La rentrée et les fournitures scolaires : Passer au cash
Société

La rentrée et les fournitures scolaires : Passer au cash

Dépenses injustifiées, marques suggérées, stupidités kafkaïennes… C’est un mal de tête annuel. Les listes de fournitures scolaires que les écoles acheminent aux parents manquent de clarté et de sens, lorsqu’elles n’imposent pas carrément aux parents des articles qui devraient être fournis par l’école. Petite enquête.

Balles de tennis et cahiers Louis Garneau

Cathy Campeau, une mère de 26 ans de Sainte-Marthe, a eu toute une surprise en recevant la liste du matériel scolaire requis pour sa fille, qui commence sa première année à l’École des Mésanges (Deux-Montagnes). On lui demande d’abord des cahiers Canada. Mais pas ceux à 0,48 $, non, ceux de marque Louis Garneau, qui se vendent 0,99 $. On demande aussi une tablette de feuilles blanches de marque Alouette. "L’an dernier, dit Cathy, je n’avais pas acheté une tablette de marque Alouette et le professeur m’a écrit une petite note pour me le reprocher." On est aussi très précis en ce qui concerne les crayons: on veut des pousse-mines de deux couleurs différentes. "Le problème, dit la mère, c’est que les pousse-mines se vendent en paquet de trois couleurs." Mais ce n’est pas tout: l’École des Mésanges demande aussi aux parents d’acheter à chaque petit écolier modèle un lot de quatre balles de tennis. De couleur verte, S.V.P. Pas pour jouer au tennis, mais bien pour qu’elles soient coupées afin d’être installées sous les pattes des chaises des enfants, ce qui diminue le bruit. Cette pratique est courante. Certains magasins Bureau en Gros ont même déjà commencé à vendre des balles de tennis pré-coupées en paquets de quatre… On nage en plein délire. Cette année, Cathy Campeau déboursera 238 $ pour les fournitures scolaires, les cahiers d’exercices et les frais chargés par l’école pour l’heure du dîner. Et c’est sans compter les vêtements.

La Commission scolaire de la Seigneurie-des-Mille-Îles, dont fait partie l’École des Mésanges, se défend bien d’imposer aux parents quelque marque que ce soit, mais reconnaît que les listes manquent de clarté. "Dans la liste qui a été remise aux parents, les noms "Louis Garneau" et "Alouette" ont été mis entre parenthèses. En aucun temps ces marques ne sont obligatoires. Mais on ne l’a pas écrit sur la liste", avoue Michel Laliberté, directeur adjoint Affaires corporatives à la commission scolaire. On nous donne la même précision concernant les fameuses balles de tennis: "La raison pour laquelle on installe des balles de tennis sous les chaises dans les classes, ajoute M. Laliberté, c’est qu’on a eu des cas d’élèves avec des troubles de l’audition. Mais c’est complètement facultatif." La commission scolaire reconnaît ses torts et confirme qu’elle fera amende honorable afin de clarifier ses listes de fournitures scolaires.

Éric Labrie, qui habite à Pointe-aux-Trembles, paiera quant à lui un total de 377 $ pour les fournitures scolaires de son fils de 5e année et de sa fille de 1re secondaire. "Ce qui a fait mal, ce sont les huit romans que je dois acheter à ma fille, ce qui totalise environ 80 $", dit M. Labrie.

Sur la liste du nécessaire scolaire pour les élèves de première année à l’École Laurier (Montréal), on souligne aux parents de ne pas identifier (avec le nom de l’enfant) les tubes de colle Pritt, les crayons à la mine Bérol ou les gommes à effacer Staedtler. Le parent qui nous a fait parvenir cette liste a trouvé cela honteux en soutenant que cela revenait à "donner à l’école du matériel qui servira à toutes et à tous". La directrice par intérim de l’École Laurier, Françoise Léveillée, a une autre explication: "Pour l’enseignant, c’est beaucoup plus facile pour la gestion de la classe." Selon l’école, on ne veut pas voler les parents. "Quand on fait les listes scolaires, on s’assure que l’on ne demande que le strict minimum", ajoute Mme Léveillée. Par exemple, trois gommes à effacer, trois bâtons de colle et vingt-quatre crayons à mine…

Une loi élastique
La Loi sur l’instruction publique est claire et le ministère de l’Éducation s’est doté, en 1999, de balises entourant les frais exigés des parents. La loi en vigueur stipule d’abord que l’école doit fournir gratuitement tout matériel didactique nécessaire à l’atteinte des objectifs des programmes. Il y a cependant deux exceptions: les parents doivent payer le matériel qui peut être altéré par l’élève (cahiers d’exercices), ainsi que les objets qui ne sont pas considérés comme didactiques, tels les crayons et les gommes à effacer. En parallèle, on a identifié une série de pratiques à revoir, ou plutôt, des articles qui ne devraient pas être achetés par les parents. Parmi ceux-ci, on retrouve les romans, les dictionnaires, les cadenas et les calculatrices graphiques. Ces articles sont dispendieux, nécessaires à l’atteinte des objectifs des programmes et ne seront pas altérés par l’élève. Bien sûr, l’école peut suggérer aux parents d’acheter ces fournitures, mais en aucun cas elle ne peut l’exiger.

Plus de rigueur!
L’an dernier, la Fédération des comités de parents du Québec (FCPQ) publiait un communiqué réclamant des commissions scolaires plus de rigueur dans l’application de ces balises. On parlait notamment de l’imposition aux parents d’acheter des flûtes et ces fameuses balles de tennis. "Quand on parle de balles de tennis à utiliser comme sous-pattes, on parle du mobilier de l’école et ça ne devrait pas être imposé aux parents", précise Richard Flibotte, vice-président des communications de la FCPQ.

Les conseils d’établissement, auxquels siègent des parents, n’approuvent que la liste des cahiers d’exercices fournis par l’école, mais achetés par les parents. En ce qui concerne les crayons et autres effets du genre, ce sont les professeurs qui, la plupart du temps, décident. Si, en général, on respecte les balises du ministère de l’Éducation, on sent toutefois un certain relâchement. Selon M. Flibotte: "Les commissions scolaires qui avaient participé à l’étude (en 1999) ont été très vigilantes l’année suivante. Mais la deuxième année, on a vu un certain relâchement. Il y a de nouvelles directions qui entrent en poste, qui ne connaissent pas toujours ces détails-là, de nouvelles équipes d’enseignants, de nouveaux parents, etc."

Un peu de précision!
Le grand problème semble résider dans la précision des listes de fournitures scolaires. Les parents ne connaissent pas toujours les subtilités de la loi et pensent, à tort, que les articles mentionnés sur la liste sont obligatoires, alors que plusieurs devraient plutôt être présentés comme des suggestions (dictionnaire, roman, calculatrice graphique, etc.) "Les listes ne sont pas claires, alors on sous-entend des choses, explique Richard Flibotte. Il y a des parents qui restent sur l’impression que si l’enfant ne se procure pas tel article, il ne pourra pas bien fonctionner et que cela nuira à sa réussite. Certains pensent même que l’enfant ne pourra pas se présenter à l’école tant qu’il n’aura pas tout le matériel nécessaire."

Des écoles qui bûchent…
Pour ajouter un peu de piquant au dossier du matériel scolaire, il faut préciser que l’actuel gouvernement a coupé récemment le montant de 15 millions $ qui était autrefois destiné aux parents afin de les aider à payer les fournitures scolaires. À l’École Baril, un établissement de 439 élèves situé dans le quartier défavorisé d’Hochelaga-Maisonneuve, cette coupure a fait mal. "Cette année, on a quand même fait des efforts pour que la facture du matériel scolaire ne dépasse pas 30 $", dit Dominique Paul, directrice de l’école. On a donc coupé sur les cahiers d’exercices et prôné le strict minimum pour tout le reste. Mais malgré tout, 30 $ peut être une facture importante pour une famille monoparentale de plusieurs enfants. Pour aider un peu, des entreprises ont fait don de vieux articles de bureau, comme le Cirque du Soleil, qui a donné 2000 pochettes à l’école.

Ainsi, alors que certaines écoles se permettent d’imposer aux parents l’achat de fournitures aussi capitales que des balles de tennis pour mettre sous les pattes des chaises, d’autres font de véritables efforts pour faire en sorte que la rentrée ne soit pas un fardeau trop lourd à porter.