La retraite dorée des ex-dictateurs : Liberté 55
Jusqu’au 16 août dernier, le notoire dictateur ougandais Idi Amin Dada a vécu durant 20 ans dans une luxueuse impunité en Arabie Saoudite. Loin de la portée des tribunaux des droits de la personne, il vivait paisiblement, allait prier à la mosquée du coin, achetait des repas congelés et recevait les meilleurs soins de santé. Pas mal comme retraite pour un homme ayant causé la mort de plusieurs dizaines de milliers de personnes. Mais Amin est loin d’être le premier despote destitué à passer son âge d’or loin des projecteurs.
Comme Didi Amin Dada, le seigneur de la guerre devenu homme d’État du Liberia, Charles Taylor, s’est envolé vers le Nigeria, où il espère se dérober aux accusations de crimes de guerre en attendant sa chance de revenir au pouvoir. Certains dirigeants n’ont même pas à quitter leur patrie pour échapper à la justice. Prenez seulement le mollah Omar des talibans et le dirigeant sibérien Radovan Karadzic, qui ont réussi à ne pas se faire remarquer dans leur propre arrière-cour pendant des mois. Et qui pourrait oublier Saddam Hussein, qui a décliné toute offre d’exil, pour ensuite s’enterrer lorsque les forces américaines sont débarquées en Irak. Saddam se cacherait toujours en Irak – même si l’une des rumeurs circulant parmi les Irakiens maintient que le boucher de Bagdad serait plutôt en exil, faisant la belle vie à la Maison-Blanche.
Toutes ces nouvelles de tyrans au large ont fait résonner le gong chez les défenseurs des droits de la personne, qui veulent que ces oppresseurs soient tenus responsables des actes commis lorsqu’ils étaient en fonction. Et ils ne devraient pas être difficiles à trouver. Tel que le démontre la liste suivante, plusieurs autocrates à la retraite vivent encore à la vue de tous, à l’étranger et dans leur propre patrie.
En exil à l’étranger
Hailé Mariam Mengistu (Éthiopie)
Si l’on se fie à la légende, Mengistu aurait tué l’empereur éthiopien Hailé Sélassié de ses propres mains et aurait enterré le corps dans son bureau. Ce qui n’empêche pas le Zimbabwe d’offrir un refuge à l’ex-marxiste depuis 1991. Mengistu file maintenant de beaux jours dans un confort haute sécurité à Harare, voyage avec un passeport diplomatique zimbabwéen et vient tout juste d’obtenir une garantie de 10 années d’asile supplémentaires. Mais si son hôte, l’autocrate Robert Mugabe, venait à perdre le pouvoir? Mengistu aurait en tête la Corée du Nord comme nouvelle terre d’accueil.
Hissène Habré (Tchad)
Habré a régné de 1982 à 1990, période durant laquelle plus de 40 000 Tchadiens ont été exécutés et 200 000 torturés. Une fois renversé, il s’est enfui au Sénégal, où il s’est installé dans un village près de Dakar. D’anciennes victimes et des militants des droits de la personne ont demandé qu’Habré subisse un procès pour ses crimes. Le gouvernement sénégalais a affirmé que l’ancien dictateur était de moins en moins le bienvenu, et un procès a été intenté contre lui en Belgique. Mais comme plusieurs autres tyrans déchus, Habré clame qu’il est victime d’une conspiration internationale.
Raoul Cédras (Haïti)
Le Panama a octroyé un asile au redoutable chef militaire d’Haïti en 1994, lorsque les États-Unis ont remis Jean-Bertrand Aristide au pouvoir. En 1991, Cédras avait renversé Aristide, élu démocratiquement, déclenchant ainsi un règne de terreur au cours duquel plus de 10 000 personnes sont mortes. En 2000, un juge haïtien a condamné Cédras à la prison à vie pour son implication dans le massacre infâme d’un des bidonvilles les plus pauvres de Gonâve. Mais Cédras semble en sécurité où il est. Le Panama a refusé de le rendre aux autorités. Il habite présentement dans un quartier riche de Panama City, et vivrait très bien de gains mal acquis dans la contrebande d’armes et de drogues.
Jorge Serrano Elias (Guatemala)
Le Panama est également un endroit où Serrano, qui a été élu président du Guatemala en 1993, se sent chez lui. Une fois élu, il a suspendu la Constitution et a cherché à centraliser le pouvoir, puis il a été forcé de se retirer à cause des protestations populaires. Sa patrie veut le ramener pour vol de fonds publics, mais le Panama rejette sans cesse les demandes d’extradition. Le dossier de Serrano a récemment refait surface dans son pays lorsque son nom a été mentionné dans le scandale Enron. Des enquêteurs du Sénat affirment que la société aurait effectué des versements douteux de 17 millions $ à une compagnie panaméenne liée à Serrano.
Alberto Fujimori (Pérou)
Fujimori a été élu président du Pérou en 1990, mais s’est attribué des pouvoirs quasi tyranniques pendant sa décennie de règne. Sous l’égide d’une campagne écrasante contre les rebelles de gauche, il a dissous le congrès et octroyé de vastes pouvoirs à l’armée et aux forces de police. Fujimori n’a jamais vraiment été destitué, il s’est imposé un exil au Japon en 2001, après avoir été lié au scandale de chantage qui impliquait l’ancien chef des services secrets, Vladimiro Montesinos. Le Japon lui a depuis attribué sa citoyenneté et a refusé de l’extrader sur des accusations de corruption, de trahison et d’autorisation de tuer (donnée aux escadrons de la mort), que Fujimori a, bien sûr, niées. Et même s’il a été banni de la politique péruvienne jusqu’en 2010, il serait en train de planifier son retour.
Milton Obote (Ouganda)
La Zambie est la terre d’accueil d’Obote depuis qu’il a fui l’Ouganda, en 1985. En 1971, le président Obote a été sorti par son chef d’état-major, Idi Amin Dada. Mais il n’est jamais parti, et lorsque Amin est tombé, l’ancien chef est revenu au pouvoir et a supervisé un règne sanglant au cours duquel 100 000 Ougandais ont trouvé la mort. Le gouvernement de la Zambie l’a hébergé pendant un moment, mais il vit à présent dans des trous miteux à Lusaka et affirme subvenir aux besoins de 47 personnes avec 1000 $ par mois. Lors d’une récente entrevue, l’homme âgé de 79 ans a défendu son passé: "Je n’étais pas un dictateur. J’ai essayé de régler les problèmes de l’Ouganda de façon pacifique." Il a exprimé un certain intérêt quant à un retour dans sa patrie.
Alfredo Stroessner (Paraguay)
Stroessner habite le Brésil avec sa femme depuis 1989, en fait, depuis que ses 35 ans de dictature militaire ont pris fin. Le général nonagénaire a fait savoir qu’il aimerait bien retourner chez lui. Le Paraguay aimerait bien le ravoir aussi: il ferait face à des accusations d’enlèvement, de torture et de meurtre. En attendant, il se passionne pour la pêche, aime bien regarder la télé et se faire dorer sur la véranda de sa maison à Brasília.
Joao Bernardo Vieira (Guinée-Bissau)
En 1980, Vieira a éjecté le premier président de la Guinée-Bissau et y a instauré un gouvernement militaire. Dix-neuf ans plus tard, l’armée l’a flanqué à la porte. Depuis ce moment, il passe son temps au Portugal, évitant les accusations de corruption et de meurtre qui l’attendent à la maison. Il a confié à la radio portugaise qu’il avait mis une croix sur la politique et que son voeu le plus cher était de devenir fermier. "J’ai tout donné pour l’indépendance de ce pays. Je veux maintenant devenir un citoyen normal."
Jean-Claude Duvalier (Haïti)
L’ancien dictateur haïtien, alias "Baby Doc", a fui et mis le cap sur la Côte d’Azur en 1986, où il est désormais connu pour ses voitures rapides et son style de vie éclatant. Aujourd’hui, à la suite d’un divorce coûteux, il serait pauvre et en mauvaise santé. Peu de gens l’ont vu depuis la fin des années 90, même si on le croit toujours en France. Selon le journaliste italien Riccardo Orizio, qui a rencontré Duvalier: "Il espère toujours devenir un demi-dieu dans le firmament vaudou lorsqu’il sera mort. Cela fait partie de sa vie et de ses espoirs quant à l’avenir."
En exil à la maison
P.W. Botha (Afrique du Sud)
L’ancien chef de l’apartheid de 87 ans, alias "The Great Crocodile", vit dans une maison luxueuse dans une région nommée Wilderness. Il a refusé de témoigner devant la Commission pour la vérité et la réconciliation, qui a trouvé son gouvernement coupable de nombreux abus des droits de la personne à la fin des années 70 et pendant les années 80. En réponse aux rumeurs qui couraient sur sa mort, l’impertinent défenseur des privilèges des Blancs a dit à la presse: "Je suis désolé de vous décevoir."
Augusto Pinochet (Chili)
Il n’y a rien comme être chez soi pour Pinochet, qui a réussi à échapper à une extradition vers l’Espagne pendant qu’il visitait l’Angleterre, en 1998. Il a été libéré de tout chef d’accusation au Chili, la Cour suprême le jugeant trop malade pour subir un procès. Cependant, l’ex-dictateur de 87 ans s’est senti assez bien récemment pour livrer un discours entraînant à un déjeuner de la Retired Generals Association, dont la plupart des membres sont accusés d’abus des droits de la personne. Selon le dirigeant de l’association, Pinochet "nous a demandé de rester unis et… de vaincre les problèmes auxquels nous faisons face".
Efrain Rios Montt (Guatemala)
Général dans les années 80, Rios Montt était connu pour ses tactiques de la terre brûlée (scorched earth) contre les rebelles gauchistes et les civils soupçonnés de les avoir aidés. Il a pris le pouvoir en 1982 lors d’un coup d’État, avant d’être destitué 18 mois plus tard. Durant son court règne, des milliers de personnes ont disparu. Et même si on lui a interdit de se porter candidat pour une charge publique, il fait présentement campagne à la présidence comme candidat "anti-establishment".
Imelda Marcos (Philippines)
Une révolte populaire a forcé l’infâme propriétaire de 3000 paires de chaussures et son mari à fuir à Hawaï en 1986. À la suite de la mort de son époux, Marcos est retournée aux Philippines en 1991. Elle est depuis frappée par des troubles financiers et juridiques. Elle a dû vendre ses bijoux, et les banques suisses ont viré 650 millions de dollars de son argent au gouvernement des Philippines. Lorsqu’on lui a posé des questions sur la richesse accumulée par son époux lors de ses deux décennies de règne corrompu, elle a lancé: "Si vous la rendez, cela signifie que vous l’avez volée."
Valentine Strasser (Sierra Leone)
En 1992, le capitaine d’armée âgé de 25 ans a renversé le gouvernement, devenant ainsi le plus jeune chef d’État au monde. Après avoir torturé et exécuté ses rivaux politiques, Strasser a été destitué en 1996. On l’a transporté, menotté, jusqu’à Londres, où il a pris des cours de droit sous les auspices d’un traité de paix avec les Nations Unies. Ses quatre années d’exil en Angleterre n’étaient pas ce qu’il y a de plus douillet: il a vécu dans des logements sociaux et a été agressé dans une station de métro. Et pour ce qui est de la vie à Freetown, la Sierra Leone n’est pas plus facile pour l’homme fort au visage d’enfant: en effet, le gouvernement a dû demander à ses citoyens de ne plus lui lancer de pierres lorsqu’il se promène dans la rue…