Le speed dating de l’emploi : McPlacement?
Société

Le speed dating de l’emploi : McPlacement?

Envoyer votre CV dans un anonyme bureau des ressources humaines vous apparaît comme un geste trop impersonnel? Souriez: après les speed dating pour célibataires, voici que certains professionnels du placement vous offrent la formule des speed dating de l’emploi où, assis devant divers employeurs, vous avez quelques minutes pour vendre votre salade. Un chausson avec ça?

À Québec, divers événements visent déjà à favoriser les contacts directs entre chercheurs et donneurs d’emplois. Pensons seulement aux nombreuses journées carrière des institutions d’enseignement qui rassemblent des dizaines d’employeurs ou à celles organisées par de grandes entreprises qui accueillent des centaines de candidats en quelques heures. Rona le fait, le Château Frontenac aussi, et plusieurs autres. Nouveauté à l’horizon, cependant: depuis peu, une agence privée de placement – Adecco – revendique ce qui serait "une première en Amérique du Nord": le speed dating de l’emploi.

Adecco est constituée d’une douzaine d’agences de placement réparties dans la province. On lui doit le lancement à Québec, il y a deux ans, du Café Boulot, espèce de mariage entre un centre d’Emploi-Québec et un Tim Horton. Situé sur le boulevard René-Lévesque, l’endroit a accueilli le speed dating de l’emploi de septembre dernier. Normalement, on y offre des services d’affichage d’offres d’emplois et de placement en entreprise.

Linda Plourde, présidente du Groupe Adecco Québec, a affirmé au lancement de la journée que la formule du speed dating "permet de faire un retour à l’intuition" grâce au contact direct entre les personnes. Au micro, une représentante du ministère du Développement économique et régional – retenons qu’on s’y dit préoccupé par la relève et que "les principales ressources des entreprises sont humaines et mobiles: elles prennent l’ascenseur et l’avion". Ce fut ensuite le tour du président d’une maison d’édition venu lancer son Guide de l’emploi 2004, puis du ministre du Travail, qui a parlé d’une "très belle initiative". Pendant que les discours s’enchaînaient, les premiers chercheurs d’emplois patientaient derrière, muffin à la main. Le coup d’envoi a été donné en milieu d’avant-midi et les rencontres se sont poursuivies jusqu’en fin de journée.

Chaise musicale
La formule d’Adecco est simple et reprend celle appliquée depuis quelques années aux célibataires impatients: les représentants d’une douzaine d’employeurs sont rassemblés dans une pièce et une partie de chaise musicale se joue entre les chercheurs d’emploi. L’animatrice, chronomètre en main, avise les participants toutes les 10 minutes qu’il est temps de laisser sa place à un autre candidat. Dans leurs habits du dimanche, ces derniers se pointent avec en main des copies de leur curriculum vitæ, certains ayant l’intention de rencontrer tous les employeurs, alors que d’autres y vont de façon plus ciblée. "Pourquoi voulez-vous travailler avec nous? Quelles sont vos qualités et défauts? votre plus belle expérience d’emploi? Quel salaire recherchez-vous?": les questions arrivent en rafale et le candidat a intérêt à compter sur un minimum de préparation.

"Notre premier speed dating s’est tenu en mai dernier, avec une douzaine d’entreprises et environ 200 chercheurs d’emploi. Le mois dernier, on a compté 15 entreprises présentes et 250 participants", explique Éric Sinopoli, représentant du Café Boulot d’Adecco. "La représentante d’une entreprise présente a même dû quitter dès midi car tous ses postes disponibles étaient déjà comblés", se réjouit-il, ajoutant que l’événement reviendra deux fois l’an.

De tout pour tous?
Deux chercheurs d’emploi rencontrés au hasard lors de l’événement ont livré des commentaires opposés. Isabelle, dans la jeune vingtaine et fraîchement diplômée dans le domaine de la restauration, était satisfaite d’avoir posé sa candidature aux postes offerts par deux restaurateurs présents. "Notre CV ne dit pas tout sur nous et j’aime pouvoir démontrer en personne à un employeur que j’ai l’air débrouillarde. J’ai bien apprécié."

Au contraire, Jean-François, informaticien chômeur de 28 ans, a quitté les lieux, visiblement déçu, après une seule rencontre. "Il y a juste des "jobines", rien pour que je puisse nourrir convenablement ma famille. Je ne suis pas intéressé aux postes de représentant sans salaire fixe ni à travailler au salaire minimum dans un domaine étranger à ma formation", a-t-il lâché lorsque rattrapé sur le trottoir. Vérification faite, la liste des entreprises présentes à l’événement démontre qu’à part quelques exceptions, le salaire de la plupart des postes offerts flirtait effectivement avec le minimum permis par la loi. Éric Sinopoli rétorque que cette personne aurait dû s’attarder au "mur de l’emploi" où sont affichés plus d’une centaine de postes diversifiés. Ce babillard géant, accessible à tous, présente toutes les offres d’emploi publiées récemment dans la capitale.

Réingénierie de l’État: Emploi-Québec menacé?
Lors de cet événement, nous avons profité de la présence du nouveau ministre du Travail Michel Després pour le questionner sur sa vision de la place du privé dans les services aux chercheurs d’emploi. Lors de son discours, il affirmait au sujet du speed dating que "nous avons Emploi-Québec, les journaux, mais le contact ne s’y fait que sur papier". Ensuite, lors d’une conversation, il a défendu le bilan de son jeune gouvernement en matière de lutte contre le chômage en faisant référence à la crise de la vache folle et au ralentissement dans le tourisme. "Il reste que plusieurs postes ne sont pas comblés présentement et que des entreprises ont de la difficulté à recruter à Québec et ailleurs", a-t-il dit. Interrogé à savoir si, à l’image de sa participation au succès du speed dating de l’emploi, son gouvernement pourrait être intéressé à augmenter les partenariats public/privé au détriment d’Emploi-Québec, qui offre déjà une large gamme de services, le ministre n’a pas fermé la porte tout en rabattant le discours officiel. "C’est une éventualité. On regarde les possibilités de partenariats avec le privé dans tous les ministères et la réflexion sur la réingénierie touchera à tous les secteurs." M. Després n’a pas voulu commenter plus, nous référant au ministre de l’Emploi et refusant de jouer dans la cour de ce dernier.

Informations supplémentaires
L’an dernier, selon le ministère du Conseil exécutif, 137 000 personnes ont trouvé un emploi après avoir eu recours aux services d’Emploi-Québec et 230 000 adultes ont eu accès à des services d’éducation des adultes et de formation continue. Pendant la même période, 35 270 employeurs ont publié gratuitement des offres grâce à Emploi-Québec.