Excès ésotériques : Péter les plombs
Société

Excès ésotériques : Péter les plombs

Après les tentatives de clonage des Raëliens, la nouvelle coiffure de Jean Charest et le goût amélioré du Kraft Dinner Deluxe, vous pensiez avoir tout vu? Attendez de connaître les communistes cosmiques, les psychologues galactiques ou encore le Mouvement pour l’extinction volontaire de l’espèce humaine: vous verrez que tout le monde n’a pas besoin de drogue pour planer. Au secours…

Respirianistes: vivre de lumière
Certains feraient aisément passer le pire des anorexiques pour un gourmand. C’est le cas des adeptes du "respirianisme" (ou "respiriens", de l’anglais breatharianism), de drôles d’oiseaux qui affirment pouvoir atteindre un niveau de conscience vibratoire si élevé qu’une auto-reprogrammation de leur ADN et de leur structure moléculaire est rendue possible. Le but de l’exercice? En venir à se nourrir uniquement, pendant des mois et des années, d’air et de lumière, de "prana", comme ils disent. Le problème? Les gourous mangent des cheeseburgers en cachette et certains adeptes naïfs sont morts au bout de leur jeûne.

D’abord l’affaire de Wiley Brooks en Californie dans les années 70, le mouvement a été récupéré depuis quelques années par une auteure et conférencière australienne, Jasmuheen. L’histoire veut qu’elle ait été déjouée par des journalistes à la sauce J.E., s’effondrant après quelques jours d’un jeûne surveillé alors qu’elle affirmait ne pas avoir mangé ni bu depuis des années. Malgré tout, Jasmuheen poursuit ses activités, et des adeptes racontent l’histoire de respirianistes ayant tenu le coup pendant des dizaines d’années, des affirmations loufoques évidemment non vérifiées. La dimension ésotérique occupe une place importante dans la vie de ces jeûneurs extrêmes; certains planifient d’ailleurs un voyage important dans le cosmos, départ prévu en 2012. Aux dernières nouvelles, il restait encore des places.

Psychologues galactiques: dans un rang près de chez vous
Le tourisme galactique vous intéresse mais les voyages par ascension de la conscience ne sont pas votre spécialité? Dans ce cas, quelques séances avec un psychologue galactique pourraient être indiquées. Gilles Aussant, qui aurait oeuvré en psychologie dans le milieu scolaire et industriel de la région de Lanaudière, a fondé en 1999, à Saint-Didace, l’Institut international de psychologie galactique. L’auteur de plusieurs bouquins ésotériques affirme avoir reçu, par un petit matin de mars, la visite "d’un des commandants de la Flotte d’Ashtar, le Commandant Kiriack, commandant de la Nef Ekektra affecté de façon très particulière au service du Kébek". Raël et ses Éloïms peuvent aller se recoucher!

Le but de cette visite de courtoisie: donner à Gilles Aussant le titre d’"Instructeur planétaire de haut calibre" afin qu’il puisse mener les Terriens vers la voie de la "synchronisation galactique". "Mon maître Antarion me signifie qu’il faut passer par 22 initiations importantes pour aspirer à vivre l’ascension", indique le bonhomme dans sa documentation. Si c’est Antarion lui-même qui le demande, on ne rouspète pas, s’est-il probablement dit. D’où l’ouverture du Centre Omega et de l’Institut de psychologie galactique pour offrir des leçons à qui veut atteindre des "dimensions nouvelles." Un coup de fil au Centre Omega vous permettra de connaître les tarifs et l’horaire des activités…

Communistes cosmiques
Qui a dit que tous les communistes étaient athées? En Russie, les dirigeants d’une secte religieuse, Communist-Unification-Rule over AII, ont tenté en vain d’obtenir les autorisations leur permettant de créer le Parti des communistes cosmiques. Grâce à des processions religieuses et à des exercices de transe, ces nostalgiques de l’URSS entrent en contact avec Dieu tout en brandissant des portraits de Marx et du Christ.

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Plus d’un ado a fait des séances de Ouija dans un sous-sol mal éclairé sans pour autant verser dans le satanisme et la magie noire. Marginaux depuis des lustres, c’est à la fin du vingtième siècle que les adorateurs du diabolique ont atteint le dessus de la vague, portés par la médiatisation de meurtres rituels spectaculaires, de personnages excentriques, et le succès de la scène métal. Ce courant a ensuite perdu de la vigueur, sans pour autant disparaître, au profit des groupes gothiques associés à Marilyn Manson.

En ce qui concerne ceux qui se présentent comme de réels praticiens du satanisme, soulignons que la chicane semble être prise entre les adorateurs du fondateur de l’Église de Satan, Anton Szandor LaVey, décédé en octobre 1997. Si certains sont tentés par la vente de t-shirts et d’amulettes, d’autres veulent plutôt maintenir le mythe en vie et ne jurent que par la Bible Satanique. Évidemment, une bonne part de leur énergie est consacrée au maintien de sites Internet rivaux. Ailleurs, sur www.necronomi.com/projects/666/, il est offert aux visiteurs de vendre leur âme au diable. Il n’y a qu’à remplir le formulaire en ligne.

Un peu partout dans le monde, des cas isolés de sacrifices humains continuent d’être rapportés sporadiquement, en plus de diverses mutilations d’animaux. Ces cas restent toutefois l’affaire de détraqués, solitaires pour la plupart, et l’implication de cultes sataniques est rarement évoquée. Côté musical, Macabre a su, depuis 1983, se mettre à dos les familles de dizaines de victimes de crimes crapuleux dont les détails sanglants inspirent les paroliers du groupe death métal américain.

Mouvement pour l’extinction volontaire de l’espèce humaine: "rendre l’enfant superflu et pénaliser les parents"
Si l’un des slogans de ce groupe est "Merci de cesser de respirer…", sa démarche reste celle d’environnementalistes qui ont décidé d’utiliser le marketing-choc pour faire passer leur message à l’effet que la surpopulation, l’industrialisation et la pollution sont autant de cancers pour la Terre. Rassurez-vous, il n’est pas question d’infanticides massifs ou de séances collectives de castration: on offrira même gracieusement aux parents une carte de membre "car il ne faut pas se culpabiliser du passé". Cependant, "les nouveaux venus s’engagent à ne plus ajouter de membres à la famille humaine déjà existante". Charmant, non? C’est Les U. Knight, de Portland en Oregon, qui serait le fondateur de cette école qui a fait des petits par dizaines dans le monde.

Identitaires: des néo-nazis à ceinture fléchée?
Les identitaires rassemblés dans le groupuscule virtuel Québec Radical depuis 2002 ont réussi à semer une certaine inquiétude malgré leur nombre restreint et ce, à cause de la violence de leur discours ultra-nationaliste. Ici, on est en présence d’activistes néo-nazis clairement racistes répartis majoritairement entre les régions de Montréal, Québec, Sherbrooke et Trois-Rivières. Ayant fait d’Internet leur refuge – ils y échangent documentation, musique, et commentaires haineux ou religieux -, on leur connaît peu de sorties publiques. À deux reprises, une douzaine d’entre eux ont manifesté au début de l’année, devant le palais de justice de Québec, lors de la comparution de présumés proxénètes. Munis de masques, ils ont brandi des affiches assimilant "l’immigration invasion" à l’exploitation de jeunes Blanches, tentant ainsi d’exacerber l’émotion populaire au profit de leur idéologie. Ils ont plutôt dû affronter un groupe de militants antiracistes et antisexistes venus leur indiquer clairement qu’ils n’étaient pas les bienvenus dans la ville (certains des manifestants identitaires provenaient de Sherbrooke), une confrontation qui a vite tourné en bataille rangée.

Cette méthode de confrontation directe a aussi été appliquée à Montréal par quelques dizaines d’activistes antiracistes ayant réussi à empêcher la tenue d’un concert rassemblant des groupes néo-nazis. À d’autres occasions en 2003, aux Fêtes de la Nouvelle-France à Québec et lors des célébrations de la Fête nationale le 23 juin, des identitaires liés à Québec Radical ont procédé à la distribution de tracts jouant sur la fibre nationaliste des Québécois de souche, sans être inquiétés dans ces cas, en plus d’effectuer quelques opérations nocturnes de pose d’affiches racistes. Ce groupuscule, administré par un cercle relativement jeune d’amis concentrés à Montréal et Québec, est entouré de quelques dizaines de sympathisants – dont un condamné pour des crimes impliquant l’utilisation d’armes à feu. Il est le petit cousin idéologique d’un groupe d’identitaires similaire actif en France, milieu d’où était issu le néo-nazi Maxime Brunerie qui a tenté d’abattre le président Jacques Chirac lors du défilé du 14 juillet 2002.

Ghostbusters et vampires à Montréal?
Dormez en paix, citoyens, car le Québec est maintenant doté d’une équipe de chasseurs de fantômes. Le Spectre de Montréal se présente comme un groupe offrant gratuitement ses services d’enquête dans le domaine des phénomènes paranormaux. Ses membres ont à ce jour déployé leurs compétences à deux occasions, ce qui les a menés à remonter la trace d’un mystérieux clochard ayant tendance à s’évaporer et à faire peur aux enfants sur la Rive-Sud de Montréal, et à examiner un bed & breakfast dont les multiples propriétaires auraient des tendances suicidaires. Pour combler les temps morts, les enquêteurs du Spectre font dans les fêtes costumées et les tournées de camping sauvage dans les cimetières de la province.

S’ils manquent de contrats, on pourrait leur refiler l’information suivante: les vampires du monde entier se sont donné rendez-vous dans 591 villes le 21 octobre prochain, et Montréal fait partie du lot. C’est sur vampires.meetup.com que 6177 buveurs de sang branchés ont confirmé leur présence à l’un des événements qui se tiennent dans des lieux déterminés par vote électronique. L’efficacité de leur site Internet permet à ces apprentis vampires d’organiser de telles rencontres une fois par mois. Certains d’entre eux affirment boire du sang, ils placent même de petites annonces pour trouver des compagnons pour le faire.

Depuis longtemps, la science a évacué la question du vampirisme. Certaines maladies telle la porphyrie, qui entraîne une "pâleur cadavérique", ou d’autres qui provoquent la déformation des dents, ont cependant participé à entretenir le mythe des vampires. Dans les cas documentés de buveurs compulsifs de sang, on serait en présence d’une maladie mentale, le syndrome de Renfield.

Association Sciences de l’étrange et phénomènes inexpliqués: www.asepiinc.org
Les Ghostbusters de Montréal: www.geocities.com/le_spectre_montreal/menufrancais.html
Communauté de vampires québécois: www.quebecbloodlines.com

Points de rencontre de vampires: www.vampires.meetup.com
Les Sceptiques du Québec: www.sceptiques.qc.ca

Mouvement pour l’extinction volontaire de l’espèce humaine: www.vhemt.org/findex.htm

Renseignements supplémentaires
Croire à tout prix
Raymond Lemieux, professeur de sociologie de la religion à l’Université Laval, est spécialiste des croyances et de l’imaginaire. Selon lui, le processus qui amène les humains à croire est généralement inconscient, qu’il s’agisse du discours et des préceptes d’une religion officielle, de ceux d’une secte ou de tout autre groupe apparenté. "Il s’agit ici de donner figure à quelque chose qui manque. Dans les civilisations judéo-chrétiennes, Dieu est difficilement figuré, démontré. Alors c’est toujours le même enjeu qui est en cause: trouver une figure qui aidera à combattre l’angoisse de l’existence. Nous tombons ici dans l’ordre du psychosocial car il y a un désir manifeste de recourir à l’autre pour faire régler ses propres problèmes, ce qui est tentant et rassurant."

Depuis quelques années, diverses études prouvent la popularité de croyances étranges à première vue, souligne le sociologue. "Des recherches menées au début des années 90 ont démontré que plusieurs personnes, environ 40 % de la population à cette époque, croyaient en une force cosmique régulatrice de l’ordre des choses dans l’univers. C’était une tendance à la hausse, alors il ne serait pas étonnant que cette proportion soit rendue à 50 %. À cette époque, de 25 à 30 % des gens disaient croire en la réincarnation. L’été dernier, un sondage a placé cette proportion à 41 % dans le cas des jeunes, mais nous savons que ça touche toutes les couches d’âge."

Au sujet de cet engouement face à l’invisible, le chercheur tente une explication. "Nous vivons dans un monde où les mythes de la science, du progrès et de l’éradication des maladies sont forts, où les croyances à l’effet que le développement de la science va garantir notre bonheur tiennent le coup. C’est très naïf mais c’est enseigné partout, dès la petite école: travaillez et vous atteindrez le bonheur. Malgré tout, certains parmi les plus lucides s’aperçoivent qu’ils se sont fait avoir et tentent de trouver autre chose."

S’il insiste sur le fait qu’il ne faut pas exagérer l’importance de la percée des nouveaux mouvements religieux, qui ne toucheraient que de 3 à 4 % de la population, Raymond Lemieux reconnaît que certains parmi les plus timbrés peuvent mériter une attention particulière. "Le type qui affirme vivre dans la 22e dimension aura peut-être un jour envie de monter encore plus haut dans le cosmos et il peut à ce moment devenir dangereux."

Les bidous de l’étrange…
Comme ailleurs, le "bidou" est souvent roi au royaume de l’étrange. En allongeant les billets verts, en plus de se faire escroquer au téléphone pour 4,99 $ la minute, il est possible, au Québec, de prendre des cours de métaphysique par correspondance, de commander des logiciels d’introspection, de retenir les services d’un photographe d’aura à domicile, de joindre des groupes de chasse au Big Foot et aux monstres marins, de suivre des leçons pour devenir Jedi ou pilote d’OVNI – gracieuseté de Richard Glenn dans ce dernier cas -, de s’inscrire à un atelier de formation visant à s’élever dans la 22e dimension, de jeter par procuration des sorts vaudou… une liste qui pourrait s’étirer encore.

D’autre part, bien qu’une somme de plus de un million de dollars soit offerte en permanence par les Sceptiques du Québec à quiconque pourra présenter la preuve hors de tout doute de l’existence d’un phénomène paranormal lors d’une expérience contrôlée, aucun des rares prétendants n’a à ce jour passé avec succès l’étape du pré-test, assortie d’une bourse de 10 000 $. Il semble donc que les charlatans, astrologues ou tératologues du dimanche devront encore en ramer un coup avant d’embarquer dans leur chaloupe les rationnels de ce monde.