Investissements US dans le Vieux-Montréal : Les envahisseurs
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Investissements US dans le Vieux-Montréal : Les envahisseurs

Ces trois dernières années, ils semblent s’être multipliés, ces acheteurs venus de l’étranger, surtout de l’Europe et des États-Unis, faire main basse sur des appartements de luxe dans ce quartier en pleine mutation. Potins alarmistes ou réalité? Avis partagés…

"Montreal is a place like nowhere in the world, it’s unique!" s’exclame Dominic Viola, un New-Yorkais nouvellement propriétaire d’un magnifique condo dans le Vieux-Montréal.

Vous souvenez-vous à quoi ressemblait le Vieux-Montréal il y a à peine dix ans? Jean-Pierre Ousset, résident du quartier et propriétaire du restaurant La Gargotte se souvient que cet ancien centre bourgeois du début du XIXe siècle "était devenu quasiment un Harlem sinistré". Quant au designer Jean-Claude Poitras, arrivé dans le Vieux en 1979, il se rappelle que longtemps il n’y a eu qu’un seul dépanneur dans tout le secteur.

Les choses ont bien changé… Le Vieux connaît aujourd’hui un véritable boum. Les hôtels chics poussent comme des champignons (onze depuis trois ans!) et il en va de même pour les nouveaux immeubles de lofts et de condominiums. "Il y a un tel engouement pour le Vieux-Montréal, la demande est si forte, que l’offre ne répond plus", affirme Guy Bélanger, courtier au service immobilier Synergie. Ces nouveaux projets comme le Nouvel Europa de la rue McGill ou encore le 777, rue Gosford sont pratiquement tous vendus avant même que la construction ne soit achevée. De 400 habitants en 1976, ils sont aujourd’hui 3 200 à se partager les petites rues étroites du vieux quartier.

Patricia Lallier est présidente-directrice d’Immeuble International II et courtière dans le Vieux-Montréal. De mai à octobre, elle dit avoir une clientèle composée à 98 % d’étrangers. Stéphane Côté, président de Développement McGill, un promoteur très actif dans le secteur et qui fait de temps à autre de la publicité dans le New York Times, dit avoir 25 % d’acheteurs de l’étranger dont les trois quarts sont américains. Selon lui il existe plusieurs raisons à cela. "Ils aiment Montréal. C’est pour eux une ville avec une culture, une histoire, une architecture qu’ils ne voient pas chez eux, surtout en ce qui concerne le Vieux-Montréal. Et même si les prix ont fortement augmenté, cela représente un très bon investissement. S’ils n’occupent pas leur condo, qui leur sert souvent de pied-à-terre, ils le louent et se disent qu’un jour leurs enfants étudieront à l’Université McGill ou alors ils pourront le revendre à profit puisque ces condos prennent de la valeur très rapidement. Des fois ça prend des gens de l’étranger pour nous faire réaliser ça…"

Les prix? Dorénavant, pour un condo, on ne trouve à peu près rien à moins de 200 000 $ et cela dépasse dans certains cas le million. Cher pour nous, mais alléchant pour une monnaie forte comme le dollar américain ou un euro en grande forme.

I love Montreal
Dominic Viola vient de prendre sa retraite de l’univers des banques. En plus de son condo avec vue sur le fleuve de l’immeuble du 1, rue McGill, il possède un appartement à Manhattan et une maison à Long Island. L’an prochain, il souhaite faire de son condo à Montréal sa principale demeure. "Montréal est très près de New York, mais quand j’arrive ici, dans le Vieux-Montréal, je me sens non seulement dans un autre pays, mais dans un monde complètement différent" dit-il. Selon lui, Montréal possède tout ce que la grosse pomme peut offrir, mais à une échelle réduite et plus humaine. Dominic est vraiment amoureux de la ville, de ses habitants et du français qu’il apprend depuis six mois. De plus, son condo, qu’il a payé autour de 300 000 $ canadiens, en vaudrait plus d’un million à New-York. "Les Américains et les Européens trouvent les prix tellement dérisoires ici qu’ils ne négocient presque pas et font grimper le marché", affirme Patricia Lallier.

Il n’existe aucune donnée à la Ville de Montréal sur le nombre d’étrangers qui s’établissent dans la métropole. Selon Gilles Morel, directeur de la Direction de la promotion et de la mise en valeur du Vieux-Montréal, organisme émanant de la Ville de Montréal, il s’agit encore d’un phénomène marginal. Il reconnaît tout de même que cela a probablement un petit impact sur la hausse des prix. Il ajoute que même si le dollar canadien continue de monter, l’immobilier à Montréal est tellement peu cher par rapport au reste du Canada, à l’Amérique du Nord et à l’Europe qu’il va rester exceptionnellement concurrentiel très longtemps.

Pourtant d’après la Chambre immobilière du grand Montréal, de janvier à mai 2002, le prix moyen des propriétés (presque exclusivement des condos) a été de 230 000 $. Pour la même période en 2003 il a été de 280 800 $, ce qui représente une augmentation de plus de 21 % en un an seulement! Patricia Lallier, qui a fait partie, en 1995, de l’équipe de vente des condominiums du 1, rue McGill , note pour sa part que les Québécois occupaient à l’époque 98 % de l’immeuble. Ils ne sont plus que 50 % aujourd’hui. "Cette année, explique-t-elle, beaucoup ont vendu leur appartement à gros prix et sont partis s’installer à l’Île des Soeurs." Le marché augmente à une vitesse folle, mais les salaires restent les mêmes, ce qui fait que les Québécois qui habitent le Vieux-Montréal vendent et ceux qui voudraient y habiter ne peuvent plus se le permettre. "Certains Américains achètent pour louer. Peut-être que c’est tout ce qu’on pourra s’offrir dans l’avenir, une location?" Ce qui est paradoxal selon elle, c’est que les Américains désirent vivre parmi nous…

La compagnie Remdev, très active dans le Vieux-Montréal (le même promoteur que pour l’hôtel St-James, le plus cher en ville), travaille présentement à la construction de huit condos dans l’ancien édifice Canada Life datant de 1880 dans la rue Saint-Jacques. Chacune de ces unités haut de gamme vient d’être mise en vente à près de un million et demi de dollars. Et il ne s’agit que du prix de départ… "C’est du jamais vu!", affirme Gilles Morel. Stéphane Côté croit, pour sa part, que ce projet devra s’adresser à une clientèle presque totalement étrangère. "Les prix sont démesurés et j’ai très peur que le quartier devienne un endroit chromé où il n’y aura plus de vie", craint le restaurateur Jean-Pierre Ousset.

De la surenchère? C’est ce que croit Jean-Claude Poitras, qui est aussi membre du conseil exécutif de l’Association des résidents du Vieux-Montréal. "C’est quelque chose d’attirer ces gens-là dans nos hôtels, mais de là à croire qu’on va pouvoir leur vendre des condos pour des sommes pareilles…" Il poursuit en disant que c’est être alarmiste que de croire qu’un jour il n’y aura que des Américains qui vivront dans le Vieux-Montréal. Selon lui, "l’évolution du quartier est assez saine et les investissements étrangers peuvent encourager les gens à apprécier de nouveau le Vieux-Montréal et à s’assurer qu’il conserve son visage authentique." De toute façon, d’après la Société de développement de Montréal, il ne reste plus, à l’heure actuelle, que la possibilité d’aménager de 300 à 400 unités résidentielles. Le rythme des constructions n’aura d’autres choix que de ralentir.

De nouveaux clients?
Du côté des commerçants, on remarque aussi une augmentation de clients américains. À la boulangerie Olive et Gourmando de la rue St-Paul, ils forment environ 15 % de la clientèle régulière. Un constat que fait également Christophe Nouaille, Parisien d’origine et propriétaire du Cartet, une épicerie-traiteur de la rue McGill. "Il s’agit souvent de gens assez jeunes, célibataires et professionnels, qui sont venus acheter dans le quartier. Ils sont très bien intégrés, ils apprennent le français et sont très agréables. La plupart viennent de New York ou de la Californie, des états qui sont ouverts aux autres cultures." Il dit comprendre très bien leur enthousiasme pour Montréal parce que lui-même, arrivé il y a onze ans, avoue: "Je n’aurais jamais eu une telle qualité de vie à Paris!"

Selon Vincent Di Candido, propriétaire d’une galerie d’art et président de l’Association des commerçants du Vieux-Montréal Ouest, l’impact de ces nouveaux résidents est minime. L’atout majeur pour les commerçants du coin, croit-il, réside beaucoup plus dans les nombreux hôtels, dans l’agrandissement du Palais des congrès, dans la Cité du Multimédias et dans l’édifice de Quatre-Saisons. Il reconnaît tout de même que dans le domaine de l’art, les acheteurs étrangers sont les plus présents. Ils constituent à eux seuls 90 % de sa clientèle et, encore une fois, il s’agit principalement d’Américains, dont certains possèdent des appartements dans les alentours.

Surtout pas de Disney World
Au ministère de la Culture et des Communications, on assure que toutes les subventions accordées pour le Vieux-Montréal servent à la conservation patrimoniale des quelques 250 bâtiments d’époque que comprend le secteur. "Même si un Américain achète un immeuble, l’argent investit reste chez nous", explique Isabelle Melançon, attachée de presse de la ministre Lyne Beauchamp. Chaque projet de modification, que ce soit pour un immeuble ou un trottoir, doit être soumis au ministère. "C’est très contraignant, affirme Gilles Morel, mais nous avons l’avantage d’avoir un quartier historique qui ne fait pas Disney World."

De huit à onze millions de touristes visitent chaque année le Vieux-Montréal. "Avant ils ne restaient qu’un après-midi, une journée tout au plus. Aujourd’hui, avec les hôtels luxueux, ils restent plusieurs jours. Ils ont le temps de découvrir le coin et ils tombent en amour!", constate Renaud Payette, directeur général de l’hôtel St-Sulpice. Un coup de foudre qu’a vécu Dominic. "Montréal est une ville avec une personnalité unique et une culture unique. J’adore même l’hiver, tout est soudain silencieux alors que la ville vit encore. Les gens sont plus relax et l’atmosphère est cosy." Il aime la vie teintée d’Europe du Vieux-Montréal. Et quand on lui demande si les touristes le dérangent, il répond en riant qu’à New-York ils ne partent jamais!