquement innaceptalbe aujourd’hui."

Pourtant, au Canada, au moins deux candidats ont fait allusion au retour de la peine de mort aux dernières élections fédérales. Joe Clark, à Toronto en août 2000, avait traité Jean Chrétien et ses libéraux de poules mouillées en matière de justice, avant d’ajouter qu’advenant l’élection des Conservateurs, il tiendrait un vote libre sur la question à l’intérieur de son caucus. Plus malhabile, Stockwell Day s’était lui aussi prononcé en faveur de la peine de mort… alors qu’il visitait d’anciens combattants, le Jour du souvenir.

Même si la peine de mort fut abolie en 1976 au Canada, elle est restée en vigueur jusqu’en 1998 dans les cours martiales du pays. Les crimes passibles de la chaise électrique aux États-Unis sont punis, de ce côté-ci de la frontière, par l’emprisonnement à vie, sans libération conditionnelle avant 25 ans.