![Jean-Pierre Ronfard : Hommage à Jean-Pierre Ronfard (1929 – 2003)](https://voir.ca/voir-content/uploads/medias/2011/05/17990_1;1920x768.jpg)
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Jean-Pierre Ronfard : Hommage à Jean-Pierre Ronfard (1929 – 2003)
Catherine Hébert, Marie Laliberté
En août 2002, il affirmait en entrevue: "Par nature, le théâtre, comme tout art, parce qu’il échappe aux règles, est un propagandiste de la liberté". C’est en effet sous le signe de la liberté que Jean-Pierre Ronfard, au cours des 50 années de sa carrière, a pratiqué son art.
Avec sa mort s’éteint un esprit vif, brillant, perspicace. D’origine française, installé au Québec au début des années 60, il a été professeur, fondateur du Théâtre Expérimental de Montréal (1975) et du Nouveau Théâtre Expérimental (1979), dont il était toujours co-directeur, auteur de textes audacieux, dont Vie et mort du roi boiteux (1982), acteur, metteur en scène d’oeuvres classiques et contemporaines; il a reçu, en 1999, le prix Denise-Pelletier, pour l’ensemble de sa carrière. Débusqueur de talents, attrapeur d’imaginaire, Ronfard n’a jamais craint d’interroger son art. À sa profonde connaissance du théâtre, à son enthousiasme, s’est constamment greffée une curiosité active faisant de lui un créateur exigeant, surprenant et inspirant.
Nous avons recueilli les témoignages de quelques artistes l’ayant côtoyé.
Albert Millaire, comédien dans la dernière mise en scène de Jean-Pierre Ronfard, OEdipe à Colone (présentée jusqu’au 11 octobre à l’Espace Go)
Jean-Pierre a occupé une place unique dans le monde théâtral québécois. C’est un homme qui a choisi très tôt la voie d’à côté, la voie de la provocation. Ayant opté pour cela, il a été un mentor pour plusieurs d’entre nous.
Quand il est arrivé au Québec, sa première mise en scène officielle, il l’a faite au Théâtre du Nouveau Monde, me demandant de jouer Oreste dans Les Choéphores. Pour moi, il était alors un jeune Français un peu universitaire, cérébral, intellectuel, mais terrien, qui nous faisait travailler beaucoup par terre, comme il l’a fait 42 ans plus tard, insistant sur notre appartenance à notre terre, au sol.
Après, nos chemins se sont séparés. Lui, il faisait ses affaires, sa recherche, ses provocations, sa vie, tandis que moi j’avais choisi de faire du théâtre populaire, je voulais offrir le meilleur au plus grand nombre, je visais des salles de 1000 spectateurs et plus. J’ai vu plusieurs de ses spectacles. Je trouvais cela souvent intéressant, parfois un peu étrange…
C’était fantastique qu’il me rappelle, 42 ans après cette première collaboration, en me disant que j’étais la meilleure personne pour incarner Oedipe. Nous étions maintenant deux grands garçons. Je disais toujours que nous avions 84 ans d’expérience de plus, tous les deux. La préparation d’Oedipe à Colone a été un moment béni. Il me donnait des indications en un mot ou deux, pas plus. On se comprenait même si on avait pris des chemins différents. C’était merveilleux. Et puis arrive ce malheur! Je pensais qu’on ferait autre chose ensemble, que je retournerais au théâtre voir ses conneries…
Évelyne de la Chenelière, coauteure avec Jean-Pierre Ronfard de la pièce Aphrodite en o4, qui sera créée à l’Espace Libre en janvier prochain
Ce fut l’une des rencontres les plus significatives de ma vie, sur le plan théâtral mais aussi sur le plan humain. J’ai eu beaucoup de chance de me rapprocher de cet homme avec qui j’ai connu ma première famille théâtrale, qui a été ma première école. Grâce à Jean-Pierre, j’ai trouvé une façon de travailler en accord avec ce que je suis. Ce n’est pas estimable, tout ce qu’il a semé. On ne peut pas calculer. Depuis sa mort, tous les artistes reconnaissent l’influence qu’a eue cet homme, même si, médiatiquement, je trouve que l’espace qui lui a été consacré est bien maigre.
Ce que je retiens de lui, c’est qu’il avait une curiosité absolue, comme certains ont une oreille absolue. Une curiosité qui n’était pas sélective, même si c’était un homme qui avait beaucoup de jugement. Il était fondamentalement intéressé par le théâtre et les êtres humains, et il m’a donné envie d’ouverture, d’une ouverture qui permet de faire des rencontres. Je n’avais jamais rencontré quelqu’un de si libre.
Daniel Brière, comédien, metteur en scène et codirecteur du Nouveau Théâtre Expérimental
Ce qu’il m’a enseigné, c’est la liberté. Et j’aimais sa façon de faire du théâtre… Souvent, ce qui faisait "théâtre" l’embêtait. Il disait: ce qui ne se fait pas, faisons-le! Cela me plaisait beaucoup, cette idée que tout est possible mais qu’il ne faut pas en faire n’importe quoi! Son immense liberté a marqué tout ce que j’ai fait par la suite, au théâtre, à la télé et au cinéma.
Il faut aussi souligner son intérêt pour la danse, la musique, le chant, les auteurs, les poètes… cette ouverture incroyable qu’il avait. Cela m’a aidé à élargir mes horizons, à arrêter de dire: le théâtre, il faut que cela soit fait ainsi, on doit jouer entre quatre murs, etc. Jean-Pierre disait tout le temps: il n’y a rien de plus emmerdant que des rideaux de velours noir, enlevons tout cela. Comme le côté un peu religieux du théâtre, parfois, un peu sacré, qui l’embêtait. Il disait: on n’est pas à l’Église!
Malgré son érudition, ce n’était pas un intellectuel qui nous faisait la leçon. Il était toujours intéressé par ce qu’on lui apportait, même si on n’avait pas les mêmes connaissances que lui. Auprès de lui, on ne se sentait jamais idiot, parce qu’il était toujours intéressé. C’était un compagnon de travail tellement joyeux, une présence formidable. Et cela va nous manquer énormément.
La famille théâtrale et les amis sont invités à rendre un dernier hommage à Jean-Pierre Ronfard ce dimanche, 5 octobre, entre midi et minuit, à l’Espace Libre (1945, rue Fullum).