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Anti ou altermondialisation?
En prévision du mini-sommet de l’OMC à Montréal, coup d’oeil sur le mouvement antimondialisation, qui n’a d’ailleurs jamais vraiment existé…
Steve Proulx
Photo : Érick Labbé
Du 28 au 30 juillet 2003, à la demande générale, le ministre canadien du Commerce international est fier d’accueillir l’Organisation mondiale du commerce (OMC) à Montréal. Les places pour les conférences à l’intérieur étant limitées, le grand public pourra profiter des activités extérieures gratuites! Marches, manifestations enflammées, chorégraphies policières; une explosion de couleurs, de sons, de musique et peut-être même quelques nuées de gaz lacrymogène. Au moins 1000 personnes sont attendues devant l’hôtel Sheraton au centre-ville. Apportez votre pancarte!
Lors de ce prélude au VRAI Sommet de l’OMC, qui se tiendra à la mi-septembre sous le chaud soleil de Cancún (Mexique), les 25 pays représentés à Montréal chercheront, bien sûr, des solutions afin d’améliorer le sort de notre petite boule bleue… Pierre Pettigrew confiait à La Presse Canadienne que "les membres de l’OMC ont à coeur la réussite des négociations, afin que les pays en développement puissent profiter pleinement de la mondialisation et permettre une amélioration accélérée de la qualité de vie des peuples les plus pauvres de la planète". Exactement ce que clameront les militants dans la rue dans quelques jours… Pour peu, on a l’impression d’assister à un dialogue de sourds.
C’est bien, la mondialisation
"Les antimondialistes se définissent maintenant comme des altermondialistes", disait aussi le ministre, en juin dernier. Mais pour plusieurs activistes de gauche, l’antimondialisation n’a jamais existé. Selon l’auteur et militant Jaggi Singh, l’antimondialisation est un terme-raccourci inventé par les médias pour décrire un mouvement de justice sociale ou anticapitaliste: "Il n’y a personne dans le mouvement "antimondialisation" qui se décrit comme un "antimondialiste"."
Pierre Dostie, vice-président exécutif de l’Union des forces progressistes (UFP), pense qu’on a largement simplifié la question en classant les militants anticapitalistes sous le vocable "antimondialiste": "Je pense que cela faisait l’affaire des néolibéraux de nous présenter comme des antimondialistes. Cela faisait "réactionnaire": on s’oppose à ce qui est inévitable. Ce qui doit être plus souvent dit de la part de ceux qui s’opposent aux abus de cette forme de mondialisation, c’est qu’on s’oppose plutôt au système capitaliste sauvage et à l’empire unique qui sont en train de s’étendre partout."
Désormais, on parle d’altermondialisation. Un terme plus juste, mais qui porte à interprétation. Contrairement à l’antimondialisation, l’altermondialisation a toujours existé. On vient simplement d’inventer le mot. "Ce qui est intéressant dans cette appellation, poursuit Pierre Dostie, c’est qu’il s’agit d’un terme positif. On est vraiment dans la ligne d’une autre mondialisation: celle des solidarités."
Mélanie Sylvestre, porte-parole de la Mobilisation populaire contre l’OMC (le regroupement qui chapeaute les manifestations entourant le mini-sommet de Montréal), trouve que le néologisme est un peu trop récupéré: "Pettigrew s’amuse à dire que lui aussi cherche des alternatives et qu’il veut sauver la planète de la pauvreté. C’est pour ça que j’ai de plus en plus de difficulté à utiliser le mot "altermondialiste", parce que c’est tellement large et facile de dire qu’on cherche des alternatives."
En résumé, personne n’est contre la mondialisation. Elle est inévitable. C’est la mondialisation telle qu’elle est réfléchie actuellement, derrière des portes closes et par les "piliers du capitalisme", qui inquiète davantage. Désormais, on cherche des solutions de rechange. De ce côté, on trouve deux écoles: les modérés, qui veulent simplement "réformer" la machine capitaliste pour la rendre plus respectueuse des humains et de l’environnement, et les radicaux, qui pensent que le problème vient de la racine même du capitalisme. "Peu importe ce que tu changes dans l’arbre et dans la plante, ça va repousser si tu n’arraches pas la racine", ajoute Mélanie Sylvestre, qui se définit comme radicale.
Ce qui se passe au front
Au cours des quatre ou cinq dernières années, les mouvements anticapitalistes ont approfondi leur analyse, relevant au passage des liens entre les événements et de nouvelles évidences qui font croire que le système actuel a besoin de plusieurs retouches. "Récemment, on a vu les plus grandes manifestations de l’histoire du Canada, ici à Montréal, juste avant la guerre contre l’Irak, dit Jaggi Singh. L’analyse que l’on fait, c’est qu’il n’existe pas deux mouvements différents (antiguerre et antimondialisation). On a parlé des relations entre le capitalisme et la guerre, on a aussi démontré que les gens à l’OMC, au FMI, ou tous ceux qui veulent un traité comme la ZLÉA étaient aussi favorables à la guerre."
Depuis cette fameuse "Bataille de Seattle" (1999), où des manifestants ont perturbé un sommet de l’OMC, la moindre grand-messe du genre est irrémédiablement accompagnée du Festival de la mobilisation. Événement que l’on prépare avec soin, tant du côté des forces de l’ordre que du côté des forces du désordre. La Mobilisation populaire contre l’OMC organise des journées "d’éducation populaire" et de "résistance active", en vue du mini-sommet de Montréal. Rien de bien violent, mais sur les champs de bataille, les manifestations tournent presque toujours au vinaigre: il y a du grabuge, des manifestants sont arrêtés, on saupoudre la foule de poivre de Cayenne ou de balles de plastique. Les images du drame finissent par accaparer complètement l’espace médiatique, reléguant aux oubliettes les véritables enjeux défendus par les tenants de l’idéologie anticapitaliste.
Avec le temps, l’OMC, le G8 ou la Banque mondiale ont cru bon tenir leurs rencontres hors des grands centres, dans des endroits reculés et peu accessibles par la populace: à Doha, au Qatar (OMC, 2001); au coeur des Rocheuses, à Kananaskis (Sommet du G8, 2002); dans le décor enchanteur d’Évian, en France (G8, 2003). Pour le Sommet du G8 de 2004, George W. Bush a choisi Sea Island, une petite île privée de Géorgie. "Les gérants du capitalisme mondial sont obligés de se cacher, dit Jaggi Singh, ils sont obligés de se réunir dans des endroits reculés et de s’entourer de l’armée et de policiers afin de faire leurs politiques."
Des résultats?
Est-ce que le seul résultat de ces manifestations a été de forcer l’OMC à s’exiler à Saint-Glinglin-des-Meumeu? À quoi a pu servir la "résistance créative" jusqu’ici? "Les institutions comme l’OMC, les accords comme la ZLÉA ou les institutions comme le FMI ou la Banque mondiale, poursuit Jaggi Singh, tout cela était complètement ésotérique avant l’apparition d’un mouvement populaire. C’était des choses insignifiantes dans la société en général. Mais en 2003, grâce à ces mouvements et aux manifestations, tout cela fait partie de notre vocabulaire. On a exposé les piliers de la domination mondiale." Et c’est pas fini.