![Équité et imputabilité des fonds de retraite : L'argent fait la frasque](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/05/17335_1;1920x768.jpg)
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Équité et imputabilité des fonds de retraite : L’argent fait la frasque
"Ceux qui payent décident!" William Blackburn, vice-président de Baxter International Inc., grande multinationale du secteur des biotechnologies, a lancé cette maxime devant les dirigeants de caisses de retraite, gestionnaires de portefeuilles et consultants en gouvernance d’entreprises mondiales réunis à Amsterdam, la semaine dernière, dans le cadre de la conférence annuelle de l’International Corporate Governance Network (ICGN). Un préambule à la philosophie qui devrait prévaloir durant les réunions de la World Trade Organisation à Montréal? François Rebello, directeur du Groupe Investissement Responsable, profite de cet événement pour nous présenter l’état d’avancement du mouvement de la démocratie.
François Rebello
Photo : Reuters Newmedia Inc./CORBIS
La règle d’or du capitalisme devient le talon d’Achille des patrons. En fait, le simple fait que les actionnaires demandent des comptes aux gestionnaires des entreprises est en train de modifier la carte des rapports de force qui prévaut sur la planète. "Avant l’incident Enron et la chute boursière des dernières années, les autres gros actionnaires nous questionnaient: Pourquoi contester les millions de dollars versés aux dirigeants alors qu’ils nous font faire beaucoup d’argent?" a expliqué, lors de la conférence de l’ICNG, Peter Clapman, président du Conseil du fonds de retraite des professeurs universitaires américains TIAA-CREFT et ancien président du Conseil de l’ICNG. Mais depuis quelque temps, les actionnaires sont beaucoup plus actifs. Certains membres de conseils de fonds de retraite craignant même de se faire poursuivre un jour pour manque à leur devoir fiduciaire s’ils négligent d’exercer les droits de vote aux assemblées d’actionnaires associés aux titres détenus dans leurs portefeuilles.
Des patrons qui se font couper leur paye
Alors que le mouvement est encore naissant en Europe, où la tradition et la législation ont plutôt eu tendance à préserver les hauts dirigeants de leur devoir d’imputabilité vis-à-vis des actionnaires, l’assemblée annuelle de la pharmaceutique britannique Glaxo Smith Klein a été ce printemps le théâtre d’une incroyable rebuffade aux gros bonnets de l’entreprise. Rebuffade qui a été orchestrée en bonne partie par la centrale syndicale britannique TUC. L’assemblée a rejeté à majorité le rapport de rémunération des dirigeants soumis à leur approbation. Dans le même esprit, l’assemblée de Vivendi qui aura lieu l’automne prochain sera aussi probablement le théâtre de l’opposition des actionnaires à une prime de départ trop élevée versée à l’ex-PDG, Jean-Marie Messier.
Dans la plupart des cas d’abus soulevés, ce sont surtout les options d’achat trop généreuses qui font suer les actionnaires. Sous le couvert du fait qu’elles n’ont qu’une valeur hypothétique au moment de leur émission, les dirigeants se sont trop souvent octroyé quantité d’options extravagantes comme s’il s’agissait d’argent de Monopoly. Souvenons-nous de l’inconvenance des 120 millions $ empochés par John Roth, alors PDG de Nortel, à la suite de l’exercice des options octroyées par un conseil d’administration dont la générosité ne pouvait s’expliquer que par son manque d’indépendance vis-à-vis de la direction.
Mais les choses changent. L’opposition aux abus de rémunération n’est plus l’apanage de petits actionnaires activistes, qui, soit dit en passant, ont fait preuve de clairvoyance en présentant depuis quelques années des propositions aux assemblées d’actionnaires contre l’octroi d’options trop généreuses. "Les options pour la rémunération des dirigeants lèguent maintenant une dette supplémentaire. Les compagnies ont emprunté pour racheter les actions afin de combattre l’effet de dilution qui menaçait la position de l’actionnaire de contrôle", mentionnait John Plender, chroniqueur au Financial Times de Londres.
Aussi, plusieurs grands fonds de retraite ne se gênent plus pour, eux aussi, s’opposer à une générosité injustifiée. Certains de ces fonds, comme Teachers en Ontario et notre Caisse de dépôt nationale, s’opposent aux régimes d’options qui engendrent un effet de dilution trop grand, alors que d’autres régimes, comme le Régime de pension du Canada (l’équivalent au Canada anglais de notre Régime des rentes du Québec), vont plus loin et votent contre tous les régimes d’options. Le résultat de ce positionnement des fonds de retraite s’est fait sentir lors des assemblées de cette année alors que, selon Lynda Crompton, PDG de l’Investors Responsibility Research Center (IRRC), 50 % des propositions visant à encadrer ou éliminer les options remises aux dirigeants ont reçu l’appui d’une majorité d’actionnaires lors des assemblées annuelles.
Face à cette opposition clairement affirmée, plusieurs grandes corporations ont changé la forme de la rémunération accordée à leurs dirigeants. Par exemple, Microsoft vient d’annoncer qu’elle accordera dorénavant plutôt des actions au lieu des options. Au Canada, l’Impériale (Esso) a aussi adopté une telle pratique. En fait, le principal avantage pour les actionnaires d’un tel changement est qu’il sera maintenant plus difficile pour les dirigeants de se faire voter une hausse de rémunération puisque les actions octroyées ont une valeur incontestable qui devra être considérée et inscrite comme une dépense dans les états financiers de l’entreprise.
La responsabilité sociale maintenant à l’ordre du jour
Selon William Blackburn, vice-président de Baxter International Inc., un meilleur comportement social des entreprises a des effets bénéfiques très importants qui font en sorte que les gains dépassent les coûts reliés à l’implantation des politiques. "Il y a au moins quatre avantages découlant de l’adoption d’une politique de responsabilité sociale. Premièrement, elle assure une forme de protection de la réputation de l’entreprise en donnant à celle-ci sa propre stratégie plutôt qu’en laissant prévaloir une situation où l’entreprise se laisse mener par l’ordre du jour des groupes de pression. Deuxièmement, elle permet de mieux gérer les risques de gestion, par exemple en réduisant les amendes. Troisièmement, en améliorant les conditions de travail, elle favorise la productivité. Finalement, elle encourage l’innovation en mettant l’accent sur le développement de produits toujours moins polluants", a-t-il expliqué lors de la conférence de l’ICNG.
Malgré ces avantages reconnus, plusieurs fonds de retraite, comme Teachers et la Caisse de dépôt, ont, jusqu’à maintenant, défini leur politique de bonne gouvernance des entreprises en évitant d’appuyer clairement les propositions visant à améliorer le comportement social et environnemental des entreprises. Cependant, la conférence 2003 de l’ICGN fut le moment d’un grand virage. La position exigeant le respect des conventions sociales internationales que partagent de façon innovatrice certains grands fonds de retraite comme ceux des États de la Californie (Calpers) et du Connecticut et celui de la Ville de New York se répand maintenant chez les autres grands fonds. Elle atteindra probablement bientôt nos fonds de retraite des villes, des universités et même ceux de nos grandes entreprises syndiquées.
"Comme la croissance économique d’une région est favorisée par l’amélioration de la situation sociale, il est nécessaire pour un fonds de retraite qui ne peut que bénéficier d’une meilleure croissance économique de faire valoir certaines valeurs sociales. Il faut savoir que les grands fonds de retraite investissent dans une perspective de long terme et ne peuvent facilement vendre leur part dans une entreprise, ce qui rend encore plus nécessaire l’amélioration de la gouvernance des entreprises", nous a expliqué Bill Crist, président sortant de Calpers. Cet économiste de tendance syndicale devenu financier a d’ailleurs reçu un hommage pour son rôle de pionnier au sein du mouvement de la démocratie actionnariale lors de la conférence de l’ICNG. Cet hommage remis à un responsable de fonds de retraite dans le contexte de l’écrasement des performances financières est révélateur de la perception positive de la démocratie actionnariale qui prévaut maintenant dans la communauté financière. Peut-être qu’un plus grand leadership en matière de gouvernance d’entreprises de la part des ex-dirigeants de notre Caisse de dépôt aurait pu améliorer leur bilan?
Quoi qu’il en soit, l’inscription de la responsabilité sociale à l’ordre du jour des assemblées d’actionnaires est maintenant acceptée par la communauté des grands fonds de retraite, y compris au Canada. Alors que seulement deux propositions sociales avaient été soumises à l’occasion des assemblées d’actionnaires des entreprises canadiennes en 2002, c’est 10 propositions qui l’ont été en 2003. Soixante pour cent de ces propositions ont été retirées par les proposeurs, ceux-ci jugeant suffisants les engagements pris par les dirigeants des entreprises visées. Voici un portrait de deux des principaux enjeux.
Les codes de conduite chez les grands détaillants
Outre Wal-Mart, deux grands détaillants inscrits à la Bourse de Toronto se partagent l’essentiel du marché canadien du commerce de détail. Comme Wal-Mart aux États-Unis, les deux détaillants, la Compagnie de la Baie d’Hudson et Sears Canada, sont ciblées pour une troisième année de suite par des campagnes d’actionnaires visant à les amener à renforcer les codes de conduite qu’elles appliquent à leurs sous-traitants. Chacune d’elles reçoit annuellement une proposition lui demandant d’exiger le respect de l’ensemble des normes internationales du travail par ses fournisseurs et ses sous-traitants, en plus de la mise en place de mécanismes de vérification témoignant du respect de ces normes.
La proposition d’actionnaires visant la Compagnie de la Baie d’Hudson a été retirée cette année après que les proposeurs aient pris connaissance des actions entreprises par la compagnie afin d’améliorer ses pratiques sociales auprès de ses fournisseurs. En effet, selon Peter Chapman de Share, l’organisme syndical canadien leader du groupe ayant envoyé la proposition, la compagnie aurait accepté de revoir et d’amender sa politique d’achat et de rendre public un rapport décrivant ses politiques et pratiques en cette matière. Notons que le Syndicat des pompiers de LaSalle fait partie du groupe à l’origine de cette démarche.
Si elle respecte son engagement, La Baie deviendra la première entreprise publique canadienne et le premier détaillant à publier un rapport social sur ses activités de production internationales. Les proposeurs se disent très encouragés par les engagements pris par la compagnie, dont certains ont déjà été implantés dans la politique de l’entreprise.
Share a cependant maintenu la proposition visant Sears Canada lors de l’assemblée annuelle de l’entreprise ayant eu lieu le 22 avril dernier, où la proposition a reçu 7,7 %. Ce faible résultat s’explique par le fait que la maison mère américaine, Sears Reobuck, détient 55 % des actions. D’après Peter Chapman, les politiques et pratiques sociales de Sears Canada sont très loin de satisfaire les actionnaires, dans le sens où l’entreprise ne fournit aucune information sur ses pratiques de vérification, et sa politique d’achat n’est pas du tout conforme aux normes de l’OIT.
Les exigences formulées par les proposeurs sont semblables à celles que l’on retrouve au sein du code de conduite adopté récemment par le Fonds de solidarité FTQ. Le Fonds FTQ en est d’ailleurs à négocier l’implantation d’un code de conduite basé sur le sien au sein des entreprises où il détient une part importante des actions. C’est le cas notamment de l’entreprise montréalaise Guildan, qui est parmi les plus grandes productrices de chandails de sport au monde. Le Fonds FTQ détient plus de 10 % des actions de cette entreprise qui a plusieurs usines situées dans des pays d’Amérique centrale, donc très à risque au plan des conditions de travail.
Des défis à relever
Si les grands fonds de retraite collectifs ont bougé, les multinationales des fonds mutuels sont encore très souvent étrangères au mouvement de la démocratie actionnariale. Des grandes multinationales comme Fidelity sont clairement positionnées du côté de la haute gomme des entreprises. Leur absence à cette conférence annuelle de l’ICNG est à cet effet révélatrice. Cependant, le fait qu’un fonds mutuel doive être choisi par le client rend ses promoteurs vulnérables au choix des consommateurs. Sa réputation est très importante. De plus, l’adoption récente d’une politique par la Securities Exchange Commission (SEC) des États-Unis, obligeant les promoteurs de fonds mutuels à dévoiler comment ils ont exercé les droits de vote associés aux actions détenues dans leur portefeuille, les rendra plus imputables et transparents. À l’évidence, ce défi de convaincre les fonds mutuels d’exiger une meilleure responsabilité sociale des entreprises sera relevé grâce à un mouvement visant à influencer les consommateurs individuels, plutôt qu’au sein de comités de fiduciaires comme c’est le cas pour les fonds de retraite collectifs.
Pour leur part, les fonds de retraite collectifs sont dorénavant prêts à aller plus loin que d’exercer leurs droits de vote lors des assemblées annuelles. Ils veulent maintenant faire élire des représentants de qualité au sein des conseils d’administration d’entreprises. Actuellement, les actionnaires n’ont pas le pouvoir de faire inscrire quelqu’un dans la liste des candidats aux postes d’administrateurs incluse dans la circulaire envoyée aux actionnaires d’une compagnie avant l’assemblée annuelle. Cependant, une proposition de modification en ce sens est étudiée par la SEC. Selon Bill Crist, président sortant de Calpers, "les fonds de retraite devront au moins s’assurer de la qualité des candidats et de l’absence de conflits d’intérêts avant d’appuyer des candidats aux postes d’administrateurs aux conseils de compagnies. La question à se poser est la suivante: pourquoi cet administrateur est-il au conseil?". Quant à la possibilité de faire élire des représentants de fonds de retraite aux conseils, Crist répond qu’il s’agit d’un "défi intéressant mais difficile à poursuivre". Il précise toutefois que Calpers innove en ce sens et fait déjà parfois élire des administrateurs au sein des conseils de compagnies ayant des problèmes majeurs de gouvernance. À quand le moment où nos grands fonds de retraite feront élire des candidats "progressistes" aux conseils d’administration de multinationales?