Les droits civils à Cuba : Cuba no libre
Société

Les droits civils à Cuba : Cuba no libre

Pedro Almodovar, Sophie Marceau, Pierre Arditi, Catherine Deneuve… De plus en plus de voix s’élèvent à la défense des dizaines de dissidents cubains arrêtés massivement au printemps dernier. Si, pour certains, les pressions américaines justifient encore la répression, cette dictature romantique n’échappe plus aux critiques des artistes et des intellectuels.

Au mois de mars dernier, alors qu’une guerre en Irak s’annonçait inévitable, en quelques jours, 26 journalistes ainsi qu’une cinquantaine de dissidents politiques furent arrêtés par la police de Fidel Castro. Le régime les condamna aussitôt à de lourdes peines allant de 14 à 28 ans de prison. Au moment où la politique du "Lider Maximo" semblait vouloir s’assouplir, on parle dorénavant de la plus grande vague de répression des dernières années.

Les procès des dissidents s’expédièrent rapidement. Ils furent punis en vertu de la loi sur la protection de l’indépendance nationale, pour avoir collaboré avec l’ennemi, c’est-à-dire les États-Unis, et pour avoir publié clandestinement deux revues indépendantes (De Cuba et Luz Cubana) puisque sur l’île, seule la presse officielle est autorisée. Depuis ces événements, pour Reporters sans frontières, Cuba est devenu la plus grande geôle de journalistes au monde.

À Paris, le 29 septembre dernier, lors d’une soirée de solidarité avec le peuple cubain intitulée Cuba Si, Castro No, l’association Reporters sans frontières, qui se veut le porte-étendard de la liberté d’information, a, en collaboration avec le groupe Sin Visa, réuni plus de mille personnes. On y proposa des actions concrètes dont la création d’un comité de soutien au journaliste et poète Raul Rivero (lauréat du prix Reporters sans frontières en 1997), arrêté lors de la grande rafle. De nombreux intellectuels, journalistes, historiens et artistes étaient présents à l’événement, dont Pedro Almodovar, Eduardo Manet (écrivain d’origine cubaine), Christine Ockrent, Sophie Marceau, Pierre Arditi et Catherine Deneuve.

Raul Rivero est accusé de traîtrise pour avoir publié des articles dans la presse étrangère et pour avoir collaboré avec Reporters sans frontières, qui, selon les autorités cubaines, est "une organisation terroriste française manipulée par le gouvernement des États-Unis". Âgé de 57 ans, Rivero est condamné à 20 ans de prison. Étant donné ses problèmes de santé, la femme de l’écrivain considère cette sentence comme une peine à perpétuité.

Victor Mozo, traducteur ayant immigré au Québec en 1983, à l’âge de 33 ans, raconte une histoire si triste qu’on ne peut que comprendre sa haine et sa rancoeur envers Castro et son parti politique unique. Avant la révolution de 1959, le père de monsieur Mozo avait réussi à amasser de peine et de misère un petit pécule qui lui avait permis d’acheter un café au centre du quartier populaire où vivait sa famille. Deux ans plus tard, les révolutionnaires prenaient le pouvoir et imposaient l’étatisation de toutes les propriétés privées. Perçu alors comme un propriétaire bourgeois, l’homme subit tant d’humiliations qu’il préféra se donner la mort. "Je croyais qu’en arrivant ici, j’oublierais tout, mais aujourd’hui, quand je vois la situation empirer là-bas, ça me rattrape et j’angoisse", affirme Victor Mozo. Selon lui, Castro, maintenant âgé de 76 ans, ne change pas, bien au contraire; il régresse et se replie sur lui-même comme au temps du stalinisme. "Comment peut-on encore imposer à un peuple la patrie ou la mort? Les Cubains n’ont pas à choisir."

Mercedes, quant à elle, se dit probablement parmi les trois ou quatre personnes exilées au Québec à ne pas être aussi en colère contre le pays qu’elle a quitté à l’âge de 18 ans. C’est pour cette raison qu’elle préfère ne pas divulguer son nom, de peur d’être victime de représailles. L’exemple de Miami, ville qui abrite des groupes cubains viscéralement anti-castristes, ne la rassure pas. Certains vont jusqu’à incendier des appartements et violenter les gens qui se montrent plus souples envers l’actuelle politique cubaine. "Les Cubains de Miami sont très nombreux et très puissants. Ils soutiennent le gouvernement républicain et exercent de fortes pressions sur lui. Même Carter, qui voulait réviser la position si sévère des États-Unis envers Cuba, n’a pas pu le faire à cause des lobbys anti-castristes de droite, en Floride. Mais ça, personne n’en parle", soutient-elle. En effet, le lobbying de la Fondation cubano-américaine (FNCA), organisation regroupant les exilés les plus extrémistes, est toujours très présent au sein de l’administration Bush.

D’après Mercedes, la CIA travaille encore très fort à Cuba. "Il ne faut pas se le cacher, les dissidents sont fortement financés par les Américains. Pendant la guerre en Irak, le travail de séduction exercé à leur endroit s’est accru. De l’autre côté, Cuba, voyant ce qui se passait en Irak, s’est sûrement dit: les prochains, c’est nous! Alors on a resserré la vis. Les gens croient que Cuba s’ouvre et se referme subitement parce que Fidel a mal au ventre. Il ne faut pas oublier que ça se joue à deux, tout ça. La toile de fond, c’est la constante pression américaine sur Cuba. L’île est comme en état de guerre continuel." Cet avis est partagé par Pierre Beaudet, directeur du journal Alternatives: "Les Américains ne veulent pas une amélioration de la situation à Cuba, ils veulent un krach qui serait humiliant pour le leader de la révolution cubaine. [De plus], ils ont toujours eu besoin d’ennemis pour justifier leur politique internationale."

"Les dissidents: des agents de la CIA. Je n’en crois pas un mot! s’exclame Victor Mozo. Le régime est en place depuis plus de 40 ans et les Cubains n’auraient pas la capacité de le juger par eux-mêmes… Non, il faut mettre la faute sur quelqu’un: les États-Unis et leurs espions cubains. C’est ridicule! Vous savez, on m’a moi-même traité d’agent à la solde des Américains, pourtant je n’ai jamais reçu un sou pour tout ce que j’ai pu écrire sur le sujet et je n’ai jamais rencontré d’agent ni de près, ni de loin." Il enchaîne, intarissable: "Si la révolution avait gagné la confiance du peuple, pourquoi avoir si peur d’une centaine de dissidents? Parce qu’ils ont peur que leurs propos en fassent réfléchir d’autres et se répandent."

Depuis les arrestations massives des quelque 80 opposants au régime, l’Union européenne a décidé de restreindre ses relations avec l’île car, selon elle, il y a "violation des droits fondamentaux", ce que Fidel Castro a bien du mal à avaler. Il faut dire, comme le note Mercedes, que les États-Unis et l’Europe n’ont aucun scrupule à faire des affaires avec d’autres pays latino-américains tels que la Colombie, où les droits de l’homme sont mis à mal. "On compare toujours Cuba à ici; moi, j’aimerais qu’on fasse des comparaisons avec d’autres pays d’Amérique latine pour voir."

En 2001, à l’issue de la publication du Rapport sur le développement mondial, le président de la Banque Mondiale, James Wolensohn, a félicité le gouvernement communiste de Cuba pour "son excellent travail" dans le domaine du développement social. Le rapport souligne des améliorations dans le domaine de la santé et de l’éducation, et ce, malgré la persistance de l’embargo commercial des États-Unis. Avec un niveau de mortalité infantile de 7 pour 1000, Cuba se situe au sixième rang du classement mondial, pays industrialisés compris (la moyenne de toute l’Amérique latine et des Caraïbes est de 30 pour 1000). L’espérance de vie moyenne est de 76 ans, tandis qu’elle est de 77 ans aux États-Unis. Le taux d’analphabétisme à Cuba est pratiquement nul et le ratio d’élèves par professeur est uniquement comparable à celui, exemplaire, de la Suède. Mis à part la Corée du Nord, Cuba est le seul pays en voie de développement qui n’ait jamais reçu la moindre assistance de la Banque Mondiale. Certains membres de la prestigieuse banque n’hésitent pas à citer Cuba comme un exemple à suivre pour les pays du tiers monde…

Malgré tous les bons points marqués, Cuba est loin d’être le pays champion des libertés individuelles. Amnistie internationale souligne qu’aucun prisonnier de la vague d’arrestations de la mi-mars 2003 n’a été accusé d’espionnage, ni d’avoir divulgué des secrets concernant la sécurité nationale. Selon l’information disponible, l’organisation considère ces opposants comme des prisonniers d’opinion puisque "leur comportement était non violent et entrait dans le cadre de l’exercice légitime de la liberté d’expression, d’association et de réunion, telle qu’elle figure dans les normes internationales".

La répression a pourtant épargné une demi-douzaine de dissidents internationalement très connus. Il faut dire que l’arrestation de ces personnalités aurait évidemment fait très mauvaise figure à l’étranger. En agissant de la sorte, Fidel Castro donne ainsi la preuve que son régime permet une "certaine" liberté de penser…

Oswaldo Paya fait partie de ces rescapés. En lice cette année pour le prix Nobel de la paix, cet ingénieur de 50 ans, président du Mouvement chrétien de libération, est à l’origine du projet Varela, une pétition qui exige l’organisation d’un référendum sur la tenue d’élections libres. L’année dernière, il a obtenu la signature de 11 020 Cubains. Cette initiative sans pareille lui a valu, en 2002, le prix Sakharov pour la liberté d’expression, décerné par le Parlement européen. Le 4 octobre 2003, monsieur Paya a récidivé et remis au Parlement cubain 14 000 signatures supplémentaires. Malheureusement, il y a fort à parier qu’une fois de plus, le projet sera rejeté à cause de son "caractère inconstitutionnel".

Le projet Varela a pour but de "restituer au peuple cubain ses libertés fondamentales à travers cinq propositions: liberté d’expression, liberté d’association, amnistie pour les prisonniers politiques, liberté d’entreprendre, nouvelle loi électorale permettant plusieurs candidatures", a expliqué l’année dernière monsieur Paya à une journaliste du Nouvel Observateur. Il poursuit plus loin: "Au cours de cette lutte obscure, j’aurai au moins compris une chose essentielle: le régime cubain a peur que les Cubains n’aient plus peur. (…) Quand les gens sans pouvoir, les pauvres, les faibles perdent leur peur, ce sont les puissants qui commencent à trembler."