Mariage homosexuel : Oui, je LE veux
Société

Mariage homosexuel : Oui, je LE veux

L’Ontario et la Colombie-Britannique disent dorénavant oui aux mariages des conjoints de même sexe. Au pinacle du reportage-vérité, un collaborateur de longue date de Voir s’est marié avec son conjoint le 4 juillet dernier à Toronto, le jour de ses 30 ans. Pour qui? Pour quoi? Journal de bord d’un nouveau marié qui a perdu ses désillusions.

Bout de chou, je me souviens avoir clamé dans le salon maternel que je voulais me marier à l’âge de 30 ans. C’est l’un des plans que j’avais concoctés pour mon avenir et qui avait tranquillement fait son petit bonhomme de chemin dans ma tête d’enfant.

Comme la plupart des homosexuels, j’ai grandi dans une famille hétéro. Je m’imaginais créer un jour ma propre famille basée sur l’amour, une des valeurs que mes parents m’ont si bien inculquée.

Ce concept s’est estompé à l’adolescence lorsque j’ai réalisé mon homosexualité. Je constatais brutalement que je n’aurais pas un tel avenir. Je ne pourrais jamais me marier, avoir une famille, recréer la structure familiale dans laquelle j’avais grandi et été aimé. L’impact d’une telle révélation était considérable.

Je me suis rebellé contre cette exclusion en trashant l’institution du mariage. Étudiant au doctorat et conférencier dans les cours d’études gaies et lesbiennes de l’UQAM, j’ai commencé à conceptualiser certaines notions afin de trouver des raisons de vouloir être exclus de cette institution. J’étais devenu un virulent pourfendeur du mariage des conjoints de même sexe.

Mon constat était simple: presque plus personne ne se marie et les mariages se terminent par un divorce une fois sur deux. Même les hétéros délaissent cette institution caduque. Les homosexuels ne peuvent pas se contenter de s’approprier un concept aussi rétrograde. L’épanouissement devait se trouver ailleurs.

Le cortège des arguments anti-mariage ne s’arrêtait pas là. Le mariage était un instrument de contrôle social. Pourquoi voudrions-nous mêler l’État à nos relations? Les gais et les lesbiennes devaient être à la recherche d’une conjugalité différente et originale, et non tenter de sortir d’un vieux sac usé une norme sociale qui confine les individus à des balises conçues par et pour les hétérosexuels.

Il fallait critiquer vigoureusement la "droite homosexuelle" parce qu’elle cherchait, avec la reconnaissance du mariage des conjoints de même sexe, à banaliser, à "hétérosexualiser l’homosexualité". Je n’y allait pas de main morte: l’institution du mariage était passéiste, obsolète et porteuse d’aliénation. Les homosexuels devaient suivre leur propre voie. Être sûrs d’eux-mêmes. Dévier.

L’homme idéal

Il y a cinq ans, j’ai rencontré mon Marcelo. Nous avons très rapidement emménagé ensemble à Montréal. Par chance, le son des cloches de l’Église n’avait aucune résonance nuptiale à ses oreilles. Nous avons plus tard déménagé au centre-ville de Toronto pour le boulot. Nous avons survécu à des paiements d’hypothèque démesurés, aux conservateurs D’Ernie Eves, au cirque de la visite papale et aux frousses de la pneumonie atypique. On dit que c’est dans la tumulte et les moments difficiles qu’on reconnaît les unions durables et solides. Ma relation est en béton.

Contre toute attente, il y a quelques semaines, la justice s’est décidée à me donner le droit de marier celui que j’aime. La Court d’appel de l’Ontario disait oui au mariage homosexuel. C’était le moment que des militants attendaient depuis des années.

La nouvelle a eu l’effet d’une bombe. Alors que les unions entre deux personnes de même sexe avaient toujours progressé dans le vide juridique et la confusion totale, on me donnait soudainement les outils pour prendre mon avenir entre quatre mains. J’étais devenu "bon à marier".

Il n’en fallait pas plus pour voir une que l’extrême-droite monte à nouveau aux barricades. Bibles en mains, les parangons de la morale renvoyaient à nouveau ma relation amoureuse à la honte, au péché et à une affectivité sans reconnaissance sociale. Sur le mode incantatoire de la sacralisation, ils proclamaient que la reconnaissance de ma relation amoureuse enlevait tout son sens à la sacro-sainte institution du mariage, qui ne peut exister sans l’union d’un homme et de femme. Cette claque au visage m’a ébranlé. J’ai été transporté par le même enthousiasme revendicateur que partageaient beaucoup de couples de gais et de lesbiennes de l’Ontario. Mon conjoint et moi avons donc décidé de se joindre au combat pour la liberté de choisir. C’était devenu une question de principe. Pour que le pied de nez aux rednecks en vaille la peine, nous savions ce qui nous restait à faire.

La réplique

C’était le 4 juillet dernier. La journée de me mon trentième anniversaire. Un peu avant 9 h du matin, j’ai franchi les portes de l’hôtel de Ville. Sans tambour ni trompette, nous allions nous marier.

Nous avions l’impression de faire d’une pierre deux coups: nous allions offrir notre cour l’un à l’autre et… nos majeurs à la droite canadienne. Je trouvais les deux actes très vertueux.

Le jour venu, il s’est passé quelque chose que je n’avais pas soupçonné. J’étais nerveux comme un… gars qui allait se marier! J’ai fait les cent pas dans le petit couloir d’un bureau administratif pas très chaleureux, voire même glacial, en attendant l’ouverture du bureau. Je n’avais plus l’impression de poser un geste politique, mais de vivre un grand moment de ma vie.

À ma grande surprise, j’ai eu beaucoup de difficulté à contrôler mes larmes tout au long de l’échange des serments. Je ne me reconnaissais plus.

J’avais passé des années à répéter des déclarations à l’emporte-pièce et des sottises contre le mariage des conjoints de même sexe et je vivais l’un des plus beaux moments de ma vie en recevant la bénédiction nuptiale.

Soudainement, le mariage prenait une importante valeur de symbole. Je voyais dans ce rituel vieux comme le monde une cérémonie permettant aux couples d’exprimer publiquement leur amour et leur engament mutuel. Je me foutais de tout l’aspect guimauve. J’avais trouvé une autre façon significative d’affronter le temps, d’inscrire sur papier notre vérité.

Je n’avais pas l’impression de banaliser mon homosexualité. Je crois encore que les homosexuels doivent revendiquer le "droit à la différence". Mais dans le cas de la reconnaissance du mariage, ce "droit à la différence" aboutissait à la différence des droits.

Au Québec, on distribue encore des droits selon le type de relation sexuelle, selon le statut de tel ou tel couple. La question pour les Québécois n’est pas de savoir ce que les gais et les lesbiennes ont l’intention de faire du droit de se marier, mais bien de comprendre pourquoi ils n’ont toujours pas le droit de se marier.

Personnellement, je ne suis pas persuadé que tous les conjoints du même sexe voudront convoler en justes noces. Mais je suis toutefois certain que, comme citoyens d’un pays où règne la Charte des droits et libertés, le mariage est un droit qui revient à tout le monde. À chaque couple donc de choisir de s’en servir ou non.

Et pourquoi le mariage de conjoints de même sexe ne serait-il pas un acte de militantisme familial et amoureux? Ce rituel qualifié de traditionaliste peut prendre un visage beaucoup moins conservateur, une énorme connotation anticonformiste. Car le mariage des couples de même sexe choque encore beaucoup de gens.

Et puis qui a dit qu’il fallait épouser le mariage de manière folklorique? De par sa nature, la communauté homosexuelle a toujours remis en question les normes établies. Aux fil des ans, les couples hétéros et homos ont réinventé le jeu relationnel. Des frottements, des résistances et des modifications sont survenues. À chacun de nous d’en retirer quelque chose. Pourquoi un maître de la domination ne pourrait-il pas marier son esclave? Pourquoi les couples qui le désirent ne pourraient-ils pas ouvrir leur relation au sexe extraconjugal? Ou, plus choquant encore, pourquoi un couple homosexuel ne pourrait-il pas reprendre le modèle du couple hétéro traditionnel, avec tout le lot de valeurs qu’il implique….

À la sortie de ma cérémonie, deux femmes d’âge moyen attendaient leur tour dans le salle d’attente. Elles avaient toutes les deux revêtu des mocassins, un bermuda kaki et un poncho. Elles s’agrippaient toutes les deux à de petits bouquets de fleurs séchées qu’elles avaient probablement cueillis pour l’occasion. La mise en scène frisait la caricature. Elles étaient visiblement très nerveuses, mais il fallait voir leurs yeux luire de plaisir. Il y a quelques années, j’aurais probablement trouvé cela ridicule. Mais pas aujourd’hui.

"Ça fait 32 ans que nous nous sommes fiancées", me lance l’une des deux futures épouses. Elles étaient belles. J’avais enfin compris qu’on ne badine pas avec l’amour.