Montcalm : Zone protégée?
Le quartier est certes un des plus beaux et attrayants de Québec, mais à qui appartient-il? Aux yeux du citoyen type qui n’a pas les moyens de s’y dégotter un beau condo, Montcalm, c’est un peu un rêve impossible. Mais le conseil de quartier entend bien faire pression sur la Ville pour éviter que le quartier ne devienne un ghetto pour riches célibataires.
Montcalm. Que l’on songe à l’avenue des Braves avec ses maisons cossues, au parc du même nom ou à l’avenue Cartier avec ses boutiques et restos-bars pour gens branchés, le mot évoque spontanément paix, aisance et qualité de vie.
Havre de verdure, le quartier a su échapper au fil du temps, contrairement à certains faubourgs, aux diktats du béton et du développement commercial pour préserver son cachet ancestral. Des avenues Brown, des Érables, Moncton ou de Bougainville qui s’élancent au sud aux abords du coteau Sainte-Geneviève pour atteindre au nord le Parc des champs de batailles, la quiétude règne à l’ombre d’arbres majestueux. À n’en pas douter, dans ce quartier baptisé en mémoire de l’infortuné marquis, le résidant n’a rien perdu de sa souveraineté.
Cash city
Tout ça est bien mignon, direz-vous, mais à qui appartient Montcalm? Ce n’est pas d’hier que ses nombreux atouts font de ce quartier central le repaire des gens riches, même si pas toujours célèbres. La bourgeoisie anglaise en fit son fief dès le début du XIXe siècle alors que les Augustines et les Ursulines consentirent à se départir de lots hors des fortifications.
Mais c’est au tournant des années 1980 que le mouvement de gentrification connut son élan décisif avec la transformation massive de logements locatifs en condos. Exit les locataires, bienvenue les propriétaires! Depuis, ce n’est pas de la tarte d’y chercher un rarissime logis si on n’a que 500 $ ou 600 $ par mois à débourser. Or, le conseil de quartier, composé de neuf résidants, la présidente Sylvie Demers en tête, voudrait bien changer les choses. "Notre objectif est d’attirer des familles et de diversifier la population. Mais ce n’est pas qu’avec des condos de trois pièces et demie qu’on les fera venir. On ne veut pas que tous les bâtiments intéressants soient transformés en condos ou en espaces commerciaux. Il faut aussi des espaces locatifs, communautaires et récréatifs. On dit qu’il y a une crise du logement, mais elle concerne les logements locatifs, pas les condos!"
Montcalm aurait la population moyenne la plus âgée de la ville. Selon les plus récentes statistiques, datant de 1996 malheureusement, les gens de 50 ans et plus représenteraient à 40 % la cohorte la plus importante du quartier, leur poids relatif n’étant que de 32 % dans l’ensemble de la ville. Les 0-19 ans, à l’inverse, ne représenteraient que 13 % des résidants. Aussi, 62 % des ménages du quartier seraient non familiaux, c’est-à-dire formés de personnes seules ou ne formant pas une famille. Le revenu moyen des familles dans Montcalm serait de 40 % supérieur à l’ensemble de ceux des autres familles de la ville, s’établissant à 64 000 $ contre 46 000 $.
Le Plan directeur pour Montcalm adopté conjointement avec la Ville en 2001 prévoit ainsi plusieurs actions en vue de diversifier la population. Un jardin communautaire fut réalisé l’an dernier et le réaménagement en cours du parc du centre Lucien-Borne devra prendre en considération les besoins des résidants de toutes les générations. Mais le dossier chaud à l’heure actuelle a trait au changement de zonage et à la nouvelle vocation qui sera dévolue au Centre des Saints-Martyrs-Canadiens situé à l’angle des rues Père-Marquette et Belvédère, récemment mis en vente. Un groupe a déposé une offre d’achat afin d’y aménager… une centaine de nouveaux condos, selon Mme Demers. Résultat: huit des neuf membres du conseil de quartier s’opposent au projet dans sa forme actuelle. L’édifice à vocation communautaire abritait le Centre de formation et d’orientation des immigrants (COFI) et une garderie (déménagée à Sainte-Foy). Il s’y donnait également des cours de karaté. "On a voté pour conserver le caractère communautaire du bâtiment. Déjà qu’on a perdu notre cause il y a quelques années lorsque l’église Notre-Dame-du-Chemin fut transformée en condos et quand le YMCA, qui abritait un gymnase, un centre de conditionnement physique, une piscine et une garderie, a déménagé pour faire place à une pharmacie Racine", poursuit Mme Demers, qui fait remarquer que le changement de zonage aura fait perdre en seulement deux ans deux garderies et de nombreux espaces récréatifs et communautaires aux résidants.
Sus au spot zoning
Le projet d’achat prévoit toutefois conserver un lot afin d’y construire une vingtaine de logements sociaux. Mais aucune garantie ne peut être offerte à ce sujet, croit Mme Demers. "On se rend compte que l’urbaniste a fait du zonage sur mesure pour la compagnie qui veut acheter. Ce qu’on dit à la Ville, c’est d’essayer de planifier un peu plus pour éviter de faire du spot zoning. De plus, le zonage n’est pas assez souple; la Ville pourrait aussi regarder ce lot avec d’autres instruments d’urbanisme que le zonage pour atteindre plus de mixité et de diversité."
Les conseils de quartiers jouissent d’un pouvoir essentiellement consultatif; la municipalité prend seule les décisions finales, fait valoir Jacques Faguy, conseiller en urbanisme à la Ville de Québec, qui insiste toutefois sur l’importance des consultations pour bien comprendre les besoins des citoyens. M. Faguy, tentant de se faire rassurant, fait remarquer qu’un moratoire est toujours en vigueur concernant la transformation de logements en condos à Québec. "La Ville a mis en place une procédure pour s’assurer qu’on ne puisse automatiquement tout transformer en condos. De plus, dans les grandes zones résidentielles, 75 % des logements doivent avoir au moins deux chambres à coucher. On doit respecter ces normes si on veut transformer des logements existants. Ces normes seront révisées en septembre lorsqu’on reverra le zonage, mais je ne crois pas qu’on aille à la baisse", dit M. Faguy qui est d’avis qu’un bel équilibre a été atteint dans le quartier.
Mme Demers se montre sceptique quant à l’efficacité de ces mesures. "Des logements de deux chambres, ça n’est pas très bon pour attirer les familles. D’autant qu’il est permis de se limiter à un grand espace de 925 pi2. Alors on a posé la question à savoir si c’était possible qu’on se retrouve avec la moitié des espaces qui soient de grands lofts. Il ne reste plus de bâtiments comme celui des Saint-Martyrs, qui appartient à la commission scolaire et a donc été payé avec nos taxes. Il nous appartient donc à tous."
Bien public, bien privé
"Cette dilapidation du bien public au profit du privé, c’est un problème qu’on voit partout. Dès que des promoteurs de logements sociaux et le privé entrent en compétition, le privé l’emporte 9 fois sur 10. C’est une question d’argent", observe Mathieu Houle-Courcelle du Bureau d’animation et d’information logement du Québec métro (BAIL), qui est d’avis que le moratoire sur les condos "n’a pas vraiment de dents".
Mais on aurait tort de croire pour autant que le quartier est à 100 % bourgeois, selon M. Houle-Courcelle. "Il reste encore des poches de locataires dans Montcalm (…). Il y a encore des locataires à faibles revenus et des logements subventionnés, mais il ne se construit plus de HLM dans le quartier et je serais très étonné que dans l’éventualité où il y aurait de nouveaux budgets pour les HLM, on les construise dans Montcalm!" ajoute-t-il, soutenant par ailleurs que de plus en plus d’associations de locataires se forment dans le quartier pour contester la baisse de services et les hausses importantes des prix des loyers.
Un avis du Conseil consultatif d’urbanisme sera rendu le 8 juillet au conseil exécutif concernant le Centre des Saints-Martyrs-Canadiens, qui prendra une décision finale à une date encore indéterminée, conclut Mme Demers.