Conan le gouverneur : Hasta la Vista Californie !
Société

Conan le gouverneur : Hasta la Vista Californie !

Demeuré? Opportuniste? Incompétent? La candidature du Terminator au poste de gouverneur de la Californie a déclenché la frénésie médiatique et provoqué le scepticisme de la classe  politique.

Ceux qui aiment le spectacle de la politique, ainsi que les amateurs de revues de muscles qui l’appelait jadis "les deltoïdes en boulets de canon", "les molets de massue" et les "abdos de raviolis géants", se réjouissent sûrement de la candidature d’Arnold Schwarzenegger comme gouverneur de la Californie.

En vérité, en remportant les élections, Arnold pourrait modifier radicalement le paysage politique des États-Unis.

Ce qui, fait intéressant, n’aurait presque rien à voir avec ses positions, que l’on pourrait qualifier de centristes et majoritaires. Comme la plupart des Américains, Arnold le républicain est favorable à la diminution de la réglementation et des dépenses gouvernementales. Cependant, on ne trouve pas en lui la copie conforme du conservateur: il donne son appui au contrôle des armes à feu, au droit à l’avortement et au droit d’adoption pour homosexuels. Regroupées, les positions d’Arnold le maintiennent au beau milieu de l’échiquier politique américain (et californien). En résumé, il est le reflet d’un consensus contemporain qui aspire, grosso modo, à un gouvernement légèrement plus petit et efficace offrant néanmoins un grand nombre de services publics.

Alors comment Arnold pourrait-il apporter quelque chose de nouveau et de pertinent à la politique américaine? Grâce à l’exemple. S’il réussit à remporter les élections, il éliminera fort probablement certains thèmes de l’arène politique. Ce sera une grande victoire pour ceux qui croient que la politique couvre un territoire trop vaste en Amérique, en y injectant des valeurs majoritaires dans des domaines tels que les habitudes de vie et la consommation de drogues, qui devraient demeurer le choix des individus.

Arnold a connu le genre d’existence qui ferait saliver n’importe quel conseiller démocrate, ce qui n’est pas vraiment surprenant de la part d’un ex-athlète champion devenu grosse vedette de cinéma. Sa vie est remplie de peccadilles, dont certaines qui lui sont propres, comme sa consommation de stéroïdes et de drogues euphorisantes, et d’autres pas (l’adhésion de son père au parti nazi autrichien). L’ancien magazine Spy avait publié une photo d’Arnold, nu comme un vers. On avait également pu le voir, joint à la main, dans l’excellent documentaire de 1977, Pumping Iron, durant lequel il a exposé sa théorie qui dit que se "pomper les muscles" s’apparente au sexe: résultat, il "vient" constamment au gym.

Arnold ne s’excuse pas pour ses actes antérieurs, et c’est tout à son honneur. Contrairement à la plupart des politiciens, il ne renie pas son passé personnel, il nie seulement la pertinence qu’il pourrait avoir sur sa gouvernance. Si Arnold gagne, les électeurs lanceront essentiellement le message suivant: on se moque du passé d’un politicien à moins qu’il n’ait l’intention de légiférer des valeurs morales de façon hypocrite ou trompeuse. Voilà une des principales raisons qui expliquent pourquoi des politiciens comme Bill Clinton, Newt Gingrich et Bob Livingston (ancien président de la Chambre des représentants et inconditionnel des lignes érotiques), aussi différents soient-ils, étaient dégoûtants et ont été déshonorés.

Ce n’était pas que parce qu’ils avaient vécu plusieurs échecs dans leur vie personnelle, mais parce qu’ils insistaient pour faire passer leurs propres valeurs, qu’il s’agisse de la drogue, des relations sexuelles ou du type de programmation télévisuelle que nous devrions avoir le droit de regarder. Ce genre de paternalisme "faites ce que je dis et pas ce que je fais" est maintenu en très bonne santé par le président George W. Bush, qui refuse nébuleusement de répondre aux questions portant sur sa consommation personnelle de drogues, alors qu’il préside un système d’exécution de la loi qui punit les gens pour avoir fumé du pot, et qui clame "nous sommes tous des pécheurs", tout en essayant de refuser aux couples homosexuels les mêmes droits que ceux octroyés aux hétérosexuels. Une telle hypocrisie est certainement un des éléments les plus assommants et envahissants de la politique actuelle.

Schwarzenegger le gouverneur, déjà surnommé le "libertaire compatissant", ne consacrerait probablement que très peu d’attention gouvernementale à des dossiers concernant les habitudes de vie (contrairement aux politiciens traditionnels). Après tout, en ce qui concerne les homosexuels, Arnold a déjà dit au New York Times, en 1976: "Lorsqu’on parle de sexe, je me fous éperdument de ce que font les autres." Et il a ajouté pour la revue Cosmopolitan: "Aucune norme sexuelle ne me vient en tête pour me dicter ce qui est bien et ce qui est mal. Pour moi, tout ce que homosexuel veut dire, c’est que lui aime faire l’amour avec un homme et que moi j’aime faire l’amour avec une femme… tout cela est parfaitement légitime selon moi."

Cette candeur, cette tolérance et cette négligence anodine de la part d’un important titulaire de charge publique auront un impact massivement salutaire sur la politique des États-Unis.

Traduit de l’américain par Julie Rozon