![Nouvelles statistiques sur la situation du français au Canada : Chinois, langue seconde?](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/06/16991_1;1920x768.jpg)
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Nouvelles statistiques sur la situation du français au Canada : Chinois, langue seconde?
Si l’on se fie aux résultats du dernier recensement canadien, rien ne semble pouvoir arrêter l’anglicisation et l’assimilation des francophones du Canada. Il n’en faut pas plus pour que fusent, d’un côté, les prédictions selon lesquelles le bilinguisme canadien pourrait un jour n’être plus qu’un souvenir folklorique supplanté par d’autres langues, tandis que de l’autre, on se félicite des efforts consacrés à la préservation du français. Positions divergentes sur des statistiques ambiguës.
Claude Giguère [email protected]
Se basant sur l’évolution de sa carte linguistique, certains observateurs craignent que le glas n’ait sonné pour le bilinguisme dont se réclame sur la scène internationale le Canada. Pas au point de prédire l’avènement d’un pays anglophone coast to coast – certains parlent plutôt de trilinguisme et de la reconnaissance de nouvelles langues officielles -, mais au point de douter de l’avenir des communautés francophones hors Québec (980 000 personnes), dont le poids relatif dans la fédération ne cesse de décroître. Avec 20 % des Canadiens qui sont nés à l’étranger et le seul groupe d’origine chinoise (900 000 personnes) en voie de dépasser en nombre ces Franco-Canadiens, la question peut se poser.
Au Québec, dans le cas plus spécifique de Montréal, le dernier recensement fait état d’un premier essoufflement en 30 ans de l’anglicisation de la métropole, environ 56 % des habitants y parlant encore français, soit à peu près la même proportion que lors du recensement de 1996. Pourtant, en 2000, un groupe de travail mandaté par Lucien Bouchard avertissait que "l’accroissement naturel des francophones sur l’île de Montréal est insuffisant pour assurer au moins une croissance égale à celle de l’ensemble des autres groupes linguistiques". Malin qui peut dire, donc, si l’on assiste aujourd’hui aux premières manifestations d’un renversement de tendance ou à une simple pause dans un processus irréversible.
Points de vue
Jacques Godbout, cinéaste, écrivain et éditeur chez Boréal, s’étonne d’abord, lors d’un entretien, des difficultés des francophones hors Québec à préserver leur langue maternelle. "Pourtant, esquisse-t-il, j’ai fait plusieurs films aux États-Unis, j’y ai rencontré des Français immigrés là-bas depuis 30 ans qui étaient toujours capables de bien parler leur langue. Dans notre cas, il semble que la structure du français des francophones hors Québec ne soit pas suffisamment solide pour résister."
L’homme, montréalais, trouve quand même de quoi se réjouir en ce qui concerne le Québec. "La qualité du français, en général, s’est améliorée au cours des dernières années, et je crois que nous possédons les outils nécessaires pour en préserver l’avenir", estime celui qui se dit d’autre part irrité de voir le mot allophone sur-utilisé. "C’est un manque de respect envers la multitude de langues étrangères qui se cache derrière ce terme uniforme."
D’autres tiennent un discours plus tranchant. C’est le cas de Jean-Pierre Perreault, président d’Impératif français. "Il est tout à fait décevant que le Canada, qui se présente à l’international comme un pays bilingue, ait des politiques qui favorisent l’assimilation des francophones. Des recherches élaborées démontrent que les faits sont différents de ceux présentés à la population par Statistique Canada et les politiciens, soutient-il lorsque joint à Aylmer. Les mesures du fédéral contribuent par leur inefficacité à la diminution du poids relatif du Québec et des francophones dans le Canada", ajoute-t-il.
Marc Lalonde, ancien ministre fédéral sous Pierre Elliott Trudeau et aujourd’hui avocat à Montréal au sein du cabinet Stikeman, se rassure pour sa part du fait que la proportion de francophones, et non leur nombre total, est en baisse hors du Québec. Et il accorde peu de crédibilité à la possible disparition du français à l’ouest de Gatineau, tout en parlant d’une nécessaire volonté de survie. "Dans le cas de petites minorités dans certains coins isolés, il s’agit en partie de décisions individuelles. On aura beau passer des lois, on ne peut forcer les gens à parler une langue en particulier. Mais les commentaires pessimistes sont trop faciles et irresponsables, on les entend souvent depuis 100 ans."
D’autre part, le juriste se réjouit de la pérennité du français au Québec et il soutient que les autorités fédérales ont autant de mérite que celles de la province. Affirmant aussi observer une amélioration du français écrit et parlé à Montréal et en région, il dit croire que "le creux est passé dans les années 70 et 80, alors que la mode était que si on se respectait, on devait parler joual. J’ai vu un paquet de gens sortir de l’université et ne pas être capables d’écrire sans fautes. Les produits actuels des universités sont bien meilleurs".
Le président du nouveau Conseil de la souveraineté du Québec, Gérald Larose, considère que la défense du français au Québec sera un combat permanent, puisque nous baignons dans une mer de quelques centaines de millions d’anglophones. "En 25 ans, nous avons renversé le déclin inexorable que l’on connaît depuis la Conquête. N’eût été de la loi 101, nous serions relégués au folklore", dit-il, tout en soulignant les réticences qui persistent face à cette façon de faire. "La confusion canadienne n’est pas réglée dans la tête des Québécois, ajoute Larose depuis son bureau de l’UQAM. Il est évident que nous n’en faisons pas assez (pour la sauvegarde du français au Québec). Si l’on veut s’assurer que le français demeure la langue commune, on doit passer en mode offensif, plutôt que de réagir au cas par cas, par secteurs. Il faut agir globalement." Selon le nouveau dirigeant de l’organe maintenant chargé de promouvoir l’accession du Québec au statut de pays, l’outil idéal manquant est la souveraineté. "Sinon, nous n’avons pas tous les équipements, nous sommes seulement outillés pour résister."
Bilinguisme versus multiculturalisme
Pour ce qui est des effets sur la survie des langues officielles de ce multiculturalisme de plus en plus représentatif du Canada, divers points de vue sont exposés. Marc Lalonde croit que "ce n’est pas grave, car les immigrants sont souvent trilingues". Mais si la population d’une province devenait un jour majoritairement formée de personnes qui n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle? "Si ça arrivait dans 40 ans en Colombie-Britannique, il n’est pas impossible que le gouvernement passe une loi concrétisant le bilinguisme anglais-chinois", estime-t-il. Jean-Pierre Perreault se montre pour sa part craintif. "La hausse du nombre d’immigrants allophones au Canada, dont plusieurs choisiront l’anglais, participe à l’assimilation des francophones."
Encadré 1:
Ottawa sort les millions pour les langues officielles
Le bruit courait depuis longtemps, mais Ottawa a récemment officialisé son réengagement envers la défense et la promotion des deux langues officielles canadiennes. Ainsi, 751 millions $ seront investis en cinq ans dans trois grands axes prioritaires, soit l’éducation, le développement des communautés et la fonction publique, ce qui ramènera le budget de ce portefeuille à son niveau d’il y a 10 ans, en plus d’ajouter un principe d’imputabilité applicable aux divers ministères concernés.
Conscient qu’il s’agit de rattrapage, le ministre fédéral responsable des Affaires intergouvernementales et des langues officielles, Stéphane Dion, a expliqué lors d’une entrevue accordée au Hilton de Québec qu’il connaissait l’importance du phénomène d’anglicisation. "Avec ce plan, nous voulons renforcer la capacité des communautés francophones minoritaires à être vibrantes et permettre aux familles exogames, constituées de conjoints de langues différentes, de connaître les richesses du bilinguisme. Maintenant que la barrière des religions est tombée, il y a beaucoup plus de mariages entre francophones et anglophones, c’est une réalité partout au pays."
"Les chasseurs de têtes du pays s’attendent à trouver des gens bilingues autant au Québec qu’au Canada", ajoute le ministre Dion. Cependant, il reconnaît que son plan d’action et la pluie de millions qui l’accompagne ne seront peut-être pas suffisants pour renverser à eux seuls le processus d’anglicisation du Canada. "Ce n’est pas ça l’objectif, mais plutôt de donner des bases fortes aux communautés linguistiques minoritaires", précise-t-il, rappelant que l’un des buts avoués du plan est de faire doubler le nombre de jeunes diplômés canadiens bilingues en le faisant passer de 24 % à 50 %, afin de "consolider le fait français au Canada". Stéphane Dion indique que le plan d’action rendu public concerne également les anglophones du Québec, sans préciser à quelle hauteur. "Ils ont aussi des besoins et des droits constitutionnels", dit-il, citant l’exemple des communautés anglophones qui vivent en Outaouais.
D’autre part, la possibilité que de nouvelles langues soient enchâssées dans la Constitution canadienne ou les lois de certaines provinces trouve peu d’écho auprès du ministre. "Ça ne m’inquiète pas car bilinguisme et multiculturalisme vont de pair. Beaucoup de personnes parlent le mandarin en Colombie-Britannique mais les écoles d’immersion y fonctionnent bien", dit-il, ajoutant qu’il ne voit pas le jour où il sera nécessaire de reconnaître de nouvelles langues officielles. "On fait déjà des choses pour aider les diverses communautés culturelles, on a un engagement envers le multiculturalisme qui est l’une de nos valeurs fondamentales et qui n’est pas contraire à l’idée que le Canada demeure bilingue", tranche-t-il.
Réactions
Le nouveau Plan d’action fédéral sur les langues officielles a semblé plaire aux groupes représentant les minorités francophones et acadiennes du Canada, lesquelles réclamaient à hauts cris qu’Ottawa s’intéresse à nouveau, et avec des moyens conséquents, à leur situation difficile. Le Bloc québécois a cependant critiqué le fait que peu d’objectifs clairs soient identifiés dans le plan. Dans celui-ci, à la section où il est question d’améliorer le bilinguisme dans l’appareil d’État, il est dit que "si le plan réussit, la fonction publique fédérale sera exemplaire du point de vue du respect de notre dualité linguistique".
Benoît Pelletier, député provincial libéral de Chapleau, en Outaouais, et responsable du dossier des affaires intergouvernementales canadiennes, relate pour sa part lors d’un entretien que l’anglicisation du Canada est un phénomène sociologique et démographique qui ne peut être stoppé par un plan fédéral. "J’ai trouvé le fédéral passif au cours des dernières années dans ce dossier, mais j’accueille positivement ce nouveau plan, c’est un pas dans la bonne direction." Au Québec, Benoît Pelletier se dit satisfait "de la façon dont la province contrôle la situation du français", ajoutant que le PLQ "n’a pas l’intention de se faire du capital politique avec ce dossier". Finalement, il a exposé les engagements de son parti en la matière. "Nous voulons améliorer l’enseignement du français à l’école et préserver la paix linguistique en faisant une utilisation judicieuse de la loi 101. Nous ne remettrons pas en question le corpus législatif en matière de langue au Québec."
Benoît Sauvageau, député du Bloc québécois et porte-parole en matière de langues officielles, se fait plus critique envers le Plan Dion. "Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’objectifs clairs et de délais précis. C’est une série de voeux et de souhaits. (…) Il me semble que, le passé étant garant de l’avenir, on aurait dû prévoir une évaluation des résultats obtenus tous les deux ans. Là, je crains que dans 10 ans, si l’on ressort le Plan Dion des tablettes, on soit devant un constat d’échec, lequel est prévisible."
Pour l’instant, le député bloquiste dresse un portrait sombre de la situation des communautés francophones canadiennes en situation minoritaire. "Elles sont confrontées à un taux d’assimilation qui frôle les 70 %, on ne peut pas être optimiste. Mais on constate un réflexe de bête acculée au mur et une volonté forte de s’en sortir." La partie serait donc loin d’être finie. "En se basant sur le Plan Dion comme exemple de quoi ne pas faire, et en s’associant de près aux communautés touchées tout en s’assurant que les sommes investies ne soient pas dilapidées en frais d’administration, ça peut marcher", estime Sauvageau.
En ce qui concerne l’aide du Québec aux francophones du Canada, notons que la province consacrait en 2002-2003 un budget d’environ 2 millions $ à sa Politique à l’égard des communautés francophones et acadiennes du Canada. Cette somme est répartie au profit de quelques dizaines de projets de coopération avec les gouvernements de diverses provinces dans les domaines de la culture et des communications, de l’éducation et de l’économie, chacun d’entre eux se voyant allouer des montants variant de 2000 $ à 50 000 $.
Encadré 2:
Des statistiques révélatrices – francophones: en baisse à 23 % au Canada
Les données du volet linguistique du dernier recensement canadien indiquent que les citoyens n’ayant ni le français ni l’anglais comme langue maternelle (5,3 millions) sont en voie de rattraper les francophones (6,7 millions) au pays. Hors Québec, le groupe d’origine chinoise, avec près de 900 000 personnes, rattrapera sous peu les francophones, ces derniers représentant moins d’un million de personnes réparties dans diverses provinces, dont plusieurs Acadiens dans l’Est.
À l’échelle du Canada, la proportion de personnes déclarant le français comme langue maternelle poursuit sa chute et ne représente plus que 22,9 % de la population du pays, contre 59 % d’anglophones et 18 % d’allophones utilisant une centaine de langues différentes. Au Québec, 10 % de la population a une langue maternelle étrangère alors que la proportion d’anglophones, 8 %, continue de diminuer. Plus de 80 % des Québécois ont donc toujours le français comme langue maternelle. À Montréal, 56 % des gens parlent français, contre 25 % pour l’anglais et 19 % pour les langues étrangères.
Encadré 3:
Canada: les langues de chez nous?
L’accroissement de la population canadienne est largement le fait de l’immigration, d’où la centaine de langues maternelles comptabilisées lors du dernier recensement. Plusieurs intervenants soulignent cependant l’aisance avec laquelle s’intègrent les immigrants, même si, dans le cas du Québec, on tente encore de freiner l’attrait qu’exerce sur eux l’anglais.
May Chiu, avocate de formation et directrice du Service d’aide à la famille chinoise du grand Montréal, nous informe que plus de 200 étudiants sont inscrits aux cours de français offerts par son organisme. De plus, elle assure qu’ils ne rechignent pas à apprendre la langue de Molière. "Quand on commence avec presque aucune expérience, ce n’est pas plus difficile que l’anglais", dit celle qui immigra à Trois-Rivières avec ses parents à l’âge de six ans.
Quelques dizaines de milliers de citoyens montréalais sont d’origine chinoise, lesquels ont dû se plier à des critères assez sévères pour être reçus. À ce sujet, madame Chiu a accepté de résumer les différents critères qui permettent aux aspirants québécois d’amasser des "points". "Être éduqué, avoir une base de français, une expérience d’emploi, des épargnes, un ou des enfants de moins de deux ans, car il sera plus facile de les diriger vers le français, avoir déjà visité le Québec ou y avoir de la famille: ce sont tous des atouts à avoir en poche." Mais il peut y avoir des passe-droits. "Pour les gens d’affaires, il suffit d’être riche et d’avoir une expérience de gestion d’entreprise."
Finalement, notons que la seule gagnante québécoise de la récente Dictée des Amériques (groupe A, environnement francophone), Alexandra Lao, 16 ans, de Montréal, est d’origine… chinoise!