Première bibliothèque latino-américaine au Québec : Rayons de soleil
La Confédération des associations latino-américaines de Québec, dite la CASA, annonçait en 2001 un ambitieux projet qui voit enfin le jour.
Il s’agissait de créer la première bibliothèque latino-américaine du Québec. Elle porterait le nom de Gabriel García Márquez, figure centrale du réalisme merveilleux, Prix Nobel de littérature 1982, dont l’ouvrage célèbre, Cent Ans de solitude (Cien años de soledad), inspira cet éloge à Pablo Neruda: "La plus grande révélation de la langue espagnole depuis le Don Quichotte de Cervantès!" L’idée plut aux instances gouvernementales et reçut l’appui immédiat de l’Institut canadien de Québec et du Cégep Limoilou.
Mais que s’est-il passé depuis deux ans?
La présence des Latino-Américains n’a cessé de s’affirmer sur le plan artistique et culturel. C’est à un besoin qu’avait répondu la CASA en organisant une série de conférences portant sur les sujets les plus divers: immigration, solidarité sociale, droits humains, etc. Son principal responsable, Victor Ramos, diffuse régulièrement le bulletin Info-Casa, écho de l’actualité latino-américaine et porte-parole des communautés affiliées à l’organisme. Quant aux soirées culturelles de la CASA, elles fournissent au public l’occasion de découvrir des comédiens, peintres, musiciens, écrivains et chanteurs de différentes origines – Amérindiens, Québécois "de souche" ou Latino-Américains. Sur l’initiative de Carlos Manzi, l’un des coordonnateurs, naissait l’an dernier Rincón latino, lieu de rencontre hebdomadaire où se retrouvent les amoureux de la langue, de la musique, de la chanson et de la poésie latines. On y a entendu l’écrivain Sergio Kokis, le comédien Mauricio Nuñez, les chanteuses Silvia Velozo et Gisele Simoïs, le comédien et professeur de théâtre Luis Thenon, les musiciens Annie Morier et Inti Manzi (alto et violon), etc.
On sait l’engouement des Québécois pour la culture latino-américaine. On a peut-être une idée moins précise des rapports culturels qu’entretient le Québec avec l’Amérique latine depuis nombre d’années. On en retrouve une "amorce" dans le fameux ouvrage de Naïm Kattan, Écrivains des Amériques (Hurtubise HMH, 1972), dont le tome 3 regroupe une série d’essais sur l’Amérique latine. Il fallut attendre la fin des années 1970 pour qu’une revue québécoise traduise et publie un numéro spécial, en l’occurrence des nouvelles, sur le Chili. C’était Dérives, dirigée par Jean Jonassaint, qui, en 1983, récidiva avec un numéro triple (37, 38 et 39): Les Nouvelles brésiliennes. Elle accueillit ensuite l’écrivain brésilien Flávio Aguilar… Depuis, de nombreux ouvrages latino-américains sont traduits en français pour le public québécois. L’un des plus spécialisés dans ce secteur reste Louis Jolicour, lui-même écrivain. On lui doit plusieurs traductions: trois romans de Juan Carlos Onetti (Uruguay) et un autre de Vlady Kociancich (Argentine), à quoi il convient d’ajouter des nouvelles mexicaines, argentines et autres, plus un roman de l’Espagnol Miguel de Unamuno. Il collabore aussi à la revue Nuit blanche, dont le numéro 82 (printemps 2001) a été consacré à la littérature costaricienne et qui prépare pour 2004 un numéro spécial sur la littérature équatorienne.
L’intérêt accru des littéraires québécois pour l’Amérique latine nous a valu, parmi d’autres, le Chévere! de Vincent Nadeau (Adages/Danielle Shelton, 2001) et L’Aguayo d’Andrée Laberge (La Courte Échelle, 2001). C’est aussi dans ce mouvement que s’inscrit la série d’ouvres publiées dans les deux langues par Les Écrits des Forges en collaboration avec des éditeurs mexicains et argentins. Les Denise Boucher, Nicole Brossard, Claude Beausoleil et Martin Pouliot – pour ne citer qu’eux – y côtoient les María Baranda, Homero Aridjis, Ali Chumacero, Antonio Deltoro. Sans parler du truchement multilingue que constitue le Festival international de poésie de Trois-Rivières, où le poète chilien Alberto Kurapel a chanté en espagnol les Nelligan, Gauvreau, Janou Saint-Denis et Gaston Miron. Signalons le cas particulier de Lucía Flores, Uruguayenne, qui enseigne l’espagnol à l’Université Laval, mais n’écrit jusqu’à présent qu’en français (romans jeunesse chez Hurtubise HMH).
À mesure que s’ouvraient des Délégations du Québec en Amérique latine (la première, à Mexico, date de 1980), le ministère des Relations internationales (autrefois ministère des Affaires intergouvernementales) se souciait notamment de convier éditeurs et auteurs québécois à y représenter le Québec dans les foires et salons du livre. Cette pratique se maintient. Ainsi, en novembre, 20 écrivains québécois, dont les livres seront disponibles en espagnol, participeront à la Foire du livre de Guadalajara.
Les conditions se trouvant réunies pour que le projet d’une bibliothèque latino-américaine voie le jour, les appuis n’ont pas tardé: le gouvernement, l’Institut canadien, le Cégep Limoilou, des organismes et institutions (telle la Caisse populaire Desjardins). Depuis le 29 mai, donc, la Bibliothèque Gabriel García Márquez a pignon sur rue, en l’occurrence les espaces que lui ont ménagés la Bibliothèque Gabrielle-Roy et le Cégep Limoilou.
Par son inauguration culminait la première Quinzaine latino-américaine de Québec, deux pleines semaines d’animation presque continue: expositions d’ouvres d’art, concert de Marcelo Ortiz, fiesta avec Melao, chant, poésie, danse… Derrière cette formidable organisation, une équipe de bénévoles passionnés, dont les professeurs Enith Ceballos, Victor Ramos, Carlos Manzi, Victor Diaz, José López Arellano, César Vargas, Victor Montenegro et autres. La cérémonie, animée par Madeleine Poulin et placée sous la présidence d’honneur du maire Jean-Paul L’Allier (qui s’est fait représenter), accueillit en ce 29 mai un nombre imposant d’invités d’honneur d’ici ou venus expressément de l’étranger: Mgr Marc Ouellet, archevêque du Québec et primat du Canada; Denis L’Anglais (ministère de la Culture et des Communications); Régine Lavoie (Affaires internationales); Patricia Flores, grande dame du théâtre colombien, fondatrice de La Candelaria et représentante de Colombia en el Planeta fondé par Gabriel García Márquez; Claude Lara, consul général de l’Équateur, et une brochette d’artistes, habitués ou non du Rincón latino: le pianiste Marcelo Ortiz, le ténor Pablo Benitez, le flûtiste René Orea-Sánchez, le groupe Ayni (musique traditionnelle andine) d’Ivan Ignacio.
Les appuis se sont concrétisés par des donations arrivant d’un peu partout – Bibliothèque latino-américaine de San Jose (Californie), Fonds de culture économique du Mexique, maisons d’édition et universités latino-américaines. Une semaine plus tard, on comptait 2000 ouvrages sur les rayons. Quelques centaines doivent arriver du Consulat général de l’Équateur, tandis que des auteurs québécois et latino-américains y vont déjà du don direct de leurs ouvres.
Pour refléter fidèlement la réalité, cette première bibliothèque latino-américaine ouverte au public ne se limite pas au français et à l’espagnol, langues qui justifièrent la création du terme "Amérique latine" en 1860. Victor Ramos n’hésite pas à énumérer: "L’espagnol, le français, le portugais, mais aussi le créole, le guarani, le nahuatl…" Malgré leurs réticences à se ranger sous une appellation qui ne correspond pas à leurs réalités historiques et culturelles, des écrivains d’origine amérindienne comme Intisunqu Waman (Tradición y modernidad: una perspectiva amerindia) participent de bon cour à cette merveilleuse aventure.
Pour plus de renseignements, contactez la CASA au (418) 647-2929 ou au (418) 831-3002.