![Les graffitis: art ou plaie urbaine? : Alerte à la bombe](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/05/17428_1;1920x768.jpg)
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Les graffitis: art ou plaie urbaine? : Alerte à la bombe
Ouvre d’art ou vandalisme? Les graffitis sèment la controverse. La Ville de Québec a opté pour la seconde définition et elle veut mettre fin à ce qu’elle qualifie de plaie urbaine. D’autres, en revanche, perçoivent dans ce mode d’expression un art à part entière. Pour ces derniers, les graffitis ont un rôle à jouer dans les cités. Ils estiment d’ailleurs que seule une ville dont les murs se parent de mille et un atours est réellement vivante. Éclairage sur un phénomène contesté.
Yasmine Berthou
L’art est partout. Il suffit d’ouvrir les yeux pour s’en rendre compte. Un enchevêtrement de lignes architecturales peut devenir un chef-d’oeuvre urbain, un jardin suspendu peut être qualifié de sculpture audacieuse et un graffiti posé sur un pan de mur délavé peut se comparer à une toile de maître. Il arrive cependant aussi que ce dernier soit vertement critiqué parce qu’il salit l’univers insipide d’immeubles sans âme ou parce que, issu d’une jeunesse réfractaire aux lois, il fait peur.
Depuis leur apparition à New York à la fin des années 1960, les bombages sont la cible d’une sacrée polémique. D’un côté, leurs pourfendeurs les qualifient de gribouillis incohérents. De l’autre, les défenseurs de ce mode d’expression y entrevoient un formidable podium destiné à ceux qui n’ont pas la parole, mais aussi l’émergence d’une nouvelle forme d’art.
Art de vie
Denyse Bilodeau, anthropologue et auteure d’une thèse sur le sujet, n’y va pas par quatre chemins: elle estime qu’une métropole sans graffitis n’est pas une vraie ville. "Les graffitis sont la vie!" lance-t-elle, avant d’ajouter que beaucoup d’artistes choisissent précisément ce mode d’expression. "Ils sont artistes dans l’âme, mais ils se servent des murs comme toiles car ceux-ci leur offrent une tribune de choix."
Un avis que ne renie pas Nathalie Prud’homme, directrice à la gestion du territoire de l’arrondissement de la Cité à Québec et porte-parole d’un comité ayant organisé une opération de nettoyage des graffitis les 12 et 13 juillet. Pourtant, celle-ci associe avant tout ces bombages à un acte de barbarie sur des propriétés privées. Elle refuse donc catégoriquement que la ville soit aux prises avec ce genre de manifestations, qu’elle qualifie d’insécurisantes, et elle souhaite en voir l’éradication pure et simple.
"Il y a deux façons de regarder les graffitis: on peut s’intéresser à celui qui envoie le message ou à celui dont la propriété a été lésée, explique la directrice. Or, nous avons une responsabilité envers les citoyens qui ont subi une atteinte à leur propriété. C’est pour cette raison que la police doit intervenir. Nous devons rendre nos lieux de vie sécuritaires et accepter trop de graffitis peut envoyer à la population un message selon lequel ces lieux sont plus ou moins contrôlés."
Le débat est lancé. Cependant, cet affrontement entre pro et anti ne mène nulle part. Il est donc difficile pour le quidam de se forger une opinion claire. Que doit-il penser des graffitis? Faut-il les intégrer au paysage urbain moderne ou lutter contre leur prolifération?
Trop de tags tuent le graffiti
Pour Émanuelle Catellier, chercheuse en histoire de l’art, il est avant tout nécessaire de distinguer les différents types de graffitis (graffitis, tags, fresques – cf lexique), mais aussi leur localisation (symbiose entre l’oeuvre et son environnement). Elle estime qu’il serait simpliste de généraliser et de se prononcer purement et simplement pour ou contre les bombages. "Un certain nombre de personnes ne connaissent pas les graffitis, ajoute pour sa part Mme Bilodeau. La difficulté tient dans le fait de savoir si ce sont les tags qui sont visés par les critiques ou les graffitis eux-mêmes. Ce n’est pas du tout la même chose puisque le tag équivaut au degré zéro du graffiti." Elle ajoute que les tags sont parfois une première étape essentielle à la réalisation d’une pièce en trois dimensions.
Mais comment juger de la beauté d’une oeuvre? Quels critères esthétiques retenir puisque l’art est tout sauf objectif? Il est donc impensable de créer une échelle de valeur sur laquelle les autorités pourraient s’appuyer afin de juger de la valeur artistique d’un graffiti, et par extension de la sanction qui en découlerait pour son auteur.
Ce d’autant qu’un tag placé en hauteur – comme ceux bombés au sommet des aqueducs ou placés au dernier étage d’immeubles – force davantage l’admiration que le dégoût du public. "Les gens vont d’abord remarquer l’exploit et le côté casse-cou", analyse Mme Bilodeau. Elle reconnaît toutefois que la profusion de tags gâche un peu le décor.
C’est d’ailleurs pour cette raison que Mme Catellier tient à distinguer les motivations des graffiteurs: réalisations artistiques, valeur cathartique, provocation de jeunes, marquage de territoire, etc. "Le problème provient essentiellement des jeunes qui ne sont pas graffiteurs et qui font ces marques par défi ou par bravade", résume l’anthropologue.
Jacques Mathieu, policier à Québec, connaît bien le problème. Il surveille de près les graffiteurs de la ville et il avoue que les tags représentent sa principale cible. "Les tagueurs ne sont pas nombreux mais très actifs, relève-t-il. Nous ne pouvons tolérer qu’ils agissent impunément, car cette dégradation du bien d’autrui constitue un acte criminel."
Pour lutter contre cette "pollution visuelle", les policiers de Québec ont donc décidé d’appliquer la règle de la tolérance zéro. Désormais, tout graffiteur pris sur le fait risque un dossier criminel.
Ces mesures répressives seront-elles efficaces? Rien n’est moins sûr. La répression ne semble pas la meilleure solution pour régler le différend. La preuve en est que, malgré l’appel à la dénonciation et au nettoyage lancé par voie de communiqués au début de l’été, les tags sont toujours là.
Peut-être les autorités devraient-elles alors davantage s’intéresser aux stratégies de prévention qu’aux processus d’élimination. "Il y a chez certains une légère tendance à réduire toute la problématique à une opposition triviale entre liberté d’expression et répression, masquant par le fait même les alternatives intermédiaires", note Mme Catellier. La multiplication des aires autorisées aux graffitis – comme sous l’autoroute Dufferin à Québec – pourrait être une solution acceptable pour tous.
Défi ou délit?
Il ne faut cependant pas oublier que, pour respecter son essence même, le graffiti doit être illégal. "Certains vont être satisfaits de pouvoir s’exprimer sur des murs mis à leur disposition, cependant de telles mesures n’empêcheront pas les graffiteurs de continuer à s’exprimer sur les murs de leur choix", prévient Mme Bilodeau.
La défiance de la loi fait en effet partie de la démarche des graffiteurs. "Ils savent qu’elle leur interdit de le faire mais au fond d’eux le graffiti reste un défi et, si la peur les habite au moment de choisir leur mur, une fois qu’ils ont commencé, l’interdit est complètement oublié", ajoute l’anthropologue.
Elle juge donc impératif d’éduquer les jeunes aux graffitis comme on leur enseigne la sexualité ou la lutte contre le suicide. "Comment voulez-vous que les jeunes sachent que taguer un mur est un délit si on ne leur dit pas?" objecte-t-elle.
Une idée que Mme Prud’homme a retenue. Grâce à elle, certains élèves des quartiers Montcalm et Saint-Jean-Baptiste participeront à la réalisation d’une affiche préventive.
La meilleure option serait pourtant d’intégrer les bombages à la vie de la ville. "L’attention aux graffitis peut être l’occasion de penser à l’instauration de manifestations artistiques ou culturelles laissant l’occasion à tous de faire entendre leur voix dans un cadre constructif et créatif, insiste Mme Catellier. C’est une avenue prometteuse que la Ville de Québec devrait considérer attentivement, d’autant plus qu’elle se cherche présentement des événements signifiants, tournés vers l’avenir, qui pourraient constituer un legs du 400e de Québec…"
Comme le dit l’adage: "Plus une ville est belle, plus elle le reste." "Les gens qui aiment une ville et qui s’y sentent bien n’iront pas souiller sa beauté. Donc, plus les murs seront attrayants, moins ils seront la cible de tags", remarque pour sa part Mme Bilodeau. Quel artiste en herbe peut en effet résister à l’appel du mur blanc et triste, vide de toute émotion? N’est-il pas plus intéressant d’y lire un grandiose "Ô, quel beau mur blanc!" en lettres moulées? Certains, comme le Britannique Banksy, ont d’ailleurs fait de ces phrases absurdes leur fonds de commerce. Parmi les exploits du Londonien: le bombage de la phrase "On en a marre du poisson" sur le mur de la cage des pingouins du zoo de Londres. Un peu d’humour dans un monde de brutes peut-il vraiment être nocif?
En attendant de trouver une réponse à cette question, il ne faudrait tout de même pas oublier que l’expression murale peut aussi cacher un malaise et exprimer un manque de reconnaissance sociale. La sanction, là encore plus qu’ailleurs, ne semble alors franchement pas la réponse la plus appropriée.
Pour en savoir plus:
www.zewall.com
www.graffiti.org/quebec/quebec_1.html
www.bombingscience.com/quebec.htm
Denyse Bilodeau, Un silence comme un cri à l’envers: ethnographie du phénomène graffitique montréalais, Université Laval, Québec, 1993, 284 p.
Renseignements supplémentaires
Petit lexique à l’usage des non-initiés
Historique: Véritable mode d’expression urbain, les tags sont apparus à New York à la fin des années 1960. À l’époque, la rue était le terrain de jeu de bandes rivales qui avaient choisi la violence comme mode d’expression. Pour s’opposer à ces fighting gangs, un groupe de jeunes, répondant au doux nom d’Ex-Vandals, a mis sur pied le premier writing gang. Avec eux, l’écriture allait devenir un moyen pacifique de délimiter un territoire et d’affirmer son appartenance à un groupe social. Aujourd’hui, le graffiti appartient à la culture hip-hop et cherche à remettre en cause l’autorité et la hiérarchie. Il est devenu un moyen de contester pacifiquement une société dominée par l’exclusion et l’uniformisation. Au Québec, les graffitis se sont développés avec les années 1990.
Tag: Terme anglo-saxon désignant les étiquettes sur lesquelles les voyageurs inscrivent leurs noms. Par extension, il désigne une signature stylisée et souvent illisible reproduite de façon répétitive, à l’aide d’une bombe aérosol ou d’un marqueur, sur les murs des villes. Le tag a pour but d’indiquer que son auteur est passé par là.
Throw-up: Signature à effet bidimensionnel plus travaillée que le tag. Le throw-up prépare son auteur à la réalisation d’une pièce.
Pièce: Fresque murale polychrome exécutée en trois dimensions par un seul graffiteur.
Production: Fresque murale en couleurs et à effet tridimensionnel réalisée par un collectif de graffitistes.