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Saint-Roch : Mix-cité
De l’aveu des autorités, le centre-ville de Québec agonisait il y a une douzaine d’années. Trois cent cinquante-cinq millions de dollars plus tard, les grues sont maîtres du terrain et les immeubles aux façades en métal brossé sont à l’honneur dans les environs du Jardin Saint-Roch. Mais au-delà de l’embellissement physique et de l’arrivée par centaines de travailleurs et d’étudiants venus faire du 9 à 5, la qualité de vie des résidants du quartier a-t-elle été améliorée? Certains en doutent sérieusement.
Giguère Claude
Le point de départ de RevitalisAction Saint-Roch, en 1992, fut la construction du Jardin Saint-Roch et l’achat par la Ville, pour y relocaliser 150 fonctionnaires, de l’immeuble La Fabrique. Le pari était alors de lancer la danse en espérant que le secteur privé emboîterait le pas. La démarche tenait en quelques axes: fonction résidentielle du quartier, culture, enseignement et technologies de l’information. Il y a aussi eu le programme Rebâtir la rue Saint-Joseph et l’enlèvement d’une partie du toit du Mail centre-ville comme autres points d’ancrage de la revitalisation.
Après que la Ville eut jeté ces premières pierres et grâce à de généreux incitatifs financiers, d’autres ont effectivement suivi et sont installés autour du Jardin Saint-Roch: École des arts visuels de l’Université Laval, École nationale d’administration publique, Université du Québec, Complexe Méduse, des entreprises des technologies de l’information, TQS, etc. Et ce n’est pas terminé, comme en fait foi la machinerie lourde et bruyante toujours active dans le quartier.
Qualité de vie
En entamant le processus de revitalisation du centre-ville, les autorités n’avaient pas la prétention d’enrayer les iniquités sociales touchant une bonne part de ses résidants et personne ne pourra leur reprocher d’avoir outrepassé leur mandat. En témoigne un rapport de la Direction de la santé publique de Québec rendu public l’an dernier: celui-ci trace un portait peu reluisant de l’état de la population du secteur Basse-Ville-Limoilou-Vanier et permet de tracer un lien de cause à effet assez clair en ce qui concerne la qualité de vie réservée aux classes sociales les moins nanties.
On note ainsi une espérance de vie de cinq ans inférieure à celle des résidants de Sainte-Foy, un taux de scolarisation peu élevé chez les jeunes mères, des naissances prématurées et des bébés de faible poids dans des proportions inquiétantes. Les maladies diverses, particulièrement le cancer, ainsi que le taux de suicide sont aussi anormalement élevés.
"Les affiches de promotion du type "Je travaille, j’étudie, je vis dans Saint-Roch" sont nombreuses mais il n’y en a pas qui disent "Je crève dans Saint-Roch"…" ironise à ce sujet Véronique, membre du Collectif des bas quartiers (CBQ), un rassemblement de citoyens engagés oeuvrant dans l’activisme populaire. On leur doit entre autres des soirées de projection de documentaires, la récente journée autogérée de l’Îlot Fleurie et une manifestation anti-raciste.
Au sujet du bien-fondé du processus de revitalisation de Saint-Roch, le CBQ dénonce qu’il a servi tout le monde sauf les résidants du quartier. "Soit que les taudis ont été laissés à l’abandon à cause de la spéculation ou alors on les a rénovés à grands frais en évinçant ceux qui les habitaient. Les subventions aux commerces, pour les tours à bureaux et les condos, ça n’a rien changé de la vie des citoyens. On ne fait rien pour eux, si ce n’est que de leur imposer une vision de la revitalisation qui ne répond pas à leurs besoins", martèle la déléguée du CBQ. Selon elle, rien n’est fait là où c’est important, soit au niveau des causes de la pauvreté. "Tout ça sonne faux. On balance toutes sortes de nouveaux commerces dont certains luxueux et qui détonnent dans le décor. De plus, on risque de s’en aller vers le même genre de nettoyage social qui a été fait à la place D’Youville. J’ai remarqué, ce printemps, de l’intimidation policière envers des marginaux face à la Bibliothèque Gabrielle-Roy sous le seul prétexte qu’ils étaient assis là…"
Dans le coin droit
François Moisan, attaché de presse de Jean-Paul L’Allier, s’est pour sa part appliqué à démonter les arguments des détracteurs de la revitalisation lors d’une marche commentée dans le quartier. "Il y a 30 % de logements sociaux dans Saint-Roch, et les propriétaires d’immeubles locatifs résidentiels qui ont reçu des subventions de la Ville sont liés par une clause qui limite les hausses de loyer pour cinq ans", dit-il. Au sujet de l’attitude des policiers par rapport aux marginaux et aux plus démunis, il n’y aurait pas de nettoyage en cours. "La police n’a pas reçu de mot d’ordre à ce sujet, même s’il est évident qu’ils ne veulent pas que la situation de Montréal se reproduise ici", ajoute-t-il en faisant référence à certains squeegees qui ont été mis à l’amende systématiquement et même emprisonnés. D’autre part, la sortie de la Société de développement commercial du centre-ville contre le Café-rencontre et sa soupe populaire de la rue Du Pont serait un accident de parcours. "C’est une manifestation de l’effet "pas dans ma cour", mais ça n’a pas fait trop de vagues car ils étaient seuls dans cette démarche."
Capable de tracer de mémoire l’histoire de toutes les interventions majeures opérées au cours des dernières années, François Moisan ne doute pas du succès de l’opération. "Les propriétaires d’immeubles en décrépitude qui n’ont pas voulu embarquer ont fini par s’apercevoir qu’ils avaient l’air fou et la plupart ont suivi." Pour ce qui est des résidants, il vante les vertus de la macédoine qui est en train de se former. "On se retrouve avec un beau mélange de genres, c’est-à-dire les résidants qui habitaient déjà le quartier en plus de nouveaux arrivants. Il y en a qui font peur à première vue, on les voit se promener au travers des travailleurs qui vont mallette à la main, mais quand on connaît le moindrement Saint-Roch, on constate que c’est très sécuritaire et que cela n’a rien à voir avec il y a 10 ans, alors que des motards terrorisaient la basse-ville."
S’il reconnaît que peu d’objectifs mesurables ont été identifiés au départ du processus, François Moisan n’en demeure pas moins convaincu que la revitalisation de Saint-Roch est une réussite. "Il y avait des craintes et des inquiétudes au départ quant aux chances de succès de l’opération, mais nous sommes satisfaits aujourd’hui."
La revitalisation de Saint-Roch en chiffres
Le quartier Saint-Roch fait à peine plus de 1,5 kilomètre carré et est peuplé d’environ 7000 résidants (contre 25 000 pour la basse-ville en entier). Il est bordé par la rivière Saint-Charles, l’autoroute Dufferin, le boulevard Langelier et la falaise qui sépare la haute et la basse-ville. En une douzaine d’années, on a assisté à la création de 150 ateliers d’artistes, à l’injection aux stéroïdes du secteur des technologies de l’information, qui compterait aujourd’hui plus de 2000 travailleurs, et à la venue de près de un millier d’étudiants. Des dizaines d’immeubles ont été restaurés et la Ville estime qu’en tout, 355 millions $ ont été investis en 12 ans tout en se satisfaisant de constater que les investissements privés dépassent maintenant ceux des autorités publiques. Côté logements, environ 800 unités de tous types auraient été créées depuis 1992 dans le quartier. De nombreux taudis subsistent toutefois et la crise du logement n’a pas épargné le secteur, d’où de nombreuses critiques qui fusent de la part de groupes de citoyens.
Renseignements supplémentaires :
La revitalisation de Saint-Roch commentée par…
Lynda Cloutier, conseillère, district des Faubourgs. "Il ne faut pas parler uniquement du béton et des façades et ainsi oublier les axes importants que sont la culture, l’éducation et l’emploi. (…) Ceux qui se plaignent que le quartier manque de vie après 17 h devraient savoir que c’est aussi tranquille dans Saint-Jean-Baptiste le soir. (…) La rue Saint-Joseph est en train de devenir drôlement intéressante et pas seulement à l’est. Ça s’étend jusqu’au boulevard Langelier; il y a de belles boulangeries, des librairies."
Geneviève Marcon, GM Développement. "Nous continuons de faire une certaine sélection des locataires de nos immeubles, entre autres sur Charest et Saint-Joseph, car nous pensons qu’il est possible de ne pas ouvrir la porte aux restaurants de type fast-food et aux grandes chaînes. Vous constatez peut-être que certains de nos rez-de-chaussée sont inoccupés, mais vous ne voyez pas toutes les tractations et négociations qui se déroulent aux étages supérieurs pour attirer des locataires de choix."
Mathieu Houle-Courcelles, Bureau d’animation et d’information sur le logement (BAIL). "Les projets de rénovation se font au détriment de la qualité de vie des résidants du quartier. Ça répond aux besoins de gens qui n’habitent pas et n’habiteront jamais le quartier. Les subventions de 10 000 $ par unité de condo construite ou de millions de dollars pour des stationnements ne font qu’inciter les promoteurs à acheter le quartier pièce par pièce."
Francis Vachon, www.quebecurbain.qc.ca. "J’adore marcher sur Saint-Joseph et j’aime la cohabitation qu’on y voit: le yuppie qui sort d’un pub, la madame qui va s’acheter un manteau de fourrure, des jeunes, des vieux, des punks. C’est un bel amalgame, une richesse à conserver. (…) J’aimerais cependant que les nouveaux immeubles soient construits plus en hauteur."